De Dietrich : un nom prestigieux lié au chemin de fer.

Les autorails De Dietrich ? Leur succès les porta de l’Alsace au Sahara. Dans l’univers des autorails français, il n’y a pas eu que Renault, même si, certainement, la firme de Billancourt a dominé le chemin de fer national. Il y a eu aussi De Dietrich qui a dû se faire un renom sur les rails de l’hexagone par le sérieux et la fiabilité de ses autorails qui viennent trouver leur place, naturellement, parmi toutes les grandes productions de la firme alsacienne vieille de plus de trois siècles, installée à Reichshoffen et à Niederbronn, et créateur de la société Lorraine-Dietrich à Lunéville quand elle décida de ne pas rester sous le joug allemand au lendemain du désastre de 1871..  

Tous « gaullistes », les politiciens d’aujourd’hui, mais bien sûr. Si « Mon Général » aimait sa fidèle Traction avant et sa DS-19 Citroën officielle, il aimait aussi son autorail de commandement signé De Dietrich, un X-2000 (voir notre article sur les « trains drapeaux » de la Libération) et qui est actuellement préservé à Laon. Cliché Alain Stone.

L’histoire d’une grande dynastie industrielle.

La famille de Dietrich est protestante, originaire de Lorraine ayant émigré à Strasbourg au XVIe siècle, chassée par la répression religieuse catholique organisée par le duc Charles III. Elle deviendra une véritable et puissante dynastie de maîtres de forges et industrielle, ouverte aux idées de la Révolution et accueillant même Rouget-de-Lisle qui chante, pour la première fois, la Marseillaise dans le salon familial des De Dietrich à Strasbourg, Frédéric de Dietrich étant maire de la ville.

Tout commence en 1684 avec Jean de Dietrich qui acquiert la forge de Jaegerthal. Son petit-fils, anobli par Louis XV en 1761, devient le plus grand propriétaire terrien d’Alsace par l’acquisition de seigneuries et bâtit un empire industriel par l’acquisition ou la construction de forges et de hauts-fourneaux. En 1778, Louis XVI octroie à Jean de Dietrich une marque en forme de cor de chasse et cette marque de fabrique est aujourd’hui toujours le logo du Groupe De Dietrich.

À partir de 1843, les Ateliers de construction de machines de Reichshoffen (Alsace) (De Dietrich) produisent des rouleaux compresseurs et, en 1848, De Dietrich aborde l’ère industrielle transformant ses forges en ateliers de construction de matériel ferroviaire et mécanique. Après l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne en 1870, la famille de Dietrich décide de rester sur place. Ce choix l’oblige à diversifier les fabrications pour s’adapter à un marché allemand excluant l’entreprise du domaine ferroviaire. L’entreprise se tourne vers la production de biens de consommation durables – poêles, cuisinières, mobilier en bois, baignoires en fonte émaillée – et d’équipements urbain ou industriel – tramways, appareils à distiller, wagons spéciaux.

De Dietrich se lance dans la construction automobile sous licence Amédée Bollée en 1896. En 1902, De Dietrich embauche Ettore Bugatti pour la conception et fabrication d’automobiles et Émile Mathis pour leur commercialisation avant d’abandonner, entre les deux guerres, la fabrication automobile pour se consacrer, au fil des décennies, à la construction mécanique, la production de matériel de chemin de fer, d’équipements pour l’industrie chimique, d’appareils de chauffage central, puis d’équipement de cuisine et d’appareils de voies ferroviaires à partir de 1905. La construction d’autorails sera le fait majeur dans les activités ferroviaires de la grande firme qui terminera en beauté, en 1995, en cédant le contrôle de son activité de matériel ferroviaire roulant (usine De Dietrich Ferroviaire de Reichshoffen) à Alstom.

Une Lorraine-Dietrich, 15 HP et 6 cylindres, modèle 1920.
Couverture d’une plaquette De Dietrich. Années 1930.

Un baron qui se doit de redorer son blason.

Fournisseur, depuis des décennies, de matériel roulant remorqué pour les réseaux français, le baron Dominique De Dietrich est intéressé par les autorails qui pourraient créer pour son entreprise de nouvelles opportunités. Mais la très difficile situation de la firme fait qu’il veut conserver toute sa liberté de manœuvre, ne pas passer de contrat d’exclusivité avec les réseaux. Il veut conserver à la firme familiale toute son indépendance dans cette période de grave crise économique qui frappe l’industrie française. Le prix d’un wagon couvert De Dietrich qui valait 41 200 francs en 1930 a chuté à 21 000 francs en 1931, mais le prix de revient du wagon est de 26 000 francs… Jamais, depuis 1848, année où la firme construit des wagons de chemin de fer, on a connu une telle situation. L’usine doit mettre au chômage ou renvoyer ses ouvriers, pratiquer des prix à perte pour survivre et reculer l’échéance du dépôt de bilan ou de la fermeture. Le chiffre d’affaires de 1934, pour l’entreprise, est inférieur de la moitié, presque, par rapport à celui de 1933.

Tender De Dietrich de 1932.
Wagon couvert construit pour le réseau de l’État en 1929, par la société Lorraine-Dietrich.
Voiture métallique de très grande qualité construite pour le réseau de l’Est par De Dietrich.

Dès 1931, Dominique De Dietrich s’est intéressé aux prototypes et aux autorails sur pneus de Michelin et il participe au fameux concours d’autorails organisés par les réseaux du PLM, du Nord et de l’État. Il réalise, à ses risques et périls, un prototype qui lui permettra, s’il obtient des commandes pour une série, de faire tourner ses usines. Toutefois, son prototype n’est pas retenu parmi les 22 qui feront l’objet d’une fabrication en série.

Les enseignements du concours incitent De Dietrich à prévoir deux types d’autorails : un modèle léger, plus proche de l’autobus sur rails et que l’entreprise sous-traitera avec la firme Austro-Daimler, et un modèle lourd, à grande capacité et sur bogies, de conception ferroviaire, et que la firme créera et déclinera sous de nombreuses versions.

Les choix de messieurs De Dietrich et Pujol.

Dominique De Dietrich et son très innovant ingénieur Joseph Pujol tiennent à se démarquer de la construction de type automobile, car ils savent très bien, pour être constructeurs de matériel ferroviaire, que cette conception légère rencontre une grande hostilité chez les ingénieurs et les dirigeants des réseaux qui craignent la fragilité des autorails en cas d’accident et surtout les risques d’incendie avec un moteur à essence à bord. Ils tiennent à séparer la caisse, totalement ferroviaire et bien lourde, de tout ce qui est moteur et réservoirs d’essence, pour limiter les risques d’incendie, et c’est pourquoi les autorails De Dietrich ont tout leur équipement d’origine automobile regroupé sur les bogies et complètement isolé de la caisse. En outre, cette disposition évitera la propagation des bruits et des vibrations dans la caisse, ce qui accroîtra le confort pour les voyageurs.

Démontage, en atelier, ou montage à l’usine, d’un bogie-moteur De Dietrich en 1934.
Un ensemble bogie-moteur, caractéristique de la conception des autorails De Dietrich, exposé à la Cité du Train (Patrimoine SNCF, à Mulhouse. Cliché Philippe Mirville.

L’accroissement des performances demandant celle de la puissance, il faudra bien placer deux moteurs, donc deux bogies-moteur sous chaque autorail, ce qui sera un facteur de surcoût, notamment dans l’entretien. Mais cette répartition assure un meilleur équilibrage de l’autorail, et, surtout, maintient un centre de gravité plus bas du fait de la position assez basse des moteurs entre les essieux des bogies. Le choix de moteurs diesel rapides, déjà très au point dans le domaine des camions, donnera encore plus de force à cette conception très typique des autorails De Dietrich. Le 21 juillet 1933, le premier autorail De Dietrich, d’une puissance de 210 ch., est essayé sur la ligne d’Ingwiller à Strasbourg, sur 43 km devant les membres du conseil d’administration du réseau de l’Alsace-Lorraine. Un immense banquet réunit tous les ouvriers, les techniciens et les ingénieurs qui ont travaillé sur l’autorail. La firme enregistre une commande de 30 autorails, plus quatre bogies de rechange.

Cela n’empêchera pas les différents réseaux acquéreurs de demander des modifications et des adaptations qui augmentent le prix de revient, et diminuent d’autant les bénéfices. Ils allèguent que « l’incompétence des conducteurs d’autorails des réseaux entraîne des pannes, demande des réparations, et les sous-traitants sont en retard, et leur production est parfois défectueuse » : la firme commence à comprendre le dur et incertain métier de constructeur d’autorails…

Production ferroviaire De Dietrich

DatesAutorailsWagonsAutres ferroviaires
19342023610
19352743015
19362412050
19372114321
193877423
193906216
En 1936 et partout (comme ici à Rambouillet), tous les « Messieurs les Directeurs» des réseaux, comme des industries ou des administrations portent le chapeau mou, ce qui est très commode pour les repérer de loin. Dommage que cette tradition se soit perdue.
Autre vue de la même scène, en 1936. Quelques chapeaux manquent.

Les autorails de 210 ch.

Longs de 17,9 mètres, ces autorails sont sur deux bogies de type allemand Görlitz et ont deux postes de conduite. Les essieux sont d’abord montés avec des roues élastiques LB à anneaux de caoutchouc interposés entre la jante et le moyeu, mais ce système, devant la mauvaise tenue des anneaux, est rapidement abandonné pour des roues classiques de type monobloc. Comportant le moteur et la transmission, les bogies sont longs et ont un empattement de 3200 mm. Les moteurs entraînent un essieu par bogie, monté sur des roues de 850 mm, tandis que l’autre essieu du bogie, porteur, est sur roues de 760 mm. L’essieu moteur est plus chargé, pour augmenter le poids adhérent, ce qui se fait par décalage de la traverse danseuse du bogie en direction de l’essieu moteur. Les bogies ne sont donc pas symétriques.

Les moteurs, de la Compagnie Lilloise des moteurs, sont des quatre cylindres diesel deux temps et développent chacun 105 ch. à 1500 tours/minute. C’est un moteur connu, équipant nombre de camions Renault, Saurer, Berliet, et il fera carrière sur bien des autorails et des locotracteurs, comme l’autorail Pauline, BDR, Somua, etc. La transmission à quatre vitesses est allemande, de la Deutsche Getriebe installée à Berlin, conçue par l’ingénieur Mylius.

La caisse est à châssis-poutre, et elle est très bien dessinée, avec ses extrémités elliptiques très élégantes. Elle offre une soute à bagages de 4,5 m2 (charge : 1000 kg), un WC, deux plates-formes intérieures et deux salles en classe unique totalisant 69 places assises. Les sièges sont de confortables Epéda recouverts de cuir disposés en banquettes de deux ou trois places.

Les freins sont à tambour, à commande hydraulique, complétés par un frein à patin électromagnétique agissant directement sur le rail, et un frein à main pour l’immobilisation à l’arrêt.

Autorail De Dietrich de 210 ch., vraisemblablement dans la cour de l’usine de Reichshoffen.

La carrière des autorails de 210 ch.

Les autorails sont construits de 1933 à 1935. Le réseau de l’Alsace-Lorraine acquiert le prototype, plus 10 autorails à 69 places assises plus six strapontins. Ces autorails sont affectés aux centres de Strasbourg et de Mulhouse pour la dessertes des petites lignes en direction des Vosges ou en étoile autour de ces deux villes.

Le réseau de l’Est commande deux autorails avec un aménagement pour les relations omnibus ou banlieue en deux salles de 50 et 10 places, et six autorails grandes lignes avec deux salles de 40 et 15 places, le compartiment à bagages étant agrandi.  Ces autorails feront carrière à Vitry-le-François sur des relations vers Troyes, Épernay, Reims, Bar-le-Duc, etc.

Le Nord et le PLM ne commandent pas d’autorails de ce type. Le réseau de l’État commande six autorails, plus deux bogies en réserve, offrant seulement 49 places du fait d’un compartiment à bagages très grand comportant néanmoins 12 strapontins. Affectés au centre de Rennes, ces autorails assurent des services vers Saint-Brieuc, Saint-Malo, Le Mans. Le dernier autorail livré au réseau de l’État est équipé d’une transmission hydraulique Voith allemande.

Le PO-Midi commande dix autorails pour son centre d’Agen, offrant 65 places assises en classe unique, et accès par une seule plateforme centrale. Ces autorails assurent des services en direction de Tarbes, Auch, etc.

La SNCF les renumérote en D-1000 (Est), D-1100 (État) et D-1200 (Paris-Orléans), puis, après la Seconde Guerre mondiale, les regroupe tous sur la région Est, formant la série D-1000 qui dure jusque dans les années 1960.

Un autorail De Dietrich 210 ch. muni de traverses de tamponnement, vu à Gouvy, durant les années SNCF, en 1955. Doc. JB Zin.

Il est à noter que quatre autorails de ce type ont circulé en Syrie, avec des aménagements spéciaux comme une caisse allongée de 17,9 à 19,3 m pour deux d’entre eux, un refroidissement amélioré notamment par des manches à air orientables sur le toit. Affectés au dépôt d’Alep, ils roulent sur la ligne de Rayak, et sur l’embranchement de Homs à Tripoli. Leur service est prolongé jusqu’à Beyrouth au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Les lignes en voie normale parcourues par les autorails De Dietrich, d’après la revue « Traction Nouvelle », en 1935.

Les autorails de 300/320 ch.

Cette brillante série construite par De Dietrich comprend d’une part, des autorails à caisse dite ronde produits à partir de 1935, et, d’autre part, des autorails à caisse dite en étrave surnommés « les pointus », produits à partir de 1937. Ces engins sont puissants avec leurs 300 ou 320 ch, et ils sont confortables, voire luxueux. Aptes au couplage, ils circulent sur les réseaux PLM, État, Est et Alsace-Lorraine, et en Tunisie.

Ils sont conçus pour offrir un espace et un confort accrus, et permettant surtout d’assurer des relations rapides sur grandes lignes, quitte à prévoir des aménagements particuliers.

Mais l’aspect le plus intéressant est que ces autorails De Dietrich sont couplables, c’est-à-dire qu’ils peuvent circuler en unités multiples, mais conduits par un seul conducteur dans la cabine de tête du premier autorail. Le couplage est réalisé par des attelages Willison, et des connexions pneumatiques et électriques permettant la commande des moteurs, des embrayages, des boîtes de vitesses, des inverseurs, soit, notons-le en passant, pas moins de quatre moteurs et transmissions dans le cas d’un couplage de base entre deux autorails. Les moteurs sont commandés directement par des commandes pneumatiques permettant le dosage de l’accélération. Les organes de transmission dépendent de commandes pneumatiques actionnent des valves électropneumatiques. Les réseaux utilisateurs se méfient, d’ailleurs, de la complexité d’un tel ensemble et ne recourent que très peu au couplage avec les autorails De Dietrich.

Cabine de conduite de l’autorail De Dietrich DN-11 qui restera un prototype d’études, mais assurera quelques 400.000 km de nombreuses relations en service courant.

Si le principe des transmissions mécaniques à quatre rapports des autorails 210 ch. se retrouvent sur ces autorails, les deux moteurs sont des Saurer à six cylindres en ligne, soit du type BXD donnant chacun 150 ch. soit du type BXDS donnant chacun 160 ch. à 1500 tr/mn. La transmission, outre la boîte à quatre rapports, comporte un pont inverseur avec trois démultiplications donnant des vitesses de 107, 120 ou 130 km/h en palier. Les bogies sont identiques à ceux des 210 ch., mais ont un empattement porté de 3200 mm à 3500 mm. Mais la traverse danseuse est au centre du bogie, donnant une répartition égale du poids entre les deux essieux.

Le freinage est du type Westinghouse à air comprimé, plus le frein électromagnétique à patin sur le rail et le frein mécanique d’immobilisation.

Dans un autorail De Dietrich. En bas, un compartiment de 1re classe.

La carrière de ces autorails 320 ch.

Si les premiers autorails de 210 ch. série D 1000 ont une longueur de 17,90 m, les autorails de la série D 2000 à caisse ronde sont de deux longueurs: 22,20  mètres et 24,51  mètres. Les modèles plus courts ont un compartiment à bagages, des W-C, et une plate-forme d’accès séparant deux salles isolées par des portes. Les modèles les plus longs disposent de deux plates-formes d’accès.

L’Alsace-Lorraine commande cinq autorails de 24, 51 m à une seule salle de 70 places, divisée en fumeurs et non fumeurs – toute une époque… Ce sont des 320 ch. et ils sont affectés aux centres de Strasbourg et Mulhouse.  Ils ont été couplés en formation de deux ou de trois autorails, ce qui demandait la parfaite synchronisation de pas moins de six moteurs, de nombreux raccordements pneumatiques et électriques.

La compagnie de l’Est commande six autorails 300 ch. de 22,20 m qu’elle fait aménager d’une manière très luxueuse, et fait doter la salle de première classe de seize fauteuils Pullman recouverts de velours, et celle de deuxième classe de quarante fauteuils recouverts de cuir. Ces autorails sont affectés au dépôt de Noisy-le-Sec, et sont engagés sur les relations rapides de Paris à Nancy (353 km assurés en 3 h 12 mn, soit une moyenne de plus de 110 km/h), ou de Paris à Reims et à Charleville, ou encore de Paris à Metz par Bar-le-Duc. Les vitesses maximales sont de 130 km/h. L’Est reçoit de nouveau dix autres engins affectés à des relations rapides comme Paris-Troyes-Chaumont-Langres. Il y eut même des services rapides de Paris à Strasbourg, par le prolongement, pendant l’été 1937, du service de Paris à Nancy, mais les De Dietrich durent céder la place aux grands autorails doubles Renault ABV sur cette préfiguration du TGV Est actuel.

Le réseau de l’État reçoit six autorails 320 ch. de 24, 51 m pour le dépôt de Rennes et affectés, eux aussi, à des services omnibus sur des petites lignes de Bretagne et de Normandie.

Le PLM reçoit huit autorails de 300 ch., de 22,20 m, affectés au centre d’autorails de Besançon pour des relations omnibus vers Vesoul, Lons-le-Saunier, Dijon. Ces appareils ne sont pas couplables. Leur aménagement intérieur offre les trois classes, sous la forme d’une salle commune aux deux classes supérieures avec 20 places assises, et d’une salle pour la troisième classe avec 45 places.

Les autorails 500 ch du PLM.

Pour mettre fin aux nombreux jumelages demandés par les fluctuations du trafic (les autorails De Dietrich du PLM n’étant pas couplables), ce réseau demande à la firme d’étudier un modèle très puissant capable de prendre en charge une remorque ou une voiture à voyageurs, et dont les performances soient comparables à celles des 600 ch. Decauville ou des ADX et ADP Renault. Ce sera à la SNCF de réceptionner les deux premiers de ces autorails en 1938, puis quatre autres en 1940, en pleine guerre et pénurie de carburant. Ces autorails forment les D-4000.

Ils ont deux moteurs diesel CLM (licence Junkers) de 250 ch. à quatre cylindres et deux temps. Les cylindres sont opposés deux à deux et le moteur comporte deux vilebrequins. Les caisses ont une longueur de 27,41 m et reçoivent 16 voyageurs en première et seconde classe, et 54 voyageurs en troisième classe.

Les autorails De Dietrich 500 ch. ZZ-N-201 et 202 vus au dépôt de Besançon vers 1939. Au fond, un 300 ch. Les dures rampes de la ligne du Locle les attendent.

Les trois autorails doubles 640 ch.

Le réseau de l’Est cherche un autorail rapide, puissant et capable d’assurer des services entre les grandes villes du réseau. La démonstration faite avec l’autorail Bugatti en 1935 a ouvert les esprits. Trois autorails doubles sont construits pour la relation Strasbourg-Lyon. Longs de 49,49 m, ils ont quatre – et non pas trois – bogies, formant un ensemble dont chaque véhicule a ses organes de roulement propres, mais réunis par un soufflet et dotés chacun d’une cabine de conduite. Les bogies d’extrémité seuls sont moteurs. Les deux moteurs sont des diesel à 12 cylindres en V donnant chacun 320 ch. La transmission est à cinq vitesses, et le 140 km/h est atteint.

Autorail double 640 ch. ZZ-D-1 vu à Versailles-Matelots peu après la création de la SNCF ou à la Libération.

La Seconde Guerre mondiale trouve ces trois autorails garés à Clermont-Ferrand, puis affectés à la ligne du Méditerranée-Niger, c’est-à-dire le futur Transsaharien dont le Maréchal Pétain vient de relancer le projet. Les trois autorails assurent un service difficile hebdomadaire entre Oujda et Bou-Arfa, et roulent ainsi jusqu’en 1954.

Inauguration du Méditerranée-Niger à Tizer-Zaguine, le 08-12-1941. Voir notre article « Trainconsultant » sur le Transsaharien.
Pour l’Afrique du Nord, De Dietrich a fourni beaucoup de matériel roulant en voie normale, mais aussi et surtout en voie métrique avec, par exemple, 64 éléments moteurs en Algérie : autorails, trains automoteurs, fourgons automoteurs.

Les autorails du redémarrage.

Le retour du gas-oil à la fin de la guerre, plus facile que celui du charbon, provoque, pour la SNCF, une remise en service accélérée des autorails qui se trouvent subitement sur le devant de la scène.  Si on voit des autorails remorquer des voitures ou des wagons, d’autres assurent des services longue distance surprenants. La remise en service de ces autorails, dont certains viennent de passer plusieurs années garés à l’air libre, se fait dans des conditions de débrouillardise exemplaires: de 53 autorails disponibles en septembre 1944 on passe à 256 un an après, et, au début de 1947, ce sont près de 400 autorails qui sont en service. Le passage en atelier s’accompagne d’une mise aux normes SNCF comme l’attelage à vis et la suppression du tamponnement central, ce qui permet à ces appareils de circuler en couplage ou en jumelage, alors qu’initialement, ils ne pouvaient circuler ensemble que par séries ou types et par marques.

Autorail De Dietrich équipé pour la marche au charbon de bois, pendant la Seconde Guerre mondiale. Un « tender » avec soute conique est aménagé au centre de l’autorail et il doit être rempli par le toit.
Chargement, difficile, du charbon de bois par le toit d’un autorail De Dietrich.

Ces années de l’immédiat après-guerre sont certainement, en un sens, un âge d’or pour les autorails français à qui l’occasion est donnée de prouver qu’ils sont indispensables. C’est l’âge de leur intégration définitive au matériel roulant de la SNCF alors que, durant les années 1930, ils étaient quelque peu à part, marqués par une ascendance automobile et des organes de choc et de traction totalement étrangers au monde ferroviaire, prisonniers de cahiers des charges différents de ceux des véhicules ferroviaires.

La libération le donne l’occasion de démontrer les qualités de fiabilité et de disponibilité de la traction diesel et d’engager la SNCF dans ce mode. La SNCF, en attendant de développer un programme de locomotives diesel, relance immédiatement celui des autorails en commandant 55 autorails identiques à des types d’avant-guerre et formant ce qui a été appelé « la tranche de redémarrage »: elle comporte 35 autorails Renault ABJ 4, et aussi 25 autorails De Dietrich 320 ch à caisse de 24, 51 m. On peut ajouter un petit contingent de 10 autobus Floirat transformés pour la circulation sur voies ferrées.

En outre dix autorails De Dietrich sont livrés au réseau du Luxembourg en 1949 et 1950, et parcourent l’ensemble des lignes. Les années 1960 verront la réforme de ces engins.

Caractéristiques techniques (210 ch)

Type: autorail à bogies

Année de construction : 1933 à 1935

Moteurs: 2

Puissance totale: 210 ch

Transmission: mécanique 4 vitesses

Places assises : 69

Masse à vide : 23 tonnes

Longueur:17,90 mètres

Vitesse: 100 km/h

Caractéristiques techniques (320 ch)

Type: autorail à bogies

Année de construction : 1935

Moteurs: 2

Puissance totale: 300 ou 320 ch

Transmission: mécanique 4 vitesses

Masse: 35 ou 36 tonnes selon les types

Longueur:22,20 m (rond, court), 24,51 m (rond, long) ou 27,41 m (« pointu »)

Vitesse: 130 km/h

Le catalogue des autorails De Dietrich en 1935. Les autorails de 210 ch. sont les plus répandus. Le petit modèle de 60 ch. pour lignes secondaires semble avoir été un mystère : un « train du futur pour LDFT» de l’époque ?

L’autorail Lorraine : un discret chemin de croix loin de la réussite des grands.

Complètement éclipsé par des centaines d’autorails Renault, Bugatti, De Dietrich, ADN ou autres Michelin qui envahissent les réseaux français entre les deux guerres, cet autorail à la ligne originale n’existe qu’à sept exemplaires pour deux des réseaux français, trois pour l’Est, qui s’en séparera, et quatre pour l’État qui récupérera les autorails de l’Est. Il est créé par la Société Lorraine des anciens Établissements De Dietrich & Cie, installée à Lunéville après la défaite de 1871, et désireuse, durant les années 1930, de prendre sa part du grand marché de l’autorail alors offert par les réseaux français aux constructeurs.

Lorraine ? Ce beau nom d’une belle province, très porteur d’identité nationale, est aussi celui d’une firme créée par la famille De Dietrich. La guerre franco-prussienne de 1870 laisse l’Alsace et une partie de la Lorraine à l’Allemagne, et la firme De Dietrich se trouve alors séparée, par une frontière, du marché ferroviaire français dont elle est, de longue date, un des principaux fournisseurs. Tout en conservant son usine de Reichshoffen, elle décide alors d’ouvrir une usine dans ce qui est alors une France restreinte puisque l’Alsace et la Moselle sont allemandes, et c’est chose faite en 1880 à Lunéville. En 1905 ce nouvel établissement quitte la maison mère dont elle devient une filiale sous la raison sociale « Société Lorraine des Anciens Etablissements De Dietrich et Cie ». Très symboliquement la croix de Lorraine devient la marque de fabrique de la firme et le capot des automobiles Lorraine, très réputées pour leur qualité et leur beauté, porte fièrement cette marque de fabrique.

Un des rares autorails Lorraine, vu en 1936.

L’autorail Lorraine, produit nouveau, mais au marché déjà encombré.

Il est normal que la firme Lorraine, sous son propre nom, veuille aussi s’imposer dans le domaine ferroviaire. Le marché est déjà occupé par des constructeurs puissants comme Renault, Bugatti, Michelin, et…De Dietrich ! Lorraine n’aura que les miettes du festin avec sept commandes seulement, un succès d’estime auprès des dirigeants de la Cie de l’Est pour quatre exemplaires et du réseau de l’État pour trois.

L’aventure commence autour du moteur Barbaroux présenté par la firme Lorraine en 1934 lors d’un concours. Barbaroux est ingénieur dans la firme et son moteur, un diesel à quatre temps donnant 130 ch. à 1500 tours minute, intéresse les utilisateurs de moteurs industriels, marins, ou pour poids lourds et autorails, car il est très léger du fait de l’emploi de l’aluminium pour les corps de cylindres et le carter. Ce moteur pèse 900 kg, tout équipé, alors qu’un moteur classique de puissance équivalente dépasse 1200 kg.

Lorraine a depuis longtemps un projet d’autorail, et sollicite Renault pour la fourniture de moteurs, ce qui fâche quelque peu De Dietrich qui voit d’un mauvais œil une firme « sœur » aller de fournir à Billancourt, chez le grand concurrent qui inonde la France d’autorails… Et Lorraine, du coup, utilise les moyens du bord et les talents de Barbaroux.

Une présentation très chic, mais non suivie du succès commercial espéré.

Le 14 décembre 1935, Eugène De Dietrich (jamais loin quand il est question de la société Lorraine qu’il dirige) organise la présentation de l’autorail, et, bien entendu, ceci se passe sur le réseau de l’État, dirigé par Raoul Dautry, grand amateur d’autorails. Princes, ambassadeurs en tous genres, personnalités du beau monde, tous accourent, comme d’habitude. Toutefois, cerise sur le gâteau, on voit même les ambassadeurs du Paraguay ou de Roumanie dont, pourtant, les possibilités d’achat d’un tel autorail et en grand nombre sont indiscutablement illusoires.

L’autorail roule à 130 km/h sans difficulté et dans le plus grand confort. Dès la fin de 1936, le réseau de l’Etat ajoute ses trois autorails au prototype qu’il a acheté. Les appareils sont affectés au centres de Caen et du Mans, puis regroupés à Versailles-Chantiers en 1937. Le réseau de l’Est reçoit en même temps ses quatre autorails qu’il met en service sur les petites lignes de l’étoile de Langres, avant de les revendre au réseau de l’Etat qui, décidément assouvit son appétit d’autorails en faisant feu de tout bois. On ne sait pas comment Lorraine apprécia ce comportement de la part de « son » réseau régional.

L’Etat continue à utiliser ses Lorraine, et on voit deux appareils affectés au centre de Chartres. La série complète traverse la Seconde Guerre mondiale, et assure ensuite des services locaux autour de Saintes.

Des techniques intéressantes.

L’autorail Lorraine comprend un certain nombre de caractéristiques intéressantes. L’intégration du châssis à la caisse pour former un caisson autoportant permet de réaliser un châssis soudé en acier inoxydable et une caisse en acier. Le toit est en alliage d’aluminium. Les bogies sont en profilés assemblés par soudage ou rivetage.

Chaque bogie comporte son propre moteur, son coupleur hydraulique, et sa boîte de vitesses Wilson à trains épicycloïdaux offrant cinq rapports et une roue libre. Une suspension très élaborée offre un très bon confort sans mouvements parasites et avec une grande douceur de roulement, une bonne tenue de voie.

La caisse comprend deux postes de conduite d’extrémité, un compartiment à bagages acceptant 1500 kg et comportant, selon la tradition, des strapontins de secours, une première plateforme d’accès, une salle de troisième classe avec 32 places sur des banquettes de deux places de part et d’autre d’un couloir central, un WC-toilettes, un compartiment postal, une deuxième plateforme d’accès. Le réseau de l’État demande un aménagement en classe unique avec 50 places en troisième, la suppression du compartiment postal, et des WC-toilettes plus petits.

L’aménagement intérieur est très soigné, très confortable. Le chauffage ne se contente pas seulement de l’eau de refroidissement des moteurs, une solution toujours insuffisante en hiver quand il fait très froid… mais comporte une chaudière à gas-oil logée dans un des postes de conduite et qui produit, en quantité, une bonne eau très chaude pour les hivers rigoureux de l’Est.

Un autorail Lorraine sur le réseau de l’État, vers la fin des années 1930.

Une carrière discrète.

L’autorail Lorraine est de qualité, tant dans le choix de ses métaux avec l’acier inoxydable dans les parties sensibles du châssis là où les autres autorails se contentent de rouiller, que dans les choix techniques. Indiscutablement l’autorail Lorraine est une réussite technique et il est apprécié, en dépit de son aspect sévère et ingrat, sans aucun des charmes et de la beauté des autorails Bugatti ou Michelin, ou du « look » sympathique et franc des autorails Renault

Les réseaux, toutefois, ne s’attardent pas à des considérations esthétiques, mais il leur faut, tout simplement, qu’un autorail rapporte et ne tombe pas en panne, la panne étant ruineuse et effaçant, d’un trait de crayon comptable, des années d’économies ! Et le drame se situera bien là, au niveau de ce que l’on n’appelle pas encore la fiabilité. Les moteurs Barbaroux, malgré leurs qualités de légèreté, n’ont pas l’endurance nécessaire à un service ferroviaire, et les deux réseaux ayant acheté des autorails Lorraine devront les remplacer par des Saurer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Mais aussi Lorraine n’a pas donné à ses autorails une qualité très appréciée par les réseaux , et que l’on appellera plus tard la « modularité ». Ils circulent seuls, désespérément seuls, offrant leurs 48 ou 50 places d’origine, et rien d’autre, ni plus, ni moins. Ils ne peuvent ni remorquer ni circuler en jumelage ou en couplage, leur faible capacité est un handicap dès qu’un jour de pointe arrive, ce qui oblige les réseaux à remettre une locomotive en chauffe et à utiliser des voitures qui ont d’autres services, bien plus urgents, à assurer. Ceci se ressent sur le bilan comptable et les Lorraine sont coûteux en entretien. Les révisions sont très chères en main d’œuvre, souvent le double, parfois approchant le triple de celui des autorails des concurrents, sans doute du fait de leur conception qui vise beaucoup plus la haute qualité technique que les facilités d’intervention. Leur carrière prend fin en 1953 et seuls les amateurs d’autorails les plus « pointus », aujourd’hui, s’en souviennent, le grand public et l’ensemble des amateurs de chemins de fer les ayant oubliés.

Un « Lorraine » à la gare Saint-Lazare.

Caractéristiques techniques.

Type: 1A+A1

Date de construction : 1936

Moteurs: deux Lorraine-Barbaroux 6 cyl. 130 ch

Puissance totale: 260 ch

Transmission: coupleur hydraulique et

boîte mécanique 5 vitesses + roue libre

Capacité: 48 pl. (Est) ou 50 pl. (Etat)

Masse: 28,5 t

Longueur: 22, 52m

Vitesse: 100 km/h

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