Quai haut, quai bas ? Deux siècles de débats en boucle.

Le cinéma, notamment italien, a immortalisé le quai de gare en y créant ses plus beaux plans que sont les scènes de gare, d’adieux tendres ou déchirants, d’amants qui se séparent ou se retrouvent, ou de soldats partant vers la guerre. Romantique par nature, le quai de gare est toujours là, aujourd’hui, au cœur de la scène ferroviaire quotidienne vécue par des millions de voyageurs. Mais il ne s’agit pas de romantisme, car, plus prosaïquement, il a toujours, dès sa naissance voici bientôt deux siècles, posé aux ingénieurs le très irritant problème de sa hauteur par rapport au plan de roulement des voitures à voyageurs.

Quai haut ? Quai bas ? Créée en 1878, la RGCF donne son avis, n’a à le faire qu’en 1967 quand la question vient sur le tapis avec l’entrée en scène des Z-5300. Entre 1878 et 1967, le problème des quais hauts ou bien bas, et surtout trop hauts et trop bas n’est pas d’actualité. Les voyageurs font avec.

Le problème de la hauteur des quais, oublié depuis des décennies par un accord tacite et à l’amiable, refait surface en 1967, notamment dans la Revue Générale des Chemins de Fer (RGCF) à l’occasion de la mise en service des Z-5300.

Le quai ferroviaire, ou « trottoir » en termes officiels, est né d’une simple raison: la difficulté d’accès dans les voitures à voyageurs directement depuis le sol. Le matériel remorqué ferroviaire est initialement conçu comme un empilement de trois sous-ensembles techniques que sont les roues, le châssis et la caisse. Il est vrai que les véhicules routiers préexistants ont bien, eux aussi, ces trois sous-ensembles, mais le châssis se loge entre les roues qui, elles, tournent librement sur les essieux, et la caisse, épousant la forme du châssis, se loge, elle aussi, à sa manière, entre les roues. Le plancher des voitures, comme les carrosses ou les diligences, est au niveau des essieux, donc à la moitié du diamètre des roues. L’évolution des autobus urbains est très intéressante, avec une longue et difficile chasse à tout ce qui est sous le plancher pour le mettre ailleurs, sur le côté puis à l’arrière du bus pour le moteur qui finira par une position couchée, ou jusque sur le toit pour les équipements électriques des trolleybus, ceci pour obtenir un plancher à peine plus haut que le trottoir de la rue.

Mais certains véhicules utilitaires, comme ce que l’on appelle déjà les camions au temps des chevaux, comportent un grand plateau qui, lui, est situé au-dessus des roues, donc plus haut que le diamètre des roues. Cette disposition est nécessaire pour le transport de charges plus larges que l’écartement des roues, ou plus longues que l’empattement des roues. C’est elle que les constructeurs de véhicules ferroviaires vont reprendre tant pour les wagons que pour les voitures, avec pour conséquence la mise des planchers des caisses à une grande hauteur.

La préférence pour les roues à grand diamètre s’impose pour le chemin de fer.

L’expérience accumulée dans la construction des véhicules routiers a enseigné qu’un bon roulement, et un roulement à faible résistance à grande vitesse, demande d’éviter des roues à très petit diamètre. Les constructeurs de matériel roulant ferroviaire s’en souviennent et fixent, dès les débuts des chemins de fer, le diamètre des roues des voitures et des wagons dans des valeurs se situant entre 80 et 100 cm et sans doute trois pieds lors des débuts des chemins de fer au Royaume-Uni, selon les types et les pays et comme le châssis est situé au-dessus des roues dans la construction ferroviaire traditionnelle, les planchers des voitures sont en général à une hauteur de plus de 1,10 m au-dessus du rail. Ainsi, selon les normes pratiquées dans la plupart des pays européens de l’époque, le plan de tamponnement courant est situé à 1050 ou 1060 mm au-dessus du plan du rail, et le plancher est au-dessus. Mais, si l’on ajoute l’épaisseur du ballast, celle des traverses et la hauteur proprement dite du rail lui-même, on constate que le plancher d’une voiture de chemin de fer peut aller se trouver à 1,50 m au-dessus du sol.

Il reste alors à résoudre le problème de l’accessibilité à de telles hauteurs, et, immanquablement, le quai s’impose. Mais, si, à quelques centimètres près, l’ensemble des voitures de chemin de fer européennes a des planchers placés à une hauteur comparable quel que soit le réseau, chaque pays a choisi, historiquement, des quais de hauteurs très différentes, certains pays se contentant de quais minimalistes portant le voyageur à seulement une trentaine de centimètres au-dessus du sol, au niveau du plan de roulement, d’autres le plaçant au niveau des boîtes d’essieu, et d’autres, enfin, plus rares, se souciant d’élever le voyageur au niveau du plancher des voitures ou, au moins, à une marche en dessous.

Le quai bas, pour de nombreuses raisons notamment de coût (mais pas seulement, comme nous allons le voir), s’est imposé et ce sont bien certaines compagnies britanniques qui, vers 1880, ont eu le courage de repenser intégralement le problème et de convertir un maximum de gares, au moins sur certaines lignes sinon sur l’ensemble de leur réseau, en les équipant de quais placés presque à la hauteur même du plancher des voitures. On entre désormais de plain-pied (nous disons bien « plain-pied » avec un « a » et non pas « plein-pied » comme, malheureusement, on peut le lire parfois…) dans les trains dans certaines gares britanniques, et il est d’usage de trouver des fiacres puis des taxis sur les quais des gares londoniennes qui peuvent venir prendre ou déposer devant leur compartiment les voyageurs encombrés de bagages.

Vers 1910, à la gare Saint-Pancras à Londres : la pratique anglaise du quai haut, et très large, permet même aux taxis de venir déposer leurs clients devant leur compartiment, avec leurs bagages qui sont tout aussi rapidement et simplement chargés à bord du train. Mais le quai haut interdit la surveillance des organes de roulement, des boîtes chaudes, d’un raccordement de frein qui fuit.

Pendant ce temps, le quai très bas oblige les voyageurs à une « escalade » souvent très peu commode, après que l’on ait soulevé sa valise à hauteur du visage pour la jeter sur le plancher de la plateforme d’accès de la voiture. Mais entre ces deux extrêmes, il y a énormément de variantes, et même dans un seul pays, on trouve souvent plusieurs hauteurs. Les réseaux français n’ont accordé de dérogation au principe de généralisation du quai bas que pour certaines lignes de banlieue, et pour le métropolitain.

Ci-dessus, en trois images : les Anglais, « pragmatiques et efficaces» (paraît-il) ont toujours la solution la plus expéditive, sinon désastreuse. Ici, pour la petite gare de Ditton, puisque les quais ne sont jamais à la bonne hauteur, on les supprime et on les remplace par des escaliers amovibles que les agents doivent aller placer là où un voyageur aurait la curieuse idée de monter ou de descendre du train… Non mais ! Il ne faudra pas oublier de remettre l’escalier mobile dans le fourgon avant le départ du train.

En 1857, et en France, l’ « administration supérieure » décrète : 0,35 m, pas plus.

Si, en France, tout finit par des chansons, tout commence, en général, par un beau décret administratif. Celui du 6 juillet 1857 (d’après le Dictionnaire Législatif et Règlementaire des Chemins de fer de Palaä, paru en 1887 à la Librairie générale de Jurisprudence, à Paris). est, comme à l’accoutumée, mu par la généreuse sollicitude de fonctionnaires dits « supérieurs » voulant réduire à l’acceptable cet effort de lever le mollet et les valises pour se hisser dans un « wagon de chemin de fer ». « Wagon », dites-vous ? Rappelons que, dès les débuts du chemin de fer, le terme de « wagon » est utilisé couramment pour désigner ce que, surtout depuis l’époque Corail, la SNCF aime bien que l’on les appelle des voitures. La CIWL n’en a pas, pour autant, changé sa raison sociale. Mais, revenons à notre texte sur les quais hauts. Après d’âpres discussions avec les compagnies représentées par leurs directeurs, le texte suivant paraît :

« Hauteur des trottoirs. Les trottoirs seront arasés de 0,30 à 0,35 m en contre-haut du rail le plus voisin ; l’arête extérieure de la tablette du couronnement sera alignée parallèlement au rail et arasée à une distance de 0,75 m de l’arête extérieure du rail. Toutefois, dans les gares de tête, ou les stations de banlieue, les trottoirs élevés pourront être autorisés sur les demandes des compagnies. »

Nous apprécions le joli terme de « gare de tête » : une très jolie expression qui ne survivra pas, chassée par le plus moderne « gare terminus » qui semble l’avoir définitivement emporté après la Première Guerre mondiale. Perdonnet, dans son remarquable « Traité élémentaire des chemins de fer » paru en 1856 utilise le terme de « gare extrême » qui ne déplairait sans doute pas aux partisans actuels de la mode de l’ « extrême »… Des observations accompagnant le texte en question précisent qu’à l’époque le système de trottoirs élevés a été en effet adopté pour quelques grandes gares de tête de ligne, mais dans les divers systèmes la distance de 0,80 m entre l’arête extérieure de la bordure et l’arête du rail, a été généralement observée.

Des conseils de bitumage ou empierrement (ou, plutôt, des constatations sur ce qui se fait déjà !…) sont donnés en annexe : «Les quais ou trottoirs à voyageurs sont ordinairement bitumés, et leur relèvement au-dessus du niveau des rails est soutenu par des bordures en grès ou en granit. Les autres dispositions sont étudiées suivant les besoins de l’aménagement des gares. Dans les gares secondaires, on compose quelquefois d’un simple empierrement le sol même du trottoir. Ce trottoir est soutenu par une bordure en pierre ou même en bois. Sur quelques lignes, le prix de revient du mètre linéaire de trottoir ou quais à voyageurs, avec bordures en granit, s’est élevé à 40 francs (non compris les remblais). Nous entendons par mètre linéaire de trottoir, un mètre de longueur du quai seulement avec la bordure en granit, abstraction faite de la largeur du quai, qui est simplement formée par un remblai pilonné et sablé, dont la valeur n’est pas comprise dans le prix moyeu ci-dessus indiqué, pas plus que celle du pavage ou du dallage en asphalte ou tout autre recouvrement de la surface qui doit être comptée à part. »

Quai bas, à la française, sur le PO vers 1880.
Quais bas, même pour l’élégante gare de Pierrefonds sur le réseau du Nord, dans les années 1920.

La norme de 0,35 m est donc fixée au Second empire pour l’ensemble du réseau ferré français, et se présente comme un minimum impératif, laissant à la générosité très éventuelle des compagnies la possibilité de faire mieux… Mais l’indication des coûts, donnée avec le texte officiel, montre bien qu’il faut rassurer les compagnies sur ce point, et, si possible, tenter de les dissuader d’un minimalisme et d’une pingrerie dont on sait qu’elles sont capables. Les compagnies ne décevront pas ces attentes… et voici la France dotée pour l’éternité de quais qui attireront sur eux l’insatisfaction générale des voyageurs, notamment âgés ou surchargés de bagages et accompagnés d’enfants en bas âge.

Les ouvrages anciens signalent cependant l’exception constituée en France par les gares de Metz (construite en 1909, alors faisant partie intégrante du réseau allemand et recevant, comme l’ensemble des grandes gares de ce réseau, des quais hauts) de Lille ou de Rouen, qui ont des quais hauts, et signalent aussi que le réseau belge avait des gares parfois dépourvues de tout quai, alors que les réseaux allemands et hollandais étaient ceux qui avaient, au contraire, la plus forte proportion de gares à quai haut. Toutefois, et c’est rarement perçu de la part de l’opinion publique, cette faible hauteur des quais n’a pas que des inconvénients, comme nous allons le voir ci-après.

Quai mi-haut (ou mi-bas) à la française, par exemple sur le réseau de l’Est.
Quais bas et entrevoie large (par dépose d’une voie ?) à Louviers, vers 1910.

Le quai haut, ses trop rares avantages…

Certes, le quai haut britannique passe, à la fin du XIXe siècle, pour le symbole même du raffinement ferroviaire, pour un accomplissement en matière d’égards pour les voyageurs, notamment pour les mères de famille devant faire entrer dans les compartiments une foule d’enfants en bas âge et pour les élégantes voyageant avec une quantité déplorable de valises, paniers, cartons à chapeaux. Ne parlons pas des personnes peu douées pour l’escalade, pour la saisie des mains-montoirs, ou pour le lancer de valise à hauteur de poitrine, ni même de celles que la nature a dotées d’une corpulence les rendant peu aptes à ces disciplines olympiques. Donc l’ensemble des guides, Baedeker ou Guide bleu compris, fait une louange inconditionnelle des quais hauts et laisse supposer que la majorité des compagnies, dont les françaises, mais aussi celles du monde entier, professent un mépris ou une pingrerie notoires vis-à-vis de leurs clients, ce qui est, à leurs yeux, un véritable suicide commercial.

L’autre grand avantage du quai haut n’existe que s’il se combine avec la pratique des voitures à portières latérales multiples : c’est alors la très grande rapidité du mouvement de montée ou de descente des voyageurs, les trains se remplissant et se vidant d’une manière quasi instantanée. Par contre, avec les quais bas et les voitures à portes d’extrémité, ces mouvements sont très lents, les voyageurs montant ou descendant des voitures au goutte-à-goutte : il suffit de constater la longueur et la lenteur de l’avancement de la file des voyageurs dans l’allée centrale des TGV lors de l’arrivée en gare à Paris : quelque chose qui rappelle étrangement la longue attente pour quitter un avion !

Le quai haut britannique gagnera les systèmes de transport urbains et de proche banlieue dans le monde entier. Mais les réseaux nationaux des grandes lignes resteront fidèles au quai bas à une écrasante majorité. Il n’y a pas que des raisons de coût : le quai haut, d’après la lecture des revues britanniques de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, comporte bien des inconvénients et même de graves dangers.

… et ses innombrables dangers et inconvénients.

Le premier inconvénient est celui des conditions de travail très dangereuses imposées par le quai haut aux cheminots travaillant sur les voies dans la gare. Enfouis au fond d’une véritable fosse, ils doivent, si par malheur un train non annoncé par le surveillant de chantier survenait inopinément, pouvoir sauter rapidement sur un quai qui est à la hauteur de leur poitrine, ce qui n’est pas toujours facile, on le devine, ou, à défaut, choisir de se réfugier sur la voie voisine – ce qui est une folie, comme on le devine. Dans le cas de quais encadrant une seule voie, disposition toujours possible pour les gares à trois voies dont une desservie par un quai en ilot, les cheminots au travail sur la voie sont pris dans un véritable piège.

Mais, aussi, il y a le problème de la chute accidentelle des voyageurs sur les voies, une chute qui se fait d’une hauteur assez importante pour entraîner des fractures, ou des blessures, et pose aussi le problème de l’évacuation de ces personnes.

En troisième lieu, il y a le problème de la chute des objets sur les voies, et la belle montre à gousset échappée du gilet ou le sac à main de l’élégante sont irrécupérables, et doivent attendre que le train ait quitté la gare pour pouvoir être récupérés. Pire encore : la chute des chariots à bagages est très dangereuse pour la sécurité des voyageurs des trains. Mal calés, ces chariots peuvent rouler sous la poussée des vents, et tomber à la renverse sur les rails. Les cas de chariots pris sous les roues d’un train survenant à pleine vitesse sont nombreux dans l’histoire des chemins de fer britanniques, et, malheureusement, certains chariots ont pu, avec des locomotives à bogies, provoquer des catastrophes ferroviaires, coincés et poussés dans la «fosse » constituée par les quais hauts et s’y maintenant. Au contraire, un chariot à bagages ayant roulé depuis un quai bas peut être projeté, sous le choc, et se retrouver sur le quai.

Tout ce qui obsède le chef de gare ou ses agents sur les quais hauts et qui roule et tombe sur les voies : difficile et périlleux d’aller le « repêcher », surtout quand un train est annoncé !

En quatrième lieu, se pose le problème du véritable masquage à la vue des organes de roulement du matériel moteur ou remorqué lors de l’arrêt en gare. L’inspection des mouvements des locomotives, lors d’un arrêt en gare, est une tradition de l’époque de la traction vapeur, et elle est pratiquement impossible dans les gares à quais hauts, surtout lorsque les hasards de l’arrêt placent les bielles en position basse. Mais les boîtes d’essieu avec leurs pernicieuses fuites d’huile sont cachées à la vue des chefs de gare et des hommes d’équipe présents sur les quais.

En dernier lieu, les quais hauts interdisent formellement le passage planchéié qui permet, d’une manière simple et économique, la traversée des voies par les cheminots et les voyageurs. Il a fallu pallier ce gros inconvénient par le rejet de l’unique passage placé dans le centre de la gare, en face du bâtiment-voyageurs, et l’obligation d’en faire deux, déportés vers les extrémités des quais finissant alors par une longue rampe. Si l’on veut conserver un passage situé devant le bâtiment-voyageurs, il a fallu soit aménager un passage souterrain, soit construire une passerelle pour piétons, ce dernier étant devenu, par la force des choses, un élément caractéristique de la gare anglaise et du paysage ferroviaire britannique.

Disposition classique des gares françaises avec, en face du BV, le passage planchéié permis par les quais bas.
Notons que, au moins sur le PO, le « trottoir » c’est pour les voyageurs, et le « quai » c’est pour les marchandises. Cours de chemin de fer de Sévène, 1870.

En face de cette accumulation de dangers et d’inconvénients, il est vrai que les quais hauts excellent dans le monde des transports urbains dès que la traction électrique est là pour dispenser de l’inspection des bielles et impose, même, un accès moins aisé aux rails dont le troisième est dangereusement électrique. Le quai haut éloigne du danger et dissuade toute incursion sur les voies, tandis que l’absence de bagages ou de chariots à bagages poussés par les vents rend paisible l’existence des chefs de station des métros.

Les métros des grandes villes du monde entier, nés pour la quasi-totalité après la généralisation de la traction électrique. Il n’y a guère que les métros, très anciens, de Londres puis de New-York à avoir connu la traction vapeur d’une manière notoire et qui ont donc bien des quais hauts. L’électrification en courant continu basse tension des réseaux de banlieue s’est faite, pendant la première moitié du XXe siècle, dans le même esprit, que ce soit l’immense banlieue sud de Londres qui s’étend jusqu’à la Manche, ou l’importante banlieue ouest de Paris : les quais hauts vont bien avec le troisième rail 600 ou 650 volts posé sur le sol, mais il est à noter que l’électrification de la banlieue du sud-ouest de Paris, faite au temps du PO et à la même époque, n’a pas apporté de quais hauts dans les gares. Signalons toutefois le cas de la ligne de la Maurienne, électrifié avec un troisième rail conducteur, mais dont les gares ont bien conservé leurs quais bas. Toutefois, il ne s’agit nullement d’une ligne de banlieue.

Quais bas, malgré la présence du 3e rail, sur la ligne d’Auteuil, à Paris, vers 1924.
Quai bas et gare paisible à Saint-Germain-des-Prés, sur la ligne d’Orléans à Chalons, et pas du tout au Quartier Latin, vers 1880.

L’opinion de Jean Tuja sur les quais hauts.

Cet auteur du livre très technique « L’exploitation technique du chemin de fer et l’organisation du transport », paru en 1948 chez Léon Eyrolles, est ingénieur en chef à la SNCF. Il est un des très rares auteurs et ingénieurs à donner son avis sur les quais hauts :

« Les trottoirs hauts, évidemment avantageux pour l’écoulement des voyageurs, ne sont pas sans inconvénients : ils sont gênants pour la visite des organes de suspension, de freinage et de roulement et accroissent, dans certains cas, la gravité des chutes des voyageurs. Ils soulèvent, d’autre part, des difficultés si l’on veut disposer d’un matériel roulant s’adaptant à la fois aux trottoirs hauts et aux trottoirs bas, en raison de la difficulté de faire tenir l’ « emmarchement» dans le gabarit, on ne peut, en effet, réaliser que des solutions moyennes, laissant un vide assez important entre le quai et la plateforme des voitures, notamment dans les courbes. Enfin, la présence de trottoirs hauts introduit des complications appréciables pour la circulation des chariots à bagages dans les gares. »

A Fouilletourte, comme sur la plupart des réseaux départementaux en voie métrique, en 1910, on se passe de quai.
À Salles, sur le réseau de l’Alsace-Lorraine, en 1909, quand il faut poser pour la postérité, les quais, eh bien… on s’en f…
Même attitude ici, pour l’arrivée des “bleus” en gare de Verdun, vers 1910.
Les quais en îlot et à un seul bord, comme ici à Denain sur le réseau du Nord vers 1905, créent une situation de danger et d’ambigüité. Sur la droite, un voyageur risque son intégrité physique et celle de son chapeau melon.

Les chemins de fer économiques : « jadis » des quais hauts de 95 cm ?

Le « Traité des chemins de fer économiques » de C.A. Opperman, paru en 1873 chez Dunod, est un des rares à aborder la question de la hauteur des quais. Page 316, toutefois, il en est question et l’auteur affirme, d’emblée : « Ces trottoirs avaient autrefois une hauteur de 90 à 95 cm, de façon à se trouver presque au niveau du plancher des wagons. Aujourd’hui, on leur donne une hauteur de 30 à 38 cm, et, aux abords des plaques, on descend le quai par plan incliné jusqu’au niveau de la voie pour ne faire aucune saillie ». Ce livre est écrit pour encourager la construction de lignes secondaires, départementales, ou même de type privé industriel ou agricole, dans une France qui n’a construit, pratiquement, que de très coûteuses lignes d’intérêt général sous le Second empire. Or le désastre de Sedan impose désormais des économies… Quoi qu’il en soit, on apprend donc, en lisant quelque peu entre les lignes, que la pratique des quais hauts « autrefois » (sans doute au début du Second empire) aurait été assez répandue, puis abandonnée. Pour quelles raisons ? Le coût, peut-on penser, ou l’accumulation d’inconvénients d’ordre technique dont nous faisons état dans cet article. Mais c’est intéressant à signaler.

« Trottoir bas» et « trottoir surélevé », d’après la Revue Générale des Chemins de Fer (RGCF) paru en 1890. On notera les pentes des quais qui sont de l’ordre de 3 cm, pour le déversement des eaux de pluie vers la voie.

Un casse-tête pour les ingénieurs: l’emmarchement.

De ce fait, un même type de matériel roulant pourra trouver des quais de différentes hauteurs sur un même trajet, et cela se produit sur les lignes de banlieue qui sont, dans les faits, une succession de lignes ayant connu, indépendamment les unes des autres, des appartenances à des compagnies différentes ou des âges techniques différents laissant en place, pour telle ou telle partie, des équipements et des installations fixes répondant à des normes différentes. Alors, il faut concevoir un emmarchement complexe permettant aux trains de passer d’un système à un autre, et aux voyageurs d’accéder au train sans risque de poser le pied dans un vide dangereux, quelle que soit la hauteur des quais rencontrés et leur éloignement par rapport au rail.

Le cas des Z-5300 est exemplaire, et témoigne de la complexité du problème sur la banlieue ouest de la région parisienne. La RGCF y consacre un important dossier dans son numéro de juin  1967, sous la signature de l’Ingénieur Principal Bernard, de la Division des Études de Traction Électrique (DETE) de la Direction du Matériel de la SNCF.

Chaque face de véhicule est pourvue de trois portes d’accès, ce qui permet de les identifier immédiatement, cette particularité de trois portes par face les distinguant de l’ensemble des autres rames inox du parc de l’époque qui sont dotées de quatre portes. Ces portes sont à deux vantaux coulissants, conjugués par vis et écrous à billes et offrant une largeur de passage de 1,30 m. Les vantaux des portes extrêmes sont parallèles aux faces, mais les portes centrales, elles, sont disposées obliquement et forment un angle dit «  en V », afin de diminuer l’importance des gaines intérieures dans la caisse. Cette différence résulte de la position en retrait des portes centrales imposée par le gabarit de construction. L’ouverture des portes, effectuée manuellement sur la première moitié de la course, est ensuite à assistance pneumatique sur la seconde moitié.

La RGCF précise que la solution consistant à rendre l’ouverture complètement automatique n’a pas été retenue, car elle aurait exigé un blocage des portes durant la marche pour éviter les risques d’ouvertures accidentelles. La fermeture pneumatique des portes est commandée par le chef de train qui dispose d’un interrupteur spécial auprès de chaque porte extrême des véhicules de l’élément. L’emmarchement des portes ne demande qu’une marche intermédiaire entre le plancher des véhicules et les quais bas, à l’exception des portes extrêmes de l’automotrice pour lesquelles une marche intérieure supplémentaire permet de rattraper le niveau de 1,20 m.

Pour les gares en courbe : on bloque les portes.

Tout se passe au mieux lors du stationnement sur les quais hauts des gares de Vitry et de Paris-Orsay où les voyageurs passent directement du quai au plancher, ce qui favorise leur mouvement lorsque les quais sont en alignement. Par contre, tout se complique devant les quais hauts en courbe de la gare d’Orsay, où il existe un vide important entre l’emmarchement des portes centrales et le quai extérieur à la courbe. La seule solution trouvée à l’époque est purement et simplement un blocage automatique de ces portes,  prévu pour les éléments stationnés devant les parties de quais en question, du fait de la présence en ces endroits d’un troisième rail mis sous tension de 24 V. Le blocage est réalisé par un système pneumatique, et au moyen de frotteurs installés sur les bogies des remorques intercalaires, et d’une électro-valve par porte. Compte tenu de la disposition des quais et des éléments (les automotrices sont toujours orientées « côté province », le blocage n’intéresse qu’une face d’élément). Des voyants lumineux situés à l’intérieur et à l’extérieur de chacune des portes intéressées indiquent aux voyageurs qu’il convient d’utiliser les portes voisines. On peut supposer que cela n’a pas dû se vivre dans la joie et la satisfaction pour les voyageurs, notamment pour les touristes venant visiter le musée pour la première fois de leur vie et se battant avec une porte récalcitrante et obstinément fermée, et ne songeant certainement pas à prendre en compte le voyant lumineux invitant à courir à une autre porte…

Les rames Z-5300, le meilleur matériel de banlieue des années 1960.

Les rames dites « Z2N » de 1983, retrouvent le même problème, et qu’elles soient en version 1500 volts (Z-5600) ou en version monophasé 25.000 volts à fréquence industrielle (Z-8800) doivent être compatibles avec trois hauteurs de quais différents, à 385 mm, 600 et 970 mm au dessus du plan de roulement.

Même les rames des décennies récentes auront à affronter le problème des différences de hauteurs des quais. Rame Z-20854 en gare de Lyon et « Transilien » en gare de Pantin.

Mais, toujours dans les mêmes types de contraintes, les rames Eurostar d’aujourd’hui doivent accepter des quais anglais hauts de 915 mm et situés à 1446 mm de l’axe du train, plus des quais belges hauts de 760 mm et situés à 1680 mm de l’axe du train, et, “last but not least”, des quais français hauts de 550 mm et situés à 1655 mm de l’axe du train. En outre, dans le tunnel, il y a des quais de secours hauts de 525 mm situés à 1888 mm de l’axe du train ! Il a fallu concevoir un emmarchement à deux marches rétractables, l’une à 980 mm et l’autre à 762 mm, la marche supérieure étant plus en retrait pour donner un « escalier » en cas d’utilisation simultanée des deux marches.

Schéma simple, mais significatif du problème des hauteurs et distances des quais pour l’« Eurostar» en 1994.

Même les trains les plus récents, les plus perfectionnés et les plus performants, n’échappent pas au poids de deux siècles histoire ferroviaire et aux plus vieux problèmes techniques qui les rattrapent… malgré leur grande vitesse !

Et, pour finir : les protestations de Mme de Pinieux.

Cette (sans doute très distinguée) lectrice du mensuel « Rail et Route » écrit à cette revue en avril 1951 et descend en flammes, avec une élégance mondaine, les belles voitures DEV dites « Forestier » ou OCEM que la SNCF a créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.:

« Pourquoi les wagons d’express du dernier modèle sont-ils ridiculement hauts pour y monter avec un marchepied qui est une véritable échelle droite ? Les gens âgés ne peuvent y monter sans aide, les enfants au-dessous de 10 ans doivent être pris sous les bras et accrochés à la première marche pour pouvoir monter. J’ai voyagé en Suisse dernièrement, j’ai vu des trains où on pouvait monter avec aisance en tenant ses deux valises en mains sans être obligé d’employer les mains. J’ai regardé attentivement pour voir si cela venait du quai surélevé par rapport aux quais français, mais j’ai constaté que le quai était plutôt moins haut qu’en France. C’est probablement le wagon qui est surbaissé et, en tout cas, le marchepied beaucoup mieux proportionné. On aurait pu en France, pour ces wagons si hauts, mettre une marche de plus en perdant un peu de place à l’intérieur. À vrai dire, nous sommes bien mal servis avec des trains si difficiles à monter. »

Le rédacteur en chef de la revue répond galamment : « La raideur de l’emmarchement des voitures d’express résulte du peu d’espace dont on dispose dans les extrémités de ces véhicules pour y loger le marchepied. Celui-ci doit, en effet, être installé entre le gabarit, d’une part et les organes du dispositif de tamponnement, d’autre part. Cet inconvénient est, au reste, commun à toutes les voitures françaises ou étrangères dont les marchepieds sont ainsi situés aux extrémités. Les marchepieds placés vers le milieu de la caisse des voitures (cas de la majorité des voitures suisses) peuvent, il est vrai, donner accès à une portion surbaissée du plancher de la voiture et être, de ce fait, moins raides, mais cette disposition des accès n’est pas sans présenter, par ailleurs, d’autres inconvénients (en particulier, celui de priver les voyageurs assis de l’emplacement central qui est, a priori, le plus confortable). D’autre part, il n’est pas possible de surbaisser le plancher aux extrémités des voitures en raison de la présence des bogies à ces emplacements ».

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