Curiosité ferroviaire pour l’amateur qui d’ailleurs évite, comme tout le monde, d’y prendre place vu l’inconfort généreusement offert, la remorque d’autorail était, dans son principe, aussi ancienne que l’autorail puisque, dès les débuts des années 1920, il a fallu faire face à la spirale infernale engendrée par l’autorail lui-même. En effet, pour les lignes en perdition, concurrencées par la route, l’autorail s’est retrouvé dans un rôle de sauveteur à un point tel que, ramenant vers le chemin de fer de nombreux voyageurs « égarés », l’autorail ne pouvait plus suffire à la tâche, car, désormais, il n’offrait plus assez de places devant l’afflux qu’il avait créé !

Des voitures devenues inopinément des remorques d’autorail.
La solution transitoire, et immédiate, est de « dégarer » une ou deux voitures de type omnibus, à deux ou trois essieux et assez légères, pour en faire des remorques d’autorails qui n’épuisent pas les possibilités du moteur de l’autorail. C’est alors l’époque d’un « bric-à-brac » incroyable en matière de trains de voyageurs, durant laquelle on fait remorquer, par les rares autorails encore disponibles, tout ce qui peut servir de matériel remorqué pour y placer des voyageurs…




Faute de remorques, on met derrière les autorails des voitures anciennes, dont beaucoup de construction allemande et ont été jadis livrées en 1919 au titre des réparations de guerre, à la suite de l’armistice. D’anciennes voitures prussiennes à trois essieux, portières latérales et lanterneaux, sont même pompeusement peintes en rouge vif et crème pour faire d’elles, tant bien que mal et au prix d’une ruse esthétique, des remorques d’autorail, selon la technique du caméléon qui se fond dans le décor !
Des autorails devenus tout aussi inopinément des remorques d’autorail.
Mais on voit des autorails eux-mêmes servir de … remorques d’autorail. En effet, leur moteur ou leur transmission, faute de pièces détachées, ne peuvent être remis en service ou entretenus d’une manière suivie. Bien entendu, cette période n’a qu’un temps, et, dès la fin des années 1950, tout est redevenu normal, les autorails retrouvant leurs moteurs, leur transmission, et les ateliers leurs pièces détachées et leurs techniciens.
Pour en revenir aux remorques d’autorail improvisées, le prix de l’originalité revient, sans nul doute, aux immenses remorques ex-“Micheline” qui sont, en fait, d’authentiques « Michelines » de type 23 (ou dites « 96 places ») qui ont perdu leur moteur, leur transmission, leurs cabines de conduite d’extrémité, et leurs bogies à roues dotées de pneumatiques – ce dernier détail faisant que l’on ne pouvait plus les appeler des « Michelines »… Longues de plus de 26 mètres, ces 23 remorques sont construites en 1953 à partir d’automotrices Michelin, et dureront une vingtaine d’années, en tant que série XR-8801 à 8823. Recevant en atelier des extrémités de caisse inédites et dont le style surprend, mais ne manque pas de charme et d’élégance, recevant aussi de rudes et rustiques bogies de type marchandises, ces remorques circulent derrière des autorails, principalement dans la région lyonnaise. La transformation donne, en fin de compte, des remorques assez réussies, très longues et très spacieuses, et les bogies à très faible empattement garantissent une inscription en courbe parfaite et très douce, tout en occasionnant un mouvement de lacet assez violent et bien caractéristique de ces remorques, et qui berce efficacement les voyageurs les plus difficiles à endormir.

On les voit circuler dans la région lyonnaise ou stéphanoise, remorquées par des autorails X-3800, ou même formant des compositions intégrales sous la forme de trains remorquées par des BB-63000. Elles tiennent remarquablement le coup en service et constituent longuement le dernier témoignage de ces improvisations de l’époque héroïque de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles disparaissent de la scène ferroviaire durant les dernières années 1960 : les remorques unifiées construites par la SNCF ont définitivement pris le relais pour assurer l’ensemble des trains composés avec du matériel de type autorail.
Les nombreuses sous-séries de remorques Decauville.
Lorsque la firme Decauville, un très important constructeur ferroviaire, propose en 1939 sa remorque d’autorail à la toute jeune SNCF, elle ne sait pas encore, sans nul doute, qu’elle a devant elle un marché immense et un succès assuré avec 772 exemplaires en vue…

Longue de 20,55 m, la première série de 15 remorques (1939), immatriculée XR-6001 à 6015, offre 70 places assises et 5 strapontins, et circule sur la région Sud-Est. Longue de 20,68 m, la 2e série (1948), immatriculée XR 7201 à 7220, comprend 20 remorques offrant 70 places et 11 strapontins et se distinguent extérieurement des précédentes par une baie supplémentaire du côté des W-C. Reconnaissables à leurs 3 baies d’extrémité, immatriculées XR-7301 à 7581, XRBD-7801 à 8018 et 8101 à 8293, et enfin XR AD-7307, 7362, 7374, 7375 et 7384, les remorques de la série unifiée ont une longueur de 21,192 m. Construites par Decauville et d’autres constructeurs entre 1952 et 1963, leur capacité varie de 55 places en 2ᵉ classe + 20 places en 1ʳᵉ classe à 65 + 12 dans ces 2 classes, ou encore 66 à 81 places en 2ᵉ classe uniquement, ceci selon la présence d’un compartiment à bagages variant de 6,4 à 15,3 m³.





Après la Seconde Guerre mondiale, le succès reprend : les XR-7300 sont commandées de 1950 à 1958. Outre les places en 2ᵉ classe, elles ont une petite salle de 1ʳᵉ classe, au centre et un compartiment à bagages du même côté. Les XR-7100 sont produites, mais uniquement pour les voyageurs de 1ʳᵉ classe. Les XR-7307, 62, 73-74 et 84 sont également transformées avec le même nombre de sièges de 1ʳᵉ classe. Les XR 7800 sont une variante plus tardive avec un grand compartiment à bagages et une salle de 1ʳᵉ classe. Enfin, la SNCF commande des remorques purement de 1ʳᵉ classe et un compartiment à bagages : les XR-8100.
Autorails et remorques : le problème.
Lorsque la SNCF construit, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, son programme d’autorails unifiés, ceux-ci ont tous en commun d’être des autorails à une seule caisse, un point important qui vaudra, dans l’histoire des autorails de la SNCF, bien des retournements en matière de conception et de doctrines. L’autorail monocaisse est la formule de base utilisable telle quelle en exploitation quotidienne. La remorque est considérée comme un appoint éventuel pour une journée de pointe, mais elle pénalise fortement les performances.
La SNCF s’apercevra que l’utilisation quasi systématique des remorques, du fait du manque de capacité des autorails, non seulement ruine les performances, mais aussi complique la tâche des agents d’accompagnement. Alors, durant les années 1960, la SNCF revient à l’autorail bicaisse à deux éléments articulés (X-4300 et 4500) qui est bien plus performant que le système autorail+remorque et qui permet la circulation des agents et des voyageurs sans contrainte. Ces autorails, motrice ou remorque, sont particulièrement confortables. Mais un retour tardif durant les années 80 se fait à nouveau en faveur du monocaisse (X-2100, X-2200), avec comme gain essentiel sur la main d’œuvre puisqu’un unique conducteur peut tout faire, y compris le ramassage des billets. Voilà qu’il faudra, à nouveau, construire des remorques, les très récentes XR-6000 construites à partir de 1978.



Le confort : mention “passable”.
Assez bien suspendues, les remorques Decauville ne sont pourtant guère appréciées par les voyageurs. Le chauffage à eau chaude et chaudière “Thermo-Pull” des débuts trouvent vite leurs limites sur les lignes de montagne en hiver. Le système à brûleur à gazole et air pulsé des séries unifiées est meilleur. Des toilettes plus fonctionnelles sont un « plus » appréciable, mais les voyageurs préfèrent la motrice malgré tout, et regrettent le confort du « vrai » train classique qu’il a fallu supprimer, faute de fréquentation.






La remorque d’autorail XR-6000 : la renaissance d’un genre pourtant obligé.
Nous sommes en 1978, quand les nouvelles remorques d’autorail apparaissent sur le réseau de la SNCF. La remorque d’autorail XR-6000 marque, discrètement sans doute, un tournant dans l’évolution des politiques de traction et d’exploitation de la SNCF sur les lignes secondaires françaises des années 1970-1980. C’est le retour d’une formule que l’on croyait définitivement dépassée : l’autorail et ses remorques. Toujours là, ces remorques d’autorail…
Pas vraiment des “voitures” dont elles n’ont pas l’appellation, mais reléguées au rang de « remorques », elles sont pourtant indispensables, ces mal aimées du chemin de fer. Elles jouent bien le rôle d’une véritable voiture, car, techniquement parlant, une remorque d’autorail est une voiture dans la mesure où elle est destinée au transport des personnes, et est équipée de sièges, d’un chauffage, de toilettes, de portes et de plates-formes d’accès. Elle remplit, en outre, toutes les conditions de sécurité qu’une voiture de chemin de fer classique assure bien, elle aussi, de son côté.
Mais la remorque d’autorail n’est pas une voiture, pour le monde ferroviaire, dans la mesure où ce type de véhicule ne peut entrer dans la composition de trains de voyageurs. Plus légère qu’une voiture avec une masse moitié moindre (24 tonnes, ici, contre 40 environ), la remorque d’autorail ne peut subir les lourdes contraintes de traction et de compression engendrées par une incorporation dans un train de voyageurs pouvant peser plusieurs centaines de tonnes. La remorque d’autorail circule donc seule derrière un autorail, ou, tout au plus, avec une autre remorque pour former une composition dite à deux ou trois caisses. Nous voici bien loin des compositions à quinze ou vingt caisses des grands trains de voyageurs classiques.

Des caractéristiques techniques classiques.
Construites à partir de 1978 et jusqu’en 1990, ces nouvelles remorques XR-6000 forment une grande série qui se compose des tranches 6001 à 6170 (1978-1987), puis 6201 à 6255 (1988-1990) et elles peuvent circuler derrière les autorails X 2800 – ce type étant celui avec lequel elles ont commencé leur carrière sur les lignes du Massif Central – et puis, surtout, elles circulent derrière les X-2100 et X-2200. Ces remorques offrent 16 places en première classe et 60 places en deuxième classe. À ce total de 76 places assises normales, s’ajoutent trois strapontins pour les heures d’affluence. Un local séparé offre une surface de 6,2 m² pour les bagages, avec un poids total d’une tonne. Le chauffage est autonome et par air pulsé. Le véhicule peut circuler à 140 km/h, grâce à ses bogies du type Y 232, issus des bogies des RGP, assurant une grande stabilité et une suspension très douce.
Nées pour être les « remorques Massif Central ».
Les XR-6000 naissent dans le cadre d’un besoin précis : les puissants autorails du type X 2800 desservent, à l’époque, le Massif Central sur des relations de type régional, et leurs caractéristiques techniques exceptionnelles leur valent de connaître une carrière prolongée : ces autorails sont les seuls à offrir, avec leur puissance de 607 kW, des performances remarquables sur de longs parcours et sur des lignes à profil sévère.
Pesant à vide 24,6 tonnes et 32 tonnes en charge, longues de 24,4 mètres et acceptant une vitesse de 140 km/h, fabriquées à 100 exemplaires, les X-2800 offrent, toutefois, une capacité insuffisante, avec seulement 62 places, pour faire face à la demande les jours de pointe. Il faut, comme il est de tradition avec ce genre d’engin, adjoindre une ou plusieurs remorques, mais que les voyageurs boudent, préférant s’entasser dans l’autorail qui offre un meilleur confort que celui, spartiate, de ces remorques.
Pour répondre à une demande restée fidèle au rail et éviter une évasion de la clientèle en direction de la route, la SNCF fait étudier ces remorques en demandant qu’elles offrent un niveau de confort jusque-là plutôt ignoré dans le domaine de l’autorail. Le succès auprès de la clientèle montre que la remorque d’autorail, si elle est bien conçue, peut maintenir sans la ternir un service ferroviaire sur des lignes à trafic restreint. C’est pourquoi ces remorques prennent le nom de « Massif Central » au début de leur carrière et l’on peut dire d’elles qu’elles représentent un sommet dans l’art de la remorque d’autorail par leur confort qui est très proche de celui des voitures à voyageurs classiques contemporaines. Elles sont donc appelées à former, derrière un X-2800, des compositions à long parcours comme le train Langogne – Nîmes, ou le « Cévenol » alors encore assuré par autorails avec des compositions allant jusqu’à six caisses.
Les autorails et remorques : presque un train sur deux à la SNCF.
La politique de l’autorail + remorques est poussée à un tel point par la SNCF que, avec environ 1100 autorails et 900 remorques, la SNCF assure, en 1962, la proportion remarquable de 44% des parcours de trains de voyageurs, la plaçant en tête de tous les réseaux mondiaux pour une telle proportion. Mais, à partir du milieu des années 1960, la situation évolue. Les grandes électrifications progressent et la traction diesel de ligne, enfin au point, s’empare des lignes de moyenne importance. Le train classique, maintenant remorqué par une locomotive électrique ou diesel, est moins cher, et plus performant et rapide que le train à vapeur.
L’autorail voit le fossé qui le séparait de la locomotive à vapeur se combler quelque peu : c’est bien la locomotive à vapeur, grande gaspilleuse d’énergie et très exigeante en main d’œuvre, qui avait assuré à l’autorail sa « niche » confortable et durable – du moins jusque-là. En outre, le grand public, qui avait vu dans l’autorail des années 1930, un engin moderne, rapide et confortable, voit en lui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quelque chose comme un « has been » du vieux chemin de fer rural et économique, et rêve d’autre chose, notamment en matière de confort.
Tout ceci fait que, vers 1970, est temps, pour la SNCF, de songer à une nouvelle génération d’autorails et à une nouvelle doctrine de leur conception et de leur utilisation. Les nouvelles remorques XR-6000 auront donc un rôle important à jouer.
Le chant du signe des remorques classiques..
Yves Broncard estime, dans son incontournable encyclopédie « Autorails de France » que, à l’époque, les ingénieurs de la SNCF pensent doter les XR-7200 d’un poste de conduite pouvant permettre la circulation en réversibilité avec un autorail X-2400.
Il est vrai que, pour le voyageur qui n’a pu trouver place dans l’autorail et qui monte à bord d’une remorque XR-7200, rien n’est fait pour assurer un accueil chaleureux et réconfortant… Même si, depuis 1956, la suppression officielle de la 3ᵉ classe par la SNCF fait que, dorénavant, ces remorques sont en 2ᵉ classe, elles sont fort loin d’offrir le confort de ces voitures classiques dont certaines, d’ailleurs, peuvent même être une ancienne 1ʳᵉ déclassée. Ici, la 2ᵉ classe est, jusqu’au bout des ongles et sans concession, de la 3ᵉ classe la plus « hard » ! Les 70 places assises, toutes en banquettes de 3 + 2 places de front, alignent, à perte de vue, leurs dossiers en « skaï » et même les strapontins qui semblent garnir, comme dans une salle de bal, l’immense plancher en tôle striée du compartiment à bagages sont aussi “hard” que les autres strapontins, ou que le WC rudimentaire, le tout étant dans la même ambiance à l’autre extrémité de la remorque. Au plafond de ces vastes compartiments à bagages, ces crochets à vélos garnissent les plafonds de tôle nue. On peut rêver mieux, surtout au lendemain d’une guerre qui a appris à rêver d’une vie meilleure.
Mais, dès les années 1940, la SNCF de l’époque a décidé de ne pas céder aux rêves du mieux voyager et du mieux vivre (contrairement à l’actuelle !), et elle conçoit un immense programme de construction de centaines de remorques semblables pour assurer l’ensemble des trains omnibus et une grande partie des trains directs et express du réseau d’après-guerre. Bref… à la remorque d’autorail, le bon peuple n’échappera pas, et c’est ce qui fait que, pour les années 1950 à 1970, l’autorail et ses remorques sont bien, par excellence, le train d’usage courant de la SNCF. Les XR-7200, pour leur part, tiendront bon jusqu’aux dernières années 1970, laissant aux remorques unifiées faire l’essentiel de ce travail.
Qui gère ces véhicules difficiles à classer ?
Une des difficultés est de savoir si les remorques sont du monde des autorails, ou si elles sont des voitures à voyageurs. Dans le premier cas, elles dépendent des services du matériel moteur de la Direction du Matériel de la SNCF, et dans le second, elles dépendent des services du matériel remorqué.
C’est ainsi que les remorques qui sont considérées comme étant « strictement liées à leurs motrices », même en cas de composition variable selon la demande, sont inscrites dans la « première catégorie » et sont traitées avec leurs motrices correspondantes au point de vue entretien et exploitation. La « seconde catégorie » des remorques est constituée de voitures classiques transformées pour servir de remorques d’autorail, comme ce fut le cas des 4000 voitures à deux essieux allemandes livrées en 1918, ou de voitures à deux essieux de l’ancien réseau PO-Midi ou de l’Ouest. La « troisième catégorie » est celle des remorques d’autorail construites en tant que telles, comme nos XR-7200 et les remorques unifiées qui leur font suite, et qui sont banalisées pour tous types d’autorails, et gérées par les services du matériel remorqué. Il est intéressant de savoir que, dans la SNCF des années 1990, les remorques d’autorail sont gérées par le service du matériel moteur.
Les autorails des décennies suivantes seront constitués d’une caisse soit de plusieurs caisses formant ce que l’on appellera des « éléments automoteurs » ce qui est, semble-t-il, moins engageant, question confort et performances, que le terme, désormais honni et dépassé, d'”autorail”. Il ne sera, dorénavant, question, dans la communication SNCF, que de “trains automoteurs” : mais, pour l’amateur qui a l’esprit observateur et subversif, comme il se doit, on peut noter que le terme d’autorail est bien toujours présent pour les “Autorails Grande Capacité” (AGC) est passé entre les gouttes et survit toujours.

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