Qui se souvient de l’éphémère, mais bien joli, autorail Dunlop-Fouga ? Il est vrai que Michelin, c’est le pneumatique et que le pneumatique, c’est Michelin… mais pas tout à fait, car Michelin n’a pas inventé le pneumatique, et c’est bien un Écossais nommé John Boyd Dunlop, né à Dreghorn en 1840, qui l’inventa en 1887.
L’aventure Dunlop, mais pas vraiment ferroviaire.
Dunlop est une multinationale d’origine britannique installée dans le “complexe” Fort Dunlop comprenant l’usine et le siège de la marque, un grand site construit à Erdington, un quartier de la ville de Birmingham (Angleterre). Dunlop est fondée en 1888 par l’Écossais John Boyd Dunlop (1840-1921) inventeur des pneumatiques gonflables. Celui-ci eut l’idée de coller sur les roues en bois d’un vélo des bandes de caoutchouc et d’y insuffler de l’air, créant à la fois le confort et la moindre dépense d’énergie. Le premier pneumatique était né et en 1888, JB Dunlop en déposait le premier brevet le 23 juillet de cette même année.
Dunlop passera beaucoup de temps et d’énergie à conquérir le monde et à créer des filiales sur le continent européen. En 1891, Adolphe Clément-Bayard acquiert la licence de fabrication pour la France. En 1893, il crée à Levallois-Perret la Compagnie française du pneumatique, puis à Argenteuil en 1895 il ouvre une autre usine. Deux autres usines seront par la suite implantées en France, à Montluçon en 1919, dans une ancienne usine de chargement d’obus et à Amiens en 1957. La société britannique s’implante également à Hanau en Allemagne. L’extension de l’empire Dunlop continua les années suivantes avec une implantation au Japon dès 1909. Au sein d’une production très variée, le pneumatique est le produit phare, que ce soit pour des voitures particulières, des camions, des tracteurs, des avions (« Spitfire » ou « Lancaster » de la Royal Air Force), mais tout aussi bien des jantes, des bottes, des chambres à air ou encore des balles de tennis que l’on verra souvent voler à Roland Garros. Dunlop sera très présent aux 24 Heures du Mans : souvenons-nous de la fameuse passerelle Dunlop qui a été construite en 1924, dès la seconde édition des 24 Heures. Elle est en forme de tronçon de pneu qui enjambe toujours la « chicane » Dunlop au circuit du Mans.
En 1948, Dunlop ajoute la literie avec la marque Dunlopillo (« pillow » veut dire « oreiller » en anglais), et les premiers matelas en mousse de latex. Pendant les années 1970, Dunlop innove encore en produisant le premier système roue/pneu qui permet de continuer de rouler en sécurité en cas de crevaison. En 2003, Dunlop est rachetée par l’Américain Goodyear, sauf la division des pneumatiques pour l’aéronautique (Dunlop Aircraft Tyres) qui reste une société indépendante. En 2012, Dunlop évolue vers deux firmes distinctes aux actionnaires différents : Dunlop Tires (pneumatiques) et Dunlop Sport.
Dunlop s’aventure dans le monde difficile du chemin de fer.
Les succès de Dunlop dans le monde du pneumatique n’empêchent pas Michelin de devenir le premier fabricant au monde par la quantité et la qualité de ses pneumatiques, et, aussi, d’inventer la “Micheline”, ce fameux autorail sur pneus. Voilà qui stimulera les sentiments compétitifs de la filiale française de la firme Dunlop qui essaie, elle aussi, pratiquant un certain suivisme, d’en faire autant que son concurrent, de s’imposer dans le domaine des chemins de fer et de ne pas laisser la voie totalement libre pour Michelin. L’autorail Dunlop-Fouga connaîtra-t-il le succès ? À voir l’oubli total dans lequel cet autorail est tombé, il faut croire que non.

Un jour de présentation glorieux. Des lendemains qui déchantent.
Le 26 mars 1935 est un jour important pour la filiale française de la grande firme britannique Dunlop : c’est une présentation officielle du prototype d’une nouvelle automotrice, dite du système Dunlop-Fouga, dont la nouveauté de conception intéresse fortement les milieux du chemin de fer en France.
En effet, à l’époque, le « pneu-rail » de Michelin souffre d’un mal endémique qui condamne son avenir ferroviaire : la faible charge par essieu supportée, une ou deux tonnes, pas plus, ce qui est très faible par rapport aux 20 ou 30 tonnes supportées par un essieu en acier. Les ingénieurs de Michelin n’ont d’autre solution que de répartir la charge sur le plus grand nombre d’essieux possibles pour diminuer le poids par essieu, donc de faire des Michelines qui sont de véritables millepattes pour ne pas dire “milleroues”.
Les ingénieurs de Dunlop pensent que, au lieu de multiplier les pneumatiques et les complications, on pourrait mélanger les genres et utiliser concurremment des roues de deux types : les roues ferroviaires classiques en acier et les roues à pneumatiques, chaque type de roue apportant avec elle ses qualités et ses certitudes techniques, et réduisant les défauts de l’autre type.
Somme toute, ils ne font rien d’autre qu’appliquer le principe classique, et déjà utilisé à l’époque et « réinventé» aujourd’hui avec certains trains dits « du futur ». Il s’agit des automobiles que l’on fait rouler sur des voies ferrées en les équipant de galets de roulement disposés de part et d’autre des roues d’origine de l’automobile pour assurer leur guidage sur le rail. Dunlop expérimente cette solution avec une camionnette Berliet circulant sur les voies intérieures de son usine de Montluçon.
C’est ainsi que le 1ᵉʳ août 1932, une grande et bourgeoise limousine familiale Hotchkiss, équipée de huit galets encadrant ses quatre roues, a transporté les personnalités venues inaugurer la ligne de La Ferté-Hauterive à Gannat. Munie d’un cric rotatif central placé sous son châssis, la voiture s’est engagée sur un passage à niveau et, levée par son cric, elle a pivoté, puis est redescendue pour reposer sur les rails, et gagner la gare de départ du trajet inaugural. Voilà comment Dunlop entend présenter l’acte de naissance de son système « Rail-route Dunlop », dument affiché à l’avant de la voiture.

Le mélange des genres et des roues.
Revenons à notre autorail Dunlop-Fouga. Deux types distincts de roues sont donc utilisés dans cet autorail, chaque type étant spécialisé dans sa fonction particulière, à savoir des roues-guides à bandage métallique, de profil ferroviaire classique, d’une part, et, d’autre part, des roues porteuses, motrices sur l’un des bogies et porteuses sur l’autre, dépourvues de boudins de guidage et munies de pneumatiques. Cette solution permet d’ores et déjà d’éviter le pneumatique spécial pour voies ferrées qui doit être étroit et d’utiliser des pneus qui, bien qu’établis en vue de cette application, présentent toutes les caractéristiques du pneumatique routier classique et capable de transporter, sur la route et sur le rail, une charge de deux tonnes.
Entre autres avantages, la présence simultanée des deux types de roues permet de proposer une solution au problème de la limite de pression des pneumatiques sur rail. En effet, avec l’autorail Dunlop-Fouga, la charge supportée par les roues à pneumatiques est susceptible, par un dispositif approprié, d’être partiellement, ou même totalement, reportée sur les roues à bandage métallique. En somme, on a, par rapport aux vicissitudes du pneumatique, une position de repli.


Cet autorail comporte huit essieux répartis entre deux bogies de quatre essieux chacun. Chaque bogie possède une traverse médiane articulée, à chacune de ses extrémités, comme un essieu avant d’automobile. Cette articulation ne se fait pas sur une fusée de roue directrice, mais sur un petit longeron qui porte quatre roues alignées dans un même plan, dont deux roues à pneumatiques encadrées par deux roues-guide à bandage métallique ferroviaire. L’ensemble, complété par des barres d’accouplement, constitue un parallélogramme déformable qui s’inscrit dans les courbes de la voie. La caisse repose sur la traverse médiane par l’intermédiaire de deux ressorts à lames, exactement dans les mêmes conditions qu’une caisse d’automobile repose sur sou essieu avant.
Les fusées des roues pneumatiques sont solidaires des petits longerons, mais ceux-ci reposent sur les roues-guide par l’intermédiaire d’un bras articulé et d’une suspension réglée de telle manière que tout excès de charge soit évité au pneumatique. En cas de dégonflement de l’un de ceux-ci, le poids qu’il devrait supporter est pris automatiquement en charge par la roue-guide voisine qui est de type ferroviaire et qui peut assumer cette surcharge.
Le mécanisme, complètement indépendant de la caisse, repose, par l’intermédiaire de ressorts à lames, sus les traverses médianes des bogies. On évite ainsi la transmission à la caisse et aux voyageurs de vibrations désagréables. Mais on protège le mécanisme contre les réactions de la voie, puisque celles-ci ne sont transmises que par l’intermédiaire des roues à pneumatiques. L’adhérence des pneumatiques au rail qui est, on le sait, de beaucoup supérieure à celle des roues métalliques, peut être momentanément accrue par l’emploi d’un dispositif de surcharge des roues motrices que le conducteur actionne au moyen d’un bouton de commande. Un frein de service normal agit sur les seules roues métalliques. Un frein complémentaire, agissant sur les roues pneumatiques, permet des arrêts d’urgence. Enfin, un troisième frein, agissant sur la transmission, joue le rôle d’un frein de secours et d’arrêt. Le gonflement des pneumatiques s’effectue au moyen d’un raccord branché sur la conduite générale, où la pression est exactement celle des pneumatiques.


Le réseau du Midi est preneur, mais pas le P.O.-Midi.
Le réseau du Paris-Orléans (PO) travaille beaucoup pour Dunlop dont il transporte les matières premières et il prête une oreille attentive aux projets d’un bon client qui veut construire un autorail sur pneus.
En 1933, le réseau accepte de commander, auprès des établissements Fouga de Béziers, qui assurent pour lui de l’entretien de matériel roulant ferroviaire, un autorail à moteur diesel allemand Maybach, boîte de vitesses suisse SLM, placé donc sous le signe de la très haute qualité technique, et pouvant transporter 49 voyageurs assis.
Prévu pour les petites lignes de l’étoile de Mont-de-Marsan, l’autorail est livré en 1935. Pendant ce temps, en 1934, le réseau du Midi a fusionné avec celui du Paris-Orléans et le résultat est que le nouveau réseau du PO-Midi préfère ne pas s’encombrer d’un tel prototype et l’affecte à Montluçon, où, pour le moins, il ne sera pas éloigné de l’air pur de son pays natal et des usines Dunlop qui pourront ainsi admirer leur jouet, en prendre soin plus facilement, et apprécier ce retour à l’envoyeur peu élégant…



Question élégance, l’autorail est très réussi, et son dessin extérieur, comme sa conception intérieure, ont de la classe. Il roule à 108 km/h en palier, et à 70 km/h en rampe de 10 pour mille, et encore à. 40 km/h en rampe de 35 pour mille. Il atteint 70 km/h en 70 secondes. À la vitesse de 90 km/h en palier, il est capable d’un arrêt sur 120 mètres. À 65 km/h en pente de 33 pour mille, l’arrêt est obtenu sur 150 mètres. Le freinage est du type Lockheed sur les tambours des roues métalliques et sur les tambours des roues pneumatiques. Il existe un frein de service et d’arrêt sur l’arbre de transmission, entre la boîte de vitesses et les essieux moteurs. Il y a un poste de conduite à chaque extrémité. Les installations voulues ont, bien entendu, été faites aussi en ce qui concerne le confort des voyageurs avec une ventilation multiple, un chauffage, un éclairage électrique, des toilettes W.-C., etc.
L’autorail mène une carrière discrète, malgré une venue très médiatisée à la gare d’Austerlitz à Paris, le 26 mars 1935, pour sa présentation officielle et pour transporter jusqu’à Montluçon des personnalités, dont le maréchal Pétain, alors ministre de la Guerre, Raoul Dautry, directeur du réseau de l’État et grand amateur d’autorails, et Jean-Raoul Paul, directeur du réseau du Midi. Roulant relativement peu, l’autorail sera garé pendant la Seconde Guerre mondiale et retiré du service en 1949. On ne sait ce qu’il est devenu.
Caractéristiques techniques.
Autorail à bogie type 1B1+ bogie porteur 4 essieux
Moteur : Diesel à 6 cylindres 140×180 mm
Puissance : 150 ch.
Boite des vitesses : 4 vitesses + changement de sens de marche.
Transmission : par roue et vis sans fin.
Commandes à distance par transmission hydraulique.
Longueur : 17,12 m.
Masse à vide : 17 t.
Vitesse : 108 km/h.
Un magnifique article.