Une certaine BB, star des années 1950.

Il s’agit de la locomotive qui a fait de l’ombre à Brigitte Bardot et qui a osé, elle aussi, avoir pour initiales les deux lettres mythiques : BB.

Magnifiquement reconstituée (caisse de la BB-9003), la BB-9004, avec son record à 331 km/h en 1955, devient la “diva” des BB françaises de vitesse. Ici, Philippe Mirville, alors à la tête de la Cité du Train (Mulhouse), prend de belles photos lors de la préparation de l’exposition organisée par la SNCF au Grand Palais en 2007.

En 1951, la SNCF commande à l’industrie privée quatre locomotives de type BB pour trains rapides. Associer la disposition d’essieux BB à l’idée de vitesse est, pour le chemin de fer français, une innovation. Bien sûr, des réseaux pionniers de la traction électrique, comme celui du PO avec la ligne reliant les gares d’Austerlitz à Orsay, dès 1900, ou comme ceux du Midi et du PO, dès les années 1920, avec un lourd trafic marchandises sur leurs grandes lignes, ont mis en service de nombreuses locomotives à disposition d’essieux type BB. Mais ce sont loin, très loin, d’être des locomotives de vitesse.

Ce sont les chemins de fer suisses qui conçu les premières locomotives de vitesse de ce type, et la SNCF se tourne vers l’industrie suisse pour la construction en totalité ou en partie de ces locomotives.  

À la fin de la seconde guerre mondiale, les CFF remplacent les types 1C2 ou Ae 3/6 qui datent des années 1920. De nouvelles locomotives doivent pouvoir circuler plus rapidement dans les courbes (comme la très admirée type BB ou Ae 4/4 du BLS), en tête de trains de 460 tonnes sur des rampes de 10 pour mille à une vitesse de 75 km/h, mais aussi freiner des trains de 300 tonnes sur des pentes de 38 pour mille. Pour la partie mécanique, la construction a été confiée à la Schweizerische Lokomotiv-und Maschinenfabrik (SLM) à Winterthur et, pour la partie électrique, à Oerlikon (MFO), Brown, Boveri & Cie (BBC) à Baden et à la Société anonyme des ateliers de Sécheron (SAAS) à Genève. Une première série de BB numérotées de 401 à 426 est mise en service dès 1946 à 1948. Le mouvement des BB pour trains grandes lignes est lancé en Europe.

En 1949, la France fait partie des pays qui ne disposent pas de locomotives électriques de vitesse à adhérence totale, c’est-à-dire sans bogies porteurs et directeurs. Restée fidèle à la locomotive à adhérence partielle de type 2D2 dont elle possède 107 exemplaires dont l’âge remonte à 1926 pour les plus anciennes, la France accuse un retard avec ce parc de locomotives électriques de vitesse, très lourdes, roulant à 120 ou 130 km/h, et dont les 130 tonnes sont dures pour les voies, tout en ne laissant que 80 tonnes de poids adhérent pour les essieux moteurs. Cette conception ancienne a été préconisée pour deux grandes raisons à l’époque : une inspiration «vapeur» pour le guidage des machines et leur inscription en courbe (qui deviendra un véritable « dogme » selon le terme même des ingénieurs SNCF), et une obligation de respecter un poids par essieu limite imposé par les voies et les ouvrages d’art, ce qui demande la multiplication des essieux.  

Les persistances d’un dogme ancien.

Ce bogie directeur s’impose, pour la locomotive à vapeur, comme indispensable élément de guidage et de stabilité d’un ensemble mécanique qui est l’objet de mouvements parasites (lacet, roulis) du fait de son grand nombre de pièces lourdes en mouvement alternatif comme les pistons et les bielles. Ces mouvements parasites sont dangereux pour la stabilité, surtout à certaines vitesses critiques qui sont différentes selon les séries de locomotives et qui naissent d’une manière très difficile à situer par le calcul. La solution du bogie avant, à pivot central et rappel par ressorts, s’impose empiriquement durant le XIXᵉ siècle, et notamment aux USA dès les années 1840. Il parvient plus tard en Europe où le poids des conceptions théoriques d’école reste un frein pour toute innovation. En France, il ne triomphe que vers 1880-1890.    

Les premières locomotives ayant des transmissions à bielles se doivent, à leur tour, d’adopter cette solution de type vapeur, ce qui est le cas en Suisse et en Allemagne. Par contre la mise au point de transmissions articulées à mouvement entièrement rotatif (systèmes Buchli, notamment) supprime tout mouvement alternatif sur les locomotives électriques. Toutefois on conserve le bogie directeur et porteur pour une trentaine d’années encore, non seulement par habitude, mais aussi pour des raisons de poids par essieu. En effet, on ne peut construire léger et endurant: les moteurs des 2D2, par exemple, pèsent 7,73 tonnes (pour 750 kW), et il y en a 4, soit 30,92 tonnes de poids uniquement en moteurs. Dès le début des années 1950, les CC-7100 auront des moteurs pesant 3,67 tonnes (pour 582 kW) seulement, et les 6 moteurs de la machine pèsent 22 tonnes. Une locomotive plus récente, la BB-26000, par exemple, a 2 moteurs de 6,4 tonnes, mais donnant chacun 3 000 kW et laissant à la locomotive seulement 12,8 tonnes  pour ses moteurs. La 2D2 pèse 141 tonnes et donne 3 000 kW, tandis que la BB-26000 pèse 90 tonnes et donne 6000kW. Le nombre de kilogrammes de « locomotive » pour donner un kilowatt est tombé de 10,3 à 2,13. C’est donc bien l’allègement des locomotives qui permet, dès l’apparition de la CC-7100 sur Paris-Lyon, de s’affranchir du bogie directeur et porteur, et de tomber en dessous du poids par essieu permettant enfin la construction de la locomotive de vitesse à adhérence totale.    

La Suisse, pays de la BB de vitesse.

Née donc en Suisse vers la fin de la guerre, cette formule ne s’est imposée qu’à la fin des années 1940 sur les réseaux européens dans les esprits des ingénieurs chargés de concevoir le nouveau matériel moteur. On livre encore, dans l’industrie ferroviaire, des 1C1 en Suède, des 2CC2 aux USA, des 2DD2 en URSS, ou des 1CC1 en Afrique du Sud, et la France elle-même, comme nous l’avons vu dans les paragraphes précédents, a encore recours à des 2D2 neuves en 1950 pour la ligne Paris-Lyon.   Le problème, une fois encore et comme souvent dans l’histoire du chemin de fer, et celui du poids par essieu. Si les ingénieurs suisses et italiens pressentent les avantages de la locomotive à adhérence totale, ils se heurtent à celui du poids excessif par essieu que représenteraient le regroupement de l’ensemble de l’équipement de la locomotive, sa caisse et ses organes, sur les seuls essieux moteurs. Il faut donc réduire la masse et l’encombrement de tous les organes par l’utilisation de tôles pliées et soudées pour les châssis de bogies et les caisses, impliquer les flancs de caisse ou le toit dans la résistance de la caisse aux contraintes, réduire les dimensions et le poids des moteurs qui doivent dorénavant être logés dans les bogies, réétudier l’ensemble du matériel de commande ou de transformation (résistances, transformateurs, etc.) pour en réduire le poids.    

La France emboîte le pas.

Les BB-9001 et 9002 françaises sont construites par la société suisse Winterthur-Brown Boveri, et les BB-9003 et 9004 par Le Matériel de Traction Electrique (MTE), une société française, et Oerlikon, qui est d’origine suisse.  Ces machines ont un poids voisin de 80 tonnes seulement, et peuvent fournir jusqu’à 3 400 kW sous tension maximale, c’est-à-dire approcher, pour ne pas dire dépasser, les performances des 2D2 ou des CC pesant pourtant plus de 140 ou de 100 tonnes respectivement.   Si les CC ont représenté une étape technique importante avec, notamment, l’application de l’adhérence totale pour la première fois à une locomotive de vitesse, ces BB vont encore plus loin avec des bogies courts, une transmission par arbres et cardans, une suspension et des liaisons bogie-caisse nouvelles. L’innovation technique se situe donc essentiellement au niveau de la disposition mécanique de ces locomotives.    

La BB-9001, prototype fondateur pour la SNCF de ses BB de vitesse, vue ici en 1955.
En modélisme “H0” de grande diffusion à l’époque, seule la marque VB s’intéressera à la BB-9001.
La “vraie” BB-9004, vue “en majesté” sur un superbe document SNCF de l’époque. Les voitures “OCEM” n’ont plus qu’à bien se tenir et “faire jeune” autant que faire se peut.

Un équipement électrique intéressant historiquement.  

Sur le plan de l’équipement électrique, ces locomotives sont différentes les unes des autres. Les BB-9001 et 9002 sont dotées de contacteurs, selon une technique qui aura une descendance à la SNCF sur les locomotives BB-9400 et CC-6500, avec des arbres multiples. L’élimination des résistances et le changement des couplages des moteurs est effectué par servomoteur et arbre à cames sur la BB-9001 et par contacteurs individuels électro-pneumatiques sur la BB-9002.   Par contre les BB-9003 et 9004 ont des appareils disposés au large dans une longue caisse impliquant des arbres de commande très longs. L’accès pour la maintenance et la tenue en service, ici, sont irréprochables. La descendance sera cependant plus restreinte avec les BB 9200 et 9300 françaises, et les locomotives BB belges.    

Une série de “BB Jacquemin” pionnières ?

De ces quatre BB, deux, les BB-9003 et 9004, auront une longue descendance, laissant les BB 9001 et 9002 dans un statut de prototype d’essai. Toutefois, les BB-9001 et 9002 lègueront à la postérité leurs moteurs formant la série très importante des BB-9200 et 9300. Les BB-9003 et 9004 lèguent surtout leurs bogies conçus par l’ingénieur Jacquemin, dotés de système de rappel transversal par suspension pendulaire et de transmissions unilatérales par arbres creux et cardans.   Moins chères que les 2D2 ou les CC, avec un prix de revient de 1 500 000 Frs contre 2 000 000 Frs à l’époque, plus légères et plus puissantes puisque l’on passe des 40 kg par watt des 2D2 à seulement 20 kg par watt avec ces BB, ces locomotives illustrent bien l’effort de recherche et d’innovation de la décennie de l’immédiat après-guerre à la SNCF. Les records de 1955 viendront d’ailleurs consacrer la BB-9004 comme locomotive de l’avenir, même si la CC-7107 participe, elle aussi, à l’exploit et sera gratifiée officiellement de la même vitesse pour ne pas faire de jaloux, comme l’écrit Louis Armand lui-même.  

Notons que, à la Cité du Train-Patrimoine SNCF (Mulhouse), on a la chance de voir une courageuse reconstitution de la BB-9004 dans une présentation identique à celle du record de 1955, la partie mécanique de la BB 9004 ayant été gardée et incorporée dans la caisse de la 9003, car la caisse de la BB-9004 ne pouvait être sauvée, vu son état de délitement et les manques.

En 1953, Jouef, la marque jurassienne créée en 1949, sort sa BB-9003 en plastique et à piles ou en version mécanique, et pour un prix très accessible qui convertira des centaines de milliers d’enfants au train miniature.
En 1955, Jouef, toujours très populaire, ne perd pas de temps (déjà…) et transforme sa BB-9003 en BB-9004 puisque l’actualité l’y oblige. Un immense succès, une fois encore, sera la récompense.
CARACTERISTIQUES techniqueS

Type : BB

Date de construction : 1953-1954

Courant traction : 1 500 v continu

Moteurs : 4 x 855 kW

Puissance totale : 3 400 kW

Masse : 80 tonnes

Longueur : 15,4 m/16,2 m

Vitesse : 140 km/h/150 km/h  

La BB-9200 : la puissance dans la légèreté continue son chemin.

Longtemps la puissance des locomotives a été corolaire du poids. C’est ainsi qu’il y a eu des «monstres» articulés américains pour qui des poids de 250 à 300 tonnes étaient monnaie courante, et même en France, plus modestement, les dernières locomotives type 2D2 construites pour l’électrification de Paris-Lyon en 1950 pèsent encore 144 tonnes, pour donner 3 680 kW.

Or, exactement à la même époque, le réseau suisse du Berne-Loetschberg-Simplon utilise des locomotives type Ae-4/4 pesant 80 tonnes, et donnant 3 250 kW à 125 km/h. Presque la même puissance pour presque deux fois plus léger…  

De ces quatre BB de vitesse des débuts, les BB-9001 à 9004, seule la série des BB-9200 est la véritable descendante, formant un parc de 92 locomotives construites entre 1957 et 1964. On les voit en tête de l’ensemble des trains rapides du réseau électrifié en 1 500 v continu, principalement sur les grandes lignes des régions SNCF du Sud-Ouest et du Sud-Est d’où elles chassent les 2D2 en fin de carrière.  

Le “Mistral” à l’époque de sa gloire, avec une BB-9200 en tête, bien sûr.
La BB-9201, mythique et très reproduite par les fabricants de modèles réduits en “0” (train-jouet) et en “H0”.
Ci-dessus, les modèles Hornby en “0” et en “H0”.

Si l’ensemble du parc roule à 160 km/h, quatre d’entre elles, les BB-9281, 9288, 9278 et 9282, sont modifiées pour rouler à 200 km/h et deux autres, les BB-9291 et 9292 entreront dans l’ère des grandes vitesses avec un rapport d’engrenages autorisant un 250 km/h. Cette dernière vitesse est plus théorique, d’ailleurs, que pratique dans la mesure où les voies de l’époque n’autorisent pas ces performances et où la puissance disponible serait un peu juste pour remorquer des trains lourds à une telle vitesse.   Les quatre locomotives BB-9281, 9288, 9278 et 9282 seront repeintes en rouge vif pour tracter le train « Capitole » qui roule entre Paris et Toulouse à 200 km/h sur une partie du trajet à partir de 1967. C’est l’époque de leur apogée et de leur vedettariat incontesté, jusque sur les affiches de la SNCF. Elles seront, malheureusement pour elles, chassées de ce grand rôle par les CC-6500 qui ont une puissance nettement supérieure et peuvent remorquer les nouvelles rames « Grand Confort » dans des conditions optimales.  

Le train “Capitole” au grand complet, vu aux garages de Raynal à Toulouse avec la BB-9288

Aujourd’hui: une fin de carrière dans la banalité.

Vers la fin du XXe siècle, les BB-9200 ont perdu tous les attraits de la livrée de leur grande époque : ni couleur rouge pour les ex-Capitole, ni verte à bandeaux aluminium pour les autres, mais un gris «béton» uniforme appliquée progressivement à toute la série, sauf pour quelques machines en livrée «Corail» pour les rames en réversibilité. Mais les BB-9200 sont toujours vaillantes, et, plus récemment encore, certaines ont reçu la nouvelle livrée gris métallisé et rouge de la SNCF ou la toute dernière livrée « En voyage » bleue et grise (BB-509261, par exemple) ou violette et grise (BB-509318).  On en voit aussi en livrée verte et grise « Fret » pour la traction des trains de fret rapides (ce qui est le cas de la BB-409201, par exemple, c’est-à-dire la toute première de la série). Il est vrai que les nouvelles locomotives qui les remplacent ou qui les remplaceront sont, elles aussi, des BB. Cette disposition d’essieux semble immuable, désormais et dans le monde entier.          

Train des années 1960 avec des voitures typiques : UIC, TEE, Eurofima, etc.
Caractéristiques techniques.

Type : BB

Date de début de construction : 1957

Puissance : 3 852 kW.

Nombre de moteurs: 4.

Courant : 1500 v continu.

Longueur : 16,2 m.

Masse : 82 t.

Vitesse : 160/200/250 km/h selon les types.  

La BB-16000 : le monophasé enfin dans la cour des grands.

La BB-16000 n’est pas seulement une version en monophasé de la BB-9200, c’est, pour la traction en monophasé de fréquence industrielle, la permission enfin donnée de “jouer dans la cour des grands”, c’est-à-dire de pratiquer la grande vitesse. Championnes du Paris-Strasbourg et surtout du Paris-Lille à 160 km/h à la fin des années 50, ces machines racées courent encore au début du XXIe siècle sur le réseau de la SNCF et trouvent alors même une nouvelle jeunesse dans la réversibilité avec les trains de banlieue rapides de la grande couronne.    

Le monophasé, pourtant, n’a aucun avenir, surtout dans le domaine de la vitesse. C’est à peu près ce que pensent beaucoup d’ingénieurs et de constructeurs au lendemain de la guerre, et Louis Armand, lorsqu’il entreprend, en Savoie et en 1949, les essais du nouveau système rencontre un scepticisme général. L’ingénieur Marcel Garreau rassure les dirigeants de la SNCF en présentant le monophasé comme un petit système de “traction légère pour lignes de montagne”. En haut lieu, on ne voit pas comment électrifier les grandes lignes autrement qu’en 1.500 volts continu. En 1951, les esprits ont changé peu à peu grâce à un congrès de démonstration à Annecy. En 1954, la ligne Valenciennes-Thionville est électrifiée en monophasé et parcourue à 60 km/h par des locomotives tirant lentement de lourds trains de charbon. Au moins, le monophasé peut prouver son aptitude à la traction des trains lourds et lents. Mais il n’attendra guère pour faire autre chose qu’ « aller au charbon », et quelques années à peine, le voilà en train d’alimenter les trains les plus rapides de France.  

L’électrification dite “Nord-Paris”.

Vieux bastion de la vapeur, le réseau du Nord n’a jamais eu de caténaire quand, en 1958, un siècle après l’arrivée du chemin de fer, la traction électrique fait son entrée en gare de Lille. Présentée au ministère de tutelle dès 1953, cette grande électrification de 399 km de lignes concerne surtout Paris-Lille qui comporte 12 allers-retours de trains rapides voyageurs et 53 gros trains de marchandises quotidiens (certains ont plus de 2.000 tonnes de charge).  

Mais quelle électrification choisir ? En 1953, c’est le continu, bien sûr, et l’on pense déjà à des CC-7100 roulant à 150 km/h vers Lille. Mais le choix du monophasé, pour des raisons de cohérence avec le monophasé de la ligne Valenciennes-Thionville qui commence à étendre son champ d’action, laisse pendante la question de la locomotive de vitesse.  

L’électrification Paris-Lille est officiellement inaugurée en janvier 1959, mais les BB-16000 ont déjà commencé à briller sur la relation Paris-Strasbourg dès 1958.

La locomotive de vitesse de l’Est et du Nord.

La firme MTE propose la BB-16000 qui ne pèse que 84 tonnes et peut donner plus de 4 000 kW à 160 km/h (effort de 10 000 daN à cette vitesse). C’est, en quelque sorte, la version monophasée de la BB-9200 dont elle reprend un grand nombre de caractéristiques, comme les bogies, la caisse. Équipée de redresseurs à ignitrons (sauf pour la BB-16012 équipée de redresseurs au silicium) et de 4 moteurs alimentés à une tension de 1 050 volts (contre 1 500 volts sur les BB 9200), la BB-16000 est, pour des décennies, une locomotive très moderne. La série de 62 engins est commandée et, dès son lancement, elle remorque avec le plus grand brio des trains rapides pour hommes d’affaires qui savourent le confort des voitures DEV en acier inoxydable, qui peuvent téléphoner du train, et qui bénéficient d’un système intégré de parkings et  de locations de voitures, de services spéciaux : bref, la BB_16000 a bien choisi son type de train, celui qui préfigure le futur et le TGV.  

L’ignitron au cœur de la BB 16000.

La BB-16000 est une locomotive fonctionnant certes sous une caténaire alimentée en courant monophasé de fréquence industrielle 25 000 v 50 Hz, mais ses moteurs sont bien des moteurs classiques à courant continu, fonctionnant sous une tension de 1 050 volts. Il faut donc interposer un système abaissant la tension du courant et avant qu’il ne parvienne aux bornes des moteurs, et ,si le classique transformateur est conservé pour la première opération, le redressement ne peut se faire sans le concours de l’électronique de puissance.

La firme Schneider – Westinghouse avec l’ingénieur Yves Machefert-Tassin notamment, met au point un “ignitron”, dit « de 10 pouces » par analogie avec les appellations américaines utilisant le diamètre, mais cet “ignitron” a un diamètre externe de … 289 mm. Pesant 90 kg, cet appareil est capable de redresser le courant 1 050 volts fourni par le transformateur. Chaque BB-16000 reçoit 8 ignitrons scellés et refroidis par eau, alimentant deux par deux les quatre moteurs de traction. Il est à noter que les ignitrons des BB-16000 seront remplacés par des diodes de puissance, et iront poursuivre leur carrière sur les BB-12000 à qui elles apportent une longue survie.

La BB-16062 et son équipe de conduite. Un “accompagnement” inoubliable pour l’auteur de ce site vers la fin des années 1970, sur le Nord.
Encore vaillantes en 2008… mais les BB-15000 prennent la relève.

Un accident dont les conséquences sont, tout compte fait, heureuses.

Gravement accidentée, la BB-16028 est récupérée et le pragmatisme, comme le sens des économies, dictent, une fois encore dans l’histoire des chemins de fer, une conduite très opportune : la création d’un prototype à partir d’une locomotive récupérée. Puisque l’on ne jette jamais rien, et que tout peut resservir, la BB-16028 deviendra la BB-20005, c’est-à-dire une bicourant. Cette locomotive possède un appareillage complet de démarrage en courant continu comme en monophasé, et elle a aussi un freinage rhéostatique parfaitement utilisable dans les deux systèmes.

Essayée avec des bogies normaux de BB-16000 permettant une vitesse maximale de 160 km/h, , elle reçut ensuite des bogies modifiés par les ateliers d’Hellemmes à vitesse maximale de 130 km/h permettant de remorquer des charges plus lourdes, mais à vitesse moindre. Ces deux types de bogies ont permis de préfigurer avec précision les futures machines bicourant BB-25200 (160 km/h) et BB-25100 (130 km/h) qui seront décrites en fin d’article.

La BB-20005 et une brillante équipe des ateliers d’Hellemmes.
Caractéristiques techniques.

Type : BB

Date de début de construction : 1958

Puissance : 4.130 kW.

Courant : monophasé 25 000 v – 50 Hz

Nombre de moteurs : 4.

Transmission : par cardans.

Longueur : 16,68 m.

Masse : 88 t.

Vitesse : 160 km/h.  

La BB-25100 : la grande lignée des bicourant enfin née.

Première véritable locomotive bicourant de grande puissance, lointaine descendante de la lignée des BB-9000, la BB-25100 est la solution tardivement trouvée, mais très efficace, pour résoudre le fâcheux problème de la coexistence, sur le réseau français, de deux systèmes d’électrification différents et difficilement compatibles jusque-là, mais dont on doit bien, pour des questions de coût, conserver l’existence.

À l’ordre du jour dès le début du siècle, la traction électrique fait l’objet de nombreux essais avant 1914. On met en elle de grands espoirs, car la locomotive à vapeur, certes fiable, robuste, performante, reste très gourmande en énergie et en main d’œuvre, et peu disponible. La locomotive électrique est disponible en permanence, économique, puissante, très rapide, mais le problème du transport de l’électricité à grande distance et de l’alimentation en électricité d’un engin en mouvement à partir d’installations fixes est loin d’être résolu.  

En 1920, une commission gouvernementale, après des voyages d’études sur divers réseaux électrifiés dans le monde et notamment aux USA, choisit, comme système définitif français, le courant continu 1 500 volts avec alimentation des locomotives par caténaire, nombreuses sous-stations de transformation de long des voies, alimentation par haute tension.  

Ce système équipe les premières grandes électrifications françaises:les lignes des Pyrénées, puis celles du Sud-Ouest vers Paris, puis Paris-Le Mans, ceci avant la guerre, puis, enfin, Paris-Lyon-Marseille après la guerre. Alors que l’électrification Paris-Lyon-Marseille s’achève au milieu des années 50, la SNCF étudie, sous l’impulsion énergique de Louis Armand, un nouveau système d’électrification consistant à utiliser le courant industriel directement.

Le courant est du monophasé 25 000 volts 50 périodes, et il a l’avantage de se contenter d’installations fixes, légères et moins coûteuses. Les grandes électrifications du nord et de l’est de la France sont alors faites ainsi, puis, peu à peu, le nouveau système gagne l’ensemble des lignes nouvellement électrifiées, englobant peu à peu l’ancien, mais sans se substituer à lui, là où il existe déjà.  

Le problème du Mans, révélateur du problème national.

Si Paris-Le Mans a été électrifié en 1937 par le réseau de l’État avec l’ancien système 1.500 v continu, les électrifications qui se prolongent en direction de la Bretagne des années 60 se font avec le nouveau système 25 kV 50 Hz.   Comme d’autres gares situées à la “frontière” des deux systèmes, Le Mans devrait alors se muer en un immense relais de changement de locomotives, ce qui entraînerait, on s’en doute, des pertes de temps considérables en manœuvres de locomotives circulant sous deux systèmes différents, avec changement alterné des courants dans les caténaires en fonction de la locomotive qui se trouve dessous. On devine, par exemple, avec le TGV Atlantique actuel, qu’une telle perte de temps serait inacceptable, notamment avec l’impossibilité, pour des TGV n’acceptant qu’un seul type de courant, de traverser la gare du Mans sans arrêt !  

Le réseau électrifié de la SNCF en 1959 : Lille est désormais sous caténaires. Au-delà du Mans, et du “vieux 1500 volts”, c’est encore le désert. Autour de Lyon, le 1500 volts progresse et repousse le problème du bi-courant.

“Petites bicourant” et “grandes bicourant”.

L’idéal serait une locomotive capable d’accepter indifféremment les deux courants. Les essais entrepris en Savoie durant les années 1955 ont permis la circulation de locomotives acceptant, à moindre puissance, un autre type de courant. On les appelle des “petites bicourant”.  

Puis des essais en 1961, pour l’électrification de la ligne de Dijon à Neufchâteau, avec une BB 16000 récupérée après un déraillement et transformée en BB-20005 bicourant (voir ci-dessus), montrent qu’une solution bicourant est possible, et que l’on peut passer, en vitesse, d’un système à un autre moyennant une simple section de séparation hors tension. Ce sont les “grandes bicourant” capables de donner presque la même puissance sous l’un ou l’autre système. C’est pourquoi on appelle ces locomotives des “équipuissantes”.  

La BB 25100 et 25200, “grandes bicourant”.

C’est à partir de la BB-16028 accidentée et modifiée que naît la série des 25100 dont elle a conservé l’aspect. C’est une locomotive équipée de redresseurs à ignitrons permettant d’utiliser d’une manière satisfaisante soit le courant monophasé de la caténaire, mais redressé, soit le courant continu, ceci pour les quatre moteurs de traction à courant continu.   La puissance est de 3.400 kW sous caténaire en continu et de 4.130 kW sous caténaire en monophasé. Ceci donne un effort de traction permettant de remorquer des trains de 1.000 tonnes à 130 km/h.

Ces machines, avec leurs sœurs les BB 25200, se trouvent engagées non seulement au Mans, mais, aussi aux autres points “frontière” comparables, notamment, sur la ligne Marseille-Toulon où la poursuite de l’électrification de la Côte d’Azur en monophasé pose exactement le même problème de relais en cours de route.

BB-25200 en réparation dans les très réputés ateliers d’Oullins, en 2002, vue par l’auteur de ce cite lors de l’animation de son dernier stage CFA de la Direction du Matériel. Après 27 années de formation assurées auprès de la SNCF, il est dans le même état…

Les BB-25200 sont une série de 51 locomotives électriques bicourant de la SNCF construites à partir de 1965, puis par l’ajout de machines de la série BB-25150 modifiées, et elles sont dérivées directement des BB-16000. Lors de leur modification pour la réversibilité, les 25201 et 25202 sont renumérotées 25252 et 25253, afin de différencier les parcs des locomotives limitées à 130 km/h et à 160 km/h (rapports d’engrenages différents). Notons que la BB-25236 fut livrée avec des bogies permettant le 250 km/h, et elle fit des essais en plaine d’Alsace, avec la CC-21001. Lorsque les essais furent terminés, elle fut remise au type normal avec vitesse à 160 km/h.

Mais la BB-25236 était destinée à une carrière extraordinaire.

Conservée dans sa livrée verte d’origine en vue d’être présentée ultérieurement à la Cité du Train-Patrimoine SNCF, la BB-25236 est bien, actuellement, la seule « BB Jacquemin » ayant conservé se présentation dite  “avant GRG”, se faisant remarquer par ses « moustaches » et enjoliveurs en aluminium, ses jupes d’angles, son carénage de l’attelage. La BB 25236 est toujours en service pour le compte de la CMR (Cellule Matériel Radié) et on la voit acheminer d’anciennes voitures et locomotives qui ont été retirées du service commercial soit, vers un centre de démantèlement ou vers une association de préservation du matériel. Il se pourrait que cette locomotive soit souvent utilisée pour le « Venise-Simplon-Orient-Express ».et autres « Pullman Orient-Express » ou « Orient-Express ».

Caractéristiques techniques.

Type : BB

Date de début de construction : 1965

Nombre de moteurs : 4.

Puissance sous 1 500 v continu : 3 400 kW.

Puissance sous 25 000 v monophasé : 4 130 kW.

Longueur : 16, 2 m.

Masse : 89 t.

Vitesse : 130 ou 160 km/h.  

Couverture du catalogue VB en HO, pour 1960. La BB-9200 et ses voitures DEV-Inox font rêver.
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