Commencée au début de notre siècle, la construction d’un grand réseau en voie métrique en Afrique occidentale est un vaste projet devant rompre l’isolement de l’Afrique centrale et l’ouvrir sur les mers. La ligne Côte d’Ivoire-Niger fait partie du programme.

Faute de moyens, faute de décisions politiques fortes, faute d’engagement intellectuel et matériel, ce grand réseau ouest-africain ne fut jamais achevé, et la longue aventure ne répondit jamais exactement aux espoirs mis en elle, notamment pour ce que l’on appelait à l’époque les “Territoires du Niger”.
Tout part de la ligne de Dakar à Saint-Louis qui, inaugurée en 1885, avait été imaginée dès 1856 par le capitaine du génie Pinet-Laprade, d’après certains auteurs, ou par le général Faidherbe, gouverneur du Sénégal, pour d’autres. Il est certain que de nombreuses personnes ont dû avoir, à l’époque, cette idée et le chemin de fer est bien reconnu comme étant le plus puissant facteur de développement économique par l’ensemble des « décideurs », comme on ne les appelle pas encore. “Développement économique”, dites-vous ? Organisée par qui et au profit de qui ? Le débat est ancien et déjà, il y a plus d’un siècle, André Gide l’avait posé. L’Afrique d’aujourd’hui ne manque pas de l’inscrire à l’ordre du jour, et souvent au gré des circonstances et des responsabilités supposées.
Le train africain ? Calqué sur le cousin départemental et d’intérêt local français.
Il s’agit, très modestement à l’époque, de rendre la capitale du Sénégal plus accessible par le port de Dakar. Mais l‘idée de pousser en direction du centre de l’Afrique, notamment la région située entre les vallées du Sénégal et du Niger, est bien mue par le désir de tailler un immense empire colonial mis en valeur par un réseau ferré consistant reliant l’Algérie et le Soudan, le Sénégal et le Niger.
Une modeste ligne en voie métrique part de Kayes, au Mali, sur le Sénégal, et atteint le Niger à Bamako en 1904, et son terminus à Koulikoro en 1906. au Mali toujours. Pour établir cette relation ferroviaire, il aura fallu 24 années de travaux, et la construction de 550 ouvrages d’art. Il faudra ensuite raccorder celle ligne à celle de Dakar à Saint-Louis, soit encore 677 km à construire entre Thiès et Kayes.


À la même époque, d’autres lignes existent, ou sont en projet ou en construction, toujours en partant de la côte et se dirigeant vers l’intérieur du continent : au départ de Conakry en Guinée, d’Abidjan en Côte-d’Ivoire, d’Ouidah et de Cotonou au Dahomey. Toutes ces lignes se caractérisent par un écartement métrique, une traction vapeur avec des locomotives légères du type “tortillard” départemental à disposition d’essieux type 030, 130 ou 230, du matériel roulant remorqué inspiré de celui des secondaires et des départementaux métropolitains, des petites gares et des ouvrages d’art souvent importants, mais construits avec les matériaux et les moyens locaux. Le kilométrage total des lignes d’Afrique occidentale dépasse 3 000 km entre les deux guerres.
La France et la Côte d’Ivoire : premiers projets et premières réalisations.
L’occupation effective de ce magnifique pays commence en 1882, alors que des « droits » ont été pris dès 1842 sur cette terre qui produit du cacao, des noix de coco, du caoutchouc, de l’acajou, de l’or – toutes ces richesses étant, alors, au summum du luxe tant alimentaire que matériel et faisant de ce pays un Eldorado mythique.
Abidjan n’est pas la capitale et si, aujourd’hui la capitale est bien Yamoussoukro, par contre, à l’époque, c’est Grand-Bassam, située à environ 45 km à l’est, mais accessible en naviguant sur des lagunes. C’est pourquoi il n’est pas question d’ouvrir une ligne de chemin de fer desservant la capitale, mais bien d’ouvrir une ligne de pénétration coloniale en direction immédiate des richesses du pays. Mais voyons…
Les études pour la construction d’une ligne se dirigeant vers le centre du pays sont entreprises en 1896, mais la construction n’est commencée qu’en 1904. Bouaké est atteinte le 20 août 1912, à 312 km d’Abidjan, et Niangho, à 453 km, est atteinte le 1ᵉʳ mai 1926.




Voilà où l’on en est au milieu des années 1920. On a engagé, et cette fois à grands frais, les premières locomotives du système Golwé fournies par les ateliers belges de Haine St-Pierre, et le nombre de voyageurs est de 640 000 par an, tandis que le tonnage des marchandises dépasse 70 000. Les recettes dépassent la vingtaine de millions de francs, et les dépenses se situent aux environs de quinze millions. C’est une belle période d’optimisme et c’est l’âge d’or du chemin de fer colonial africain.


On songe, bien entendu, à prolonger la ligne vers le nord et, très éventuellement, jusqu’au Niger…



Bobo-Dioulasso n’est plus qu’à 375 km de là, et Ouagadougou, « chef-lieu de la Haute-Volta » est à 340 km, soit à 1170 km d’Abidjan. On envisage un embranchement jusqu’à la rivière Bani par Sikasso, et aussi un autre embranchement dit « occidental » depuis Dimboko jusqu’à Doloa, sur 57 km, embranchement qui sera ultérieurement prolongé en direction du nord-ouest jusqu’à Beyla ou il rejoindrait un prolongement du chemin de fer de la Guinée venu de Kankan.

Mais il y aura loin de la coupe aux lèvres… et on renoncera à tous ces embranchements pour poursuivre en direction du nord jusqu’en Haute-Volta, atteinte en 1932, malgré deux épidémies, l’une de fièvre jaune et l’autre de pneumonie qui déciment les équipes d’ouvriers. Bobo-Dioulasso, au KM 800, est atteinte en 1934. Le chantier s’arrête alors, car il faut refaire toute la voie entre Abidjan et Agboville. Entre 1927 et 1931, on ajoute la liaison entre Abidjan et Port-Bouet, ce qui demande l’utilisation d’un pont flottant pour traverser la lagune en attendant la construction du pont Houphouët-Boigny en 1957. Abidjan est ainsi reliée d’abord au “wharf” de Port-Bouet, puis après la construction du canal de Vridi en 1950, la ville est reliée au port en eau profonde de Treichville.
La situation de l’Abidjan-Niger des années 1950 à aujourd’hui.
La construction reprend en 1939, mais est très ralentie par la guerre. L’arrivée du chemin de fer dit «du Mossi » à Ouagadougou, au km 1145, se fait en octobre 1954 seulement. L’inauguration est présidée par Robert Buron, ministre de la France d’Outremer, et Félix Houphouët-Boigny, député de Côte d’Ivoire au parlement français, le 4 décembre 1954.
Les lignes de l’Afrique Occidentale sont placées sous l‘autorité d’une «Régie Fédérale des Chemins de fer de l’Afrique-Occidentale-Française» dont l’une des principales actions a été l’introduction des autorails sur les différentes lignes. Quatre lignes forment le réseau : le Dakar-Niger avec 1657 km dont 40 à voie double, le Conakry-Niger avec 662 km, l’Abidjan-Niger avec 834 km, et le Bénin-Niger avec 579 km, soit un total de 3732 km.
L’Abidjan-Niger, puisqu’on l’appelle désormais ainsi, bien que le Niger attende toujours son chemin de fer, possède 834 km de voies et 47 gares ou stations. La ligne est très active durant les années 1950. Les 80 locomotives et les 5 autorails du réseau circulent en permanence, et le coefficient de remplissage des trains de voyageurs dépasse le nombre de places. Le trafic marchandises atteint 144 798 tonnes/kilomètres avec du cacao, de café, des bananes, des arachides, des matériaux de construction, des combustibles liquides, des boissons…
Voilà ce que donnent les statistiques d’époque pour l’exportation, l’importation consistant en du pétrole, du sel, de la farine, des boissons. Mais le déficit est de plus de 10%, les recettes atteignant 1 096 000 francs contre 1124 000 dépensés.


Un réalignement tant espéré.
Entre 1973 et 1982, un réalignement, c’est-à-dire en fait une reconstruction sur un tracé différent, a amélioré les caractéristiques de profil en long et de tracé entre Agboville et Petionara, des points kilométriques 79 à 405. Certaines sections sont mises à double voie. Ce réalignement rallonge de 10 km la distance d’Abidjan à Bouaké. Malheureusement, les fonds manquent pour achever ce réalignement, et le tronçon Petionara-Tafiré, de 82 km, est le seul de la ligne à être resté aux caractéristiques anciennes.
La construction de ce chemin de fer a repris en 1985 à destination du gisement de manganèse de Tambao, à 375 km de Ouagadougou, an voisinage des frontières du Burkina Faso avec le Mali et le Niger. La nouvelle ligne ne dépassera pas Kaya, à 105 km de Ouagadougou, ville atteinte en 1991, car, si elle est construite sur les fonds propres du Burkina avec l’aide de l’OPEP, de l’Agence Canadienne de Développement International, et du Fonds Européen de Développement, par contre la Banque Mondiale s’y oppose.
Aujourd’hui, la ligne compte 65 locomotives diesel et 20 autorails, et reste encore active avec 2,8 millions de voyageurs et 0,9 millions de tonnes transportées annuellement. Il aura fallu un demi siècle pour construire cette ligne qui, somme toute, finit un peu nulle part, dans une Haute-volta devenue le Burkina en 1984, mais sans que la ligne de chemin de fer ne se soit raccordée à aucune autre pour former un grand réseau ouest-africain.
Et le Niger ? Il attendra toujours vainement sa ligne de chemin de fer et Niamey n’aura jamais sa gare.


Le Conakry-Niger n’a pas renforcé l’Abidjan-Niger.
Le projet du Conakry-Niger était destiné à donner, après le Dakar-Niger, une seconde voie de pénétration vers le Soudan et la boucle du Niger que l’on connaissait assez mal. Limité par la guerre de 1914 à Kankan, au km 662, il ne fut jamais prolongé et donc n’a jamais rejoint l’Abidjan-Niger comme on l’espérait.
Le capitaine du Génie Salesses est l’homme du Conakry-Niger : il dirige la construction de bout en bout. En 1895, le chemin de fer est jugé utopique dans cette région très accidentée, et on pense à une route. Mais un an après le début de sa construction, la route est emportée par les intempéries et le projet de chemin de fer revient en force.
La construction commencée le 1ᵉʳ juillet 1900 s’achève le 26 juillet 1914. Employant jusqu’à 6 000 ouvriers, le chantier est très difficile avec des ouvriers locaux qui disent ne pas être payés (le contrat prévoit un paiement à la fin du travail !), ne pas recevoir régulièrement la « ration », être souvent brutalisés par les chefs d’équipe et enfin d’être « épouvantés par le travail à faire dans une région maudite ». Ils fuient le chantier et se cachent, et, en 1905, il faut embaucher 2 000 nouveaux travailleurs pour compenser les défections. La ligne est toujours en service et a été complétée par des embranchements industriels, dont un de 152 km construit par des Russes pour le transport de la bauxite de Kindia, et un autre de 132 km, en écartement normal, pour la bauxite de Sangarédi.
Et Niamey attend toujours sa gare…
Et pourtant, en novembre 2013, les présidents du Niger et du Bénin signent un protocole d’accord pour la réalisation de l’ancien projet de ligne de chemin de fer de Niamey à Cotonou en construisant une voie ferrée entre Niamey et Parakou, actuel terminus du tronçon de Parakou au port de Cotonou. Une société mixte plurinationale est créée, son capital de 107 millions d’euros étant partagé entre les deux États. On voit même le groupe Bolloré promettre de prendre en charge l’intégralité du coût de cette réalisation, évaluée à 1,07 milliard d’euros. Le chantier de la nouvelle ligne, longue de 574 km, est prévu pour être achevé en 2016 au rythme d’un kilomètre par jour…
Aujourd’hui, la situation politique du Niger et, donc, de son chemin de fer si utile à l’Afrique qu’elle attend toujours, ne manque pas d’être préoccupante.


Vous devez être connecté pour poster un commentaire.