Il arrive parfois que l’on confonde à la fois le Niger, en tant que fleuve au coeur de l’Afrique Occidentale, le Niger en tant que partie de l’Afrique Occidentale Française, et le Nigéria qui, lui, fut une partie du “Commonwealth” britannique. Nous avons, dans un précédent article, parlé du Niger, le pays qui doit son nom au mythique fleuve, et nous avons pensé qu’il pourrait être intéressant de rappeler l’existence du Nigeria britannique, d’autant plus que le chemin de fer du Nigeria fut particulièrement brillant.


« Le Nigéria est une des possessions britanniques qui donnent de plus belles espérances et attire particulièrement l’attention depuis quelques années, grâce aux facilités qu’elle offre pour la culture du coton. La population est fixe et l’agriculture est développée ». Voilà ce que peut écrire Bedford Glasier, directeur général du chemin de fer de Lagos en 1913. L’Afrique est un pays de rêve pour investisseurs avisés et le Nigéria est une valeur sûre qui ne décevra jamais.
La création du Nigéria résulte de la fusion de trois colonies autrefois séparées : le Lagos, le territoire de la Compagnie à charte des « Oil Rivers » et le Protectorat de la Côte du Niger. Regroupées en deux colonies seulement, le Nigéria du Nord et le Nigéria du Sud, en 1899, elles sont unifiées en une seule le 1ᵉʳ janvier 1914 sous le nom de « Colonie et protectorat du Niger», couramment appelée Nigéria, ou aussi Nigérie jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La Colonie s’étend dans les environs de Lagos qui est le siège du gouvernement. Le Protectorat comprend les émirats musulmans qui sont conquis après une résistance acharnée des Émirs, ce qui est l’un des motifs pour lesquels on pousse aussi rapidement la construction du chemin de fer qui sert au transport rapide et au ravitaillement des troupes.
Les explorateurs des années 1920 s’étonnent que le Nigéria n’ait pas attiré l’attention plus qu’il ne l’a fait, car son développement a été remarquable. Ainsi qu’il était à prévoir, ce sont les chemins de fer qui joué le principal rôle dans la mise en valeur de cette colonie. Le Nigéria est la plus orientale des colonies occidentales de l’Afrique. Pour une superficie de 860 000 kilomètres carrés, le pays, à la fin des années 1930, a une population de 18 millions d’habitants dont seulement 5000 européens. C’est une des colonies africaines les plus peuplées à l’époque et aujourd’hui le Nigéria compte environ 220 millions d’habitants, ce qui le situe entre la Russie et les USA !…
En remontant du sud vers le nord et en direction de l’intérieur du continent africain, on trouve d’abord la zone côtière de 18 000 km² qui est une région de lagunes et de palétuviers, puis viennent successivement la forêt tropicale avec 96 000 km², puis une forêt plus claire et espacée de pâturages couvrant environ 480 000 km² et, enfin, le haut plateau. Le centre de la colonie est prospère. On exploite le bois du palétuvier pour les traverses de chemin de fer, l’acajou, les palmeraies et les caoutchoutiers. Le coton est très abondant. La culture du cacao est passée de 4 à 40 000 tonnes entre 1914 et 1926. Si l’on y ajoute les produits d’un élevage important, celui des mines de charbon du bassin de l’Ud exploitées par le chemin de fer, et l’étain du plateau de Bauchi, on obtient une colonie plus que rentable.





Un réseau conçu pour éviter la concurrence interne.
Les colonisateurs tiennent évidemment compte de la présence des voies navigables pour la pénétration et s’en servent ensuite en attendant le chemin de fer ou les routes : le Niger, que remontent jusque Baro, pendant la saison des crues, des bateaux d’un millier de tonnes, et son affluent le Bénoué. Mais il est nécessaire de les compléter par des chemins de fer, tant pour assurer des communications de nature moins aléatoire que pour desservir le nord de la Colonie.
Chacune des colonies cherche d’abord à avoir son propre port et sa ligne de pénétration pour la desservir, et c’est ce qui est fait. Mais, à mesure qu’on pousse la construction vers l’intérieur, on se rend compte des inconvénients qu’il y a à disséminer ainsi les efforts, et on prend pour principe de grouper les réseaux que l’on pousse vers un point commun de l’intérieur, quitte à les développer par la suite.
C’est effectivement ce qui a lieu. Et c’est ainsi qu’il y eut, dans l’Ouest, le Lagos Railway, au centre, le chemin de fer de Kano à Baro, avec port sur le Niger qui est navigable jusqu’à son embouchure et dans celui de l’est, celui de Port Harcourt vers l’intérieur du Nigéria. Tous ces chemins de fer sont des lignes d’État, qui ont été construites et exploitées à titre privé à l’origine puis groupés depuis en un seul réseau.



Une construction rapide et bon marché.
La première idée d’un chemin est celle d’une ligne locale desservant la région de Lagos à Ibadan où l’agriculture périclitait faute de moyens de transport. La deuxième est une ligne d’lbadan à Minna. La troisième, est une extension qui, dans les débuts, avait un caractère nettement militaire et qui, dans les faits, aide à la conquête, puis, à la pacification de la région.
Dès 1886, les cotonniers anglais installés à Manchester et Liverpool demandent l’établissement d’un chemin de fer pour augmenter la production de la matière première nécessaire à leur industrie. L’ingénieur Shelford est chargé des études en 1893 et conclut, malgré l’opposition de la ville fermée d’Abeokuta, à la viabilité d’une ligne qui relierait Ibadan, une importante ville entourée d’une riche région agricole, à la côte.
Partant du port de Lagos en direction du nord, la ligne principale du Nigeria est en voie de 1 067 mm. Elle traverse la province ouest du Nigeria du Sud, puis la province d’Ilorin du Nigeria du Nord pour aboutir, à 494 km de son point de départ, à Jebba, sur le fleuve Niger. Commencés en 1896, les travaux permettent, dès mars 1901, l’ouverture partielle de la ligne sur une longueur de 201 km entre Lagos et Ibadan, y compris un court embranchement de 2,5 km jusqu’à Abeokuta. Un prolongement jusqu’à Oshogbo est ouvert en 1907, avec un tronçon de 47 km puis un autre de 52 km. Enfin Ilorin est atteinte en août 1908 avec l’ouverture d’un tronçon de 98 km. Jebba, sur la rive sud du Niger, est touchée en 1911.
Ce tout forme le réseau du Southern Nigerian Railway. En même temps, une ligne nord est en cours de construction depuis Baro, sur la rive nord du Niger, et jusqu’à Kano qui est atteinte en 1911, formant le Northern Nigerian Railway. Les dépenses ont dépassé le budget prévu car le gouvernement, qui vient de nationaliser le réseau, a revu le cahier des charges techniques en demandant des améliorations de la qualité des infrastructures, faisant de ce réseau un des meilleurs de l’Afrique. La longueur totale de la ligne est de 747 km. Le fleuve est franchi grâce à un ferry.
En 1913 une ligne est construite à partir de Port Harcourt, et, en 1934, elle rejoindra la grande ligne principale à Kaduna. Nguru est atteinte en 1930. La mise à voie normale du réseau est prévue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce qui fut fait pour 52 km seulement. Le total des lignes en voie de 1 067 mm est actuellement de 3505 km.
Un des meilleurs réseaux africains.
Le pays le plus peuplé d’Afrique a un des plus beaux réseaux ferrés d’Afrique. Peu avant la Première Guerre mondiale, le réseau, formé jusque-là de deux compagnies, le Northern et le Southern, est entièrement nationalisé sous la dénomination de Nigerian State Railway. Il faut réunir les lignes des deux compagnies précédentes par une succession de ponts enjambant les différents bras du Niger. Une fois le pont construit en 1916, le trajet total demande 30 heures. Mais le train comporte de confortables voitures-salon Pullman, des voitures-lits avec douches ou salles de bains, une voiture-restaurant, le tout agrémenté de la lumière électrique et d’immenses ventilateurs….
La ligne principale du Nigeria est un exemple de réalisation très profitable, si l’on se fie aux comptes établis pour 1910. Pour une dépense de 3 946 675 francs, les recettes sont de 6 340100 fr., soit presque le double, un fait remarquable à une époque où l’ensemble des réseaux européens commencent à être déficitaires…
Et les recettes augmentent de 33,5% par rapport à celles de l’année précédente. En 1910, le réseau possède 61 locomotives, 89 voitures et 559 wagons. De nouvelles commandes sont en cours. Les installations sont de qualité avec un rail de 27 kg/m, des rampes limitées à 12,5 pour mille, et des courbes de 150 m de rayon minimal.
La locomotive à vapeur qui a le plus dominé le réseau du Nigéria, techniquement, est le type 240, combinant un bon effort de traction du fait de quatre essieux moteurs, mais apte à rouler relativement vite par la présence d’un bogie avant autorisant une vitesse de 75 km/h (en voie de trois pieds et demi, rappelons-le, vitesse à comparer avec celle des métriques européens…) même sur des lignes tracées avec des courbes à faible rayon. On constate que jusqu’en 1921, le réseau continue à faire construire des 240 au Royaume-Uni, très proches, à quelques détails près, du type de 1912 qui a été le premier à circuler sur le réseau nationalisé. Il est à noter qu’en 1931 le réseau met en service de superbes Beyer-Garratt du type 241+142 longues de plus de 24m. Si le projet de mise à l’écartement normal avait été suivi d’une exécution sur l’ensemble du réseau, il ne fait nul doute que le Nigéria aurait eu un réseau au niveau des meilleurs d’Europe.
Caractéristiques techniques de la locomotive type 240 du Nigéria.
Type : 240
Date de construction : 1912
Moteur : 2 cylindres simple expansion
Cylindres : 510 x 620 mm
Diamètre des roues motrices : 1140 mm
Surface de la grille du foyer : 2,6 m2
Pression de la chaudière : 10 kg/cm2
Contenance du tender en eau : 11 t
Contenance du tender en charbon : 6 t
Masse : 56 t
Masse du tender : 34 t
Masse totale : 90 t
Vitesse : 75 km/h

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.