Surpasser la “Pacific” : quand la “Baltic” française n’y parvient pas.

    

Dès l’apparition du type “Pacific” (ou type 231) en France, vers la fin des années 1900, le réseau français du Nord, qui excelle par ses performances, pense qu’il y aura mieux que la “Pacific” si on la dote d’un essieu porteur supplémentaire arrière permettant de surdimensionner le foyer et, donc, d’augmenter la puissance. Il s’agit donc de passer du type 231 au type 232, ou “Baltic”, tout en regardant ce que font les ingénieurs américains ou allemands à l’époque et qui prouvent qu’un essieu arrière porteur de plus changera la face du monde. Du monde ? Oui, mais pas de la France.

La première “Baltic” Nord N°3.1101 et sa fière équipe de conduite, accompagnée de deux collègues, posant pour la postérité vers 1912.
La deuxième “Baltic” Nord, N°3.1102, à chaudière aquatubulaire, vue en service dans les dernières années 1910.
La première “Baltic”, la 3.1101, vue lors d’essais en 1911-1912.
La beauté et l’élégance de ces deux machines leur valent leur célébrité, notamment par l’esthétique de la répétition de quatre bogies identiques, deux sous la locomotive et deux sous le tender.

Bref, si c’est ce que l’on espère voir dans le monde, c’est aussi et surtout ce que l’on va voir en France, et, confiant certes, mais surmontant quand même avec quelques doutes, le réseau Nordconstruit deux prototypes 232 en 1911. Nommée “Baltic” en Europe, cette disposition d’essieux, meilleure que la disposition des “Pacific” en théorie, aura bien du mal à s’imposer.

Cette curieuse et première locomotive “Baltic” n’a existé qu’à deux exemplaires seulement, construites en 1911 par la compagnie du Nord comme prototypes d’essais destinées à remplacer les « Pacific ». Hélas la Première Guerre mondiale empêchera la poursuite du projet et le réseau du Nord restera fidèle, jusqu’au bout, à son parc de « Pacific ».

Ces deux locomotives reçurent le dur et peu compatissant sobriquet : « les deux orphelines »… et pourtant, elles sont magnifiques, avec leur ligne fine et longue et, surtout, élégantes avec leurs bogies avant et arrière identiques et repris par le tender, donnant quatre bogies semblables faisant toute l’originalité d’aspect de cette locomotive.      

Ces magnifiques machines furent, trop rapidement, oubliées dans les fonds de remise des dépôts.

La « Pacific » s’essoufle.

La « Pacific » est le type même de la locomotive de vitesse de la première moitié de notre siècle, mais l’alourdissement des trains de voyageurs fait craindre que ce type 231 vienne à manquer de puissance. Les trains sont plus lourds d’abord parce qu’ils sont plus longs, et ensuite parce qu’ils sont composés de voitures plus confortables, plus spacieuses, plus solides, et surtout plus lourdes parce qu’entièrement en acier.   La compagnie du Nord commence donc les études dès 1909 et deux machines sont construites en 1911, la 3.1101 et la 3.1102, affectées au dépôt de la Chapelle, à Paris.

Elles sont différentes l’une de l’autre par leur chaudière : la 3.1101 est dotée d’une chaudière classique avec tubes conduisant les gaz du foyer dans l’eau, tandis que la 3.1102 reçoit à titre expérimental une chaudière à tubes d’eau, tubes entourés par les gaz du foyer ou chaudière aquatubulaire.   La chaudière aquatubulaire est décevante et en 1913 elle est remplacée par une chaudière classique.

Mais ces machines n’ont jamais été mises sérieusement au point et, bien qu’elles étaient remarquables, et très en avance sur leur époque, la Première Guerre mondiale, et surtout le décès de l’ingénieur Du Bousquet qui les avait conçues, fait que le réseau du Nord les abandonne à leur sort. Pourtant elles sont puissantes et rapides, prévues pour tirer à 120 km/h des trains de 800 tonnes, et elles peuvent fournir une puissance estimée à 2.800 ch, soit près du double de celle des locomotives de vitesse contemporaines. Équipées en 1926 de la chauffe au fuel, elles ne roulent pratiquement pas sous cette forme et sont garées à Compiègne puis à Laon. Elles sont estimées « trop puissantes » !      

La gloire de la “Baltic” Nord atteint jusqu’aux livres pour enfants anglais… Mais le dessinateur s’est royalement “planté”, ô shocking, en ce qui concerne le numéro 4.1067 qui est celui d’une paisible et lente locomotive pour trains de marchandises du type 140. Quant à la remorque du fameux “Nord-Express”, c’est tout aussi incertain, les compagnies ne mettant en tête des trains de la CIWL que des locomotives éprouvées.

Une fin de carrière peu ordinaire pour la 3-1102.

Si la 3.1101 finit ses jours à Calais en 1939, la 3.1102, elle vit toujours, mais au Musée Français du Chemin de fer à Mulhouse, devenu la Cité du Train-Patrimoine SNCF en 2005. Cette “Baltic” doit sa survie au fait d’avoir été découpée dans le sens de la longueur pour être présentée à l’Exposition de 1937 à Paris : le grand public peut ainsi admirer, en grandeur nature, l’intérieur d’une locomotive et comprendre, grâce à cet « écorché » digne des classes de sciences naturelles, comment sont disposés les organes d’une locomotive à vapeur. Elle est restée sous cette forme et, aujourd’hui, elle sert de support pédagogique pour les nombreuses classes venant visiter la Cité du Train.

La “Baltic” Nord 3.1102 dans son (curieux) état actuel à la Cité du Train-Patrimoine SNCF de Mulhouse. Mais, au moins, on voit très bien les tubes ! Doc. Cité du Train.
Caractéristiques Techniques.

Type : 232

Date de construction : 1911

Cylindres haute pression : 450 x 640 mm.

Cylindres basse pression : 620 x 730 mm.

Surface de la grille du foyer : 4,28 m².

Surface de chauffe : 315 m²

Surface de surchauffe : 70 m²

Pression de la chaudière : 16 kg/cm 2.

Diamètre moyen du corps cylindrique : 1.710 mm.

Diamètre des roues motrices : 2.040 mm.

Longueur de la locomotive : 15,38 m.

Masse de la locomotive : 113 t

Vitesse maximale en service : 120 km/h        

Quand la SNCF essaie (prudemment) de croire en la “Baltic”.

Durant les dernières et difficiles années 1930, la compagnie du Nord se soucie de retenir une clientèle voyageurs en recul, et mise de nouveau sur sa traditionnelle politique d’accroissement de la vitesse de ses trains, estimant que des vitesses de 200 km/h doivent être pratiquées. Émile Javarny, directeur du réseau, et Jean Lancrenon, ingénieur en chef du matériel et de la traction, demandent à Marc de Caso, un ingénieur réputé de ce réseau depuis peu passé à l’Office Central des Études de Matériel (OCEM), d’étudier de nouvelles locomotives du type 232, c’est-à-dire des “Pacific” avec un foyer plus important supporté par un bogie au lieu d’un bissel comme le type “Hudson” américain ou canadien, ou supporté par un bissel à deux essieux accolés et simple déplacement latéral sans rotation, du type dit “Baltic”en France.

Rationnelle par tradition, la compagnie du Nord non seulement étudie le matériel roulant, mais aussi prépare les installations fixes et prépare la ligne Paris-Creil pour une vitesse de 140 km/h. Ce que l’on sait est que ces locomotives sont prévues pour rouler à 160, 170 ou même 200 km/h en tête de trains de 300 tonnes que le Nord fera circuler sur des lignes aménagées progressivement durant les années 1940.  

Le type 232, très utilisé aux USA où il est surnommé “Hudson”, pour la traction de trains rapides, est totalement inexistant sur les réseaux français (si l’on excepte deux prototypes Nord d’avant 1914 dites “les deux orphelines”) alors que l’Allemagne fait circuler de superbes 232 carénées donnant une forte impression de vitesse et de puissance.

À la création de la SNCF les prototypes 232 ne sont pas encore livrés, et les 7 premières machines ne sortent qu’en 1940 et 1941, pour ce qui est des 232-R 1 à 3, et des 232-S 1 à 4. Ces deux sous-séries ont en commun la chaudière, les organes de roulement, le mouvement. Elles ne diffèrent que par leur moteur qui est à 3 cylindres simple expansion pour les types R et à 4 cylindres compound pour les types S. Naissant dans une période troublée, confrontées et comparées aux remarquables locomotives types 231 et 240 de Chapelon, ces locomotives n’ont pas d’avenir concret.

En dépit de performances intéressantes, ces 232-R et S ne dépassent guère un effort maximal de 2 500 kW (3 600 ch) qui est celui des locomotives type 240 de Chapelon. Axées aussi sur l’idée d’avenir, elles se trouvent ainsi sur le même créneau que celui de la traction électrique, mais, dans les esprits des ingénieurs de l’époque, l’avenir, c’est bien d’abord la traction électrique, et l’enjeu, le défi, est très difficile pour la traction à vapeur.

Une des 232-S de la SNCF.

La plus belle locomotive française.

Pour beaucoup de cheminots et d’amateurs du monde entier, l’unique 232-U-1 fut la plus belle locomotive à vapeur française. Chef-d’œuvre de l’ingénieur Marc de Caso, construite en 1949, à une époque où la vapeur était pourtant déjà irrémédiablement condamnée, cette machine annonçait elle aussi la nouvelle génération des locomotives à vapeur modernes. Mais elle est née trop tard à une époque où, définitivement, la traction vapeur était condamnée sur le réseau.  

Le joyau de la Cité du Train-Patrimoine SNCF de Mulhouse, très apprécié par le grand public pour le spectacle fréquent des bielles en mouvement. Le bandeau en forme de cygne se voit sur la longueur du tablier, et particulièrement au-dessus des cylindres.

Née des projets Nord de 1933.

Ces locomotives du type 232 sont prévues, nous le savons, pour rouler à 160, 170 ou même 200 km/h en tête de trains de 300 tonnes que le Nord fera circuler sur des lignes aménagées progressivement durant les années 1940.   Le type 232, très utilisé aux USA pour la traction de trains rapides, est totalement inexistant sur les réseaux français (si l’on excepte deux prototypes Nord d’avant 1914) alors que l’Allemagne fait circuler de superbes 232 carénées donnant une forte impression de vitesse et de puissance.

À la création de la SNCF, les prototypes 232 ne sont pas encore livrés, et les sept premières machines ne sortent qu’en 1940 et 41, les 232-R-1 à 3, et les 232-S-1 à 4. Ces deux sous-séries ont en commun la chaudière, les organes de roulement, le mouvement. Elles ne diffèrent que par leur moteur qui est à trois cylindres simple expansion pour les R et à quatre cylindres compound pour les S.   Naissant dans une période troublée, confrontées et comparées aux remarquables 231 et 240 de Chapelon, ces locomotives n’ont pas d’avenir.

Marc de Caso le sait bien et, sur la dernière des 8 locomotives de la série, la 232-U, il apposera un bandeau décoratif en forme de cygne, marquant ainsi le « chant du cygne » de la vapeur en France avec cette machine ultime. Axées aussi sur l’idée d’avenir, elles se trouvent ainsi sur le même créneau que celui de la traction électrique, mais, dans les esprits des ingénieurs de l’époque, l’avenir, c’est bien d’abord la traction électrique, et l’enjeu, le défi, est très difficile pour la traction à vapeur. Les sept locomotives construites sont intégrées dans le roulement classique des Pacific du réseau Nord, assurant les trains rapides de la ligne Paris – Lille principalement. L’électrification du réseau Nord mettra fin à leur très honorable carrière.  

La “U” à la gare du Nord, lors de ses dernières années de service. Doc. SNCF.

Les sept sœurs méconnues de la 232-U-1.

 Dès 1933, la Compagnie du Nord se préoccupe de dépasser les vitesses alors limites de 120 à 125 km/h fixées par les pouvoirs publics dans le but de diminuer les incidents et les frais de maintenance des locomotives qui, donc, roulent en dessous de leurs possibilités théoriques. La compagnie désire augmenter les vitesses de ses trains rapides, notamment entre Paris et Lille où une clientèle d’hommes d’affaires pressés pour qui un gain de seulement quelques minutes est déjà significatif sur un trajet qui est de l’ordre de deux heures.  

Sous la direction de l’ingénieur Marc de Caso, une étude est alors confiée à l’OCEM, ou Office Central d’Études du Matériel, un organisme commun à plusieurs réseaux français et qui est chargé d’étudier le matériel roulant. Le type 232 est prévu, doté d’un appareil producteur de vapeur équivalent à celui d’une 241, avec, notamment, une grille de foyer atteignant la surface de 5,175 m2, ce qui est considérable pour l’époque. La Seconde Guerre mondiale retarde la construction de cette série de belles locomotives qui ne quittent l’usine de la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques (future Alstom) qu’en 1940 et 1941.  

Nous avons vu que ces sept locomotives se répartissent en deux sous-séries : les 232-R ayant trois cylindres à simple expansion, et les 232-S ayant quatre cylindres compound. Les cylindres sont placés entre les roues du bogie avant, et leur distribution est effectuée par soupapes à cames rotatives. Le bissel arrière est à deux essieux accolés et, contrairement au cas du bogie, n’a pas de rotation, mais seulement un déplacement latéral. Essayées sur diverses grandes lignes de la SNCF, particulièrement sur le Sud-Est, ces locomotives se montrent aptes à remorquer un train de plus de 700 tonnes à près de 120 km/h, développant ainsi plus de 3.000 ch.

La 8ᵉ et dernière locomotive de la série ne sera pas construite du fait de la guerre : ce sera la 232-U-1 sera produite une fois la paix revenue, en 1948, et avec des modifications par rapport à ses sœurs aînées. Cette série de huit locomotives arrive trop tard sur la scène ferroviaire : les dés étaient déjà jetés en faveur de la traction électrique, surtout sur la région Nord.  

Une 232-R de la SNCF. Elle se distingue de la 232-S par ses trois cylindres à simple expansion.
Une 232-S en tête d’un train lourd de la SNCF, peut-être sur la section à quatre voies de la ligne de Paris à Lyon. On notera la présence de voitures type OCEM.
Une 232-R en livrée Nord d’origine, si tant est que cette couleur ait été portée, si l’on se fie à une importante et ancienne maquette à l’échelle du 1/10ᵉ existante dans les réserves du musée des Arts et Métiers.

Retour sur la huitième locomotive.

Initialement prévue avec un moteur à turbines Ljünstrom et transmission par engrenages, cette 8ème locomotive est construite d’une manière classique avec moteur compound à cylindres haute et basse pression, et embiellage. Construite en 1948 par les établissements Corpet-Louvet à la Courneuve, elle reçoit la quasi-totalité des perfectionnements disponibles à l’époque, plus des roulements à aiguille ou à rouleaux sur l’ensemble du mécanisme. C’est ainsi qu’elle est dotée d’équipements très sophistiqués comme un système de démarrage automatique dosant la vapeur dans les cylindres haute et basse pression, des boîtes à huile et coins de rattrapage automatique de jeux sur les bielles, etc.

Capable de fournir 2 000 kW (2 800 ch) en tête de trains rapides de plus de 560 tonnes à 120 km/h, cette machine connaît une utilisation suivie sur la relation Paris-Lille. Ses résultats sont qualifiés de «bons», mais, finalement, ils restent en deçà de ce que les locomotives électriques CC 7100 contemporaines offrent couramment avec des puissances de plus de 3 400 kW (soit plus de 4 500 ch) et des vitesses de 150 km/h. Les jours de la traction vapeur sont comptés et les grandes électrifications du réseau français sont déjà programmées.  En 1961 la 232 U 1 sera discrètement retirée du service avec les autres 232, mais elle sera conservée pour le Musée Français du Chemin de fer de Mulhouse où elle peut être admirée actuellement.  

Les caractéristiques techniques de la 232-U-1.

Date de construction : 1948.

Constructeur : Corpet-Louvet.

Longueur : 15, 7 mètres.

Masse : 131 t.

Vitesse : 140 km/h.

Puissance : 2 800 cv.

Surface de la grille du foyer : 5,175 m2.

Pression : 20 kg/cm2.

Diamètre des cylindres haute pression : 446 mm.

Diamètre des cylindres basse pression : 680 mm.

Course des pistons : 700 mm.

Diamètre des roues motrices : 2000 mm.

           

L’échec de la “Baltic”: fin du règne des ingénieurs de la traction vapeur à la SNCF.

Avec la 232-U-1, on comprend difficilement les raisons amenant la SNCF à mettre au point des prototypes ou à faire des reconstructions intégrales en vue de locomotives futures dans une période qui sait que la vapeur est condamnée. Mais la construction de ces machines n’est pas onéreuse si on la compare, par exemple, au financement débloqué pour la construction des 550 locomotives neuves dont la SNCF a besoin à l’époque, ou à celui envisagé pour l’élimination des 8.000 locomotives vétustes du parc.

Les coûts engagés en recherches et construction de prototypes sont minimes en proportion, et les dirigeants de la SNCF de l’époque pensent que les essais de grands ingénieurs comme Chapelon ou De Caso pourraient, peut-être, déboucher sur une locomotive nouvelle qui résoudrait le problème de la traction sur les lignes à trafic en dessous du seuil de rentabilité de l’électrification, mais aussi une locomotive nouvelle que la traction diesel d’alors ne semblait pas pouvoir faire naître.

Un mécanicien fier de sa “S” et il a raison.

Hiawatha : l’Indien qui courait plus vite que ses flèches.

Aux USA, le type 232 sera un succès, notamment avec le train « Hiawatha » fut, incontestablement, le train le plus rapide du monde en traction vapeur et des vitesses de près de 200 km/h ne faisaient pas peur à ces fantastiques locomotives type 232 “Hudson” (aux USA les “Baltic” sont des “Hudson”) type F7 engagées sur la relation Chicago-St Paul et Minneapolis en 1937. C’était la grande époque des trains carénés américains et le design délirant de l’époque n’avait pas peur de doter l’arrière de ce train avec des ailerons…. environ vingt années avant les Cadillac de 1959 !

La relation entre Chicago, d’une part, et, d’autre part, les villes jumelles de St-Paul et Minneapolis attire trois compagnies de chemin de fer qui vont se livrer à une lutte sans merci, à l’américaine, dans le sens d’un libéralisme bien compris et à la limite du libéralisme dit « sauvage » : le Chicago & North Western Railroad avec une ligne longue de 657 km; le Chicago, Burlington & Quincy Railroad avec une ligne de 690 km; et, enfin, Chicago, Milwaukee, St-Paul & Pacific Railroad avec une ligne de 663 km.

La troisième compagnie, comme la première, est fidèle au train classique, mais quel train ! Il s’agit simplement du légendaire Hiawatha, un superbe et impressionnant train caréné peint en orange vif, rouge vif et blanc, et dont les locomotives sont un accomplissement en matière de traction vapeur. C’est bien ce train-là qui nous intéresse ici, et sa légende est restée encore très vivante dans les souvenirs des Américains qui sont connu son époque.  Son nom ? “Hiawatha” était le nom d’un Indien qui courait tellement vite qu’il rattrapait, à la course, les flèches qu’il tirait ! Un vrai « pied agile », comme on surnommait alors les meilleurs coursiers et messagers indiens de l’époque.

Comme les locomotives type 221 “Atlantic” ne suffisent plus à la tâche, il faut aller encore plus vite: le passage à la locomotive à trois essieux couplés est nécessaire, et comme les “Pacific” commencent à se montrer insuffisantes pour les trains rapides et lourds de l’époque, c’est avec le type “Hudson” ou 232 que la relève va se faire. Les six locomotives de la série sont livrées en 1937, et elles font sensation, non seulement par leurs couleurs tout aussi voyantes et assorties à la livrée du train dans le style de celles des “Atlantic”, mais aussi par leur puissance inégalée : elles peuvent rouler à plus de 190 km/h (120 miles à l’heure) en tête d’un train de douze voitures pesant 550 tonnes. Précisons, en outre, que la pratique américaine de l’époque consiste à maintenir de hautes vitesses sur la presque totalité du trajet, si possible, alors qu’en Europe, on pratique des « pointes » de vitesse sur quelques tronçons favorables, servant aux relevés des ingénieurs et aux arguments publicitaires des commerciaux…

Connues sous le nom de « F7 », ces locomotives auraient fait de très nombreux et longs parcours à grande vitesse en service courant, parfois à plus de 200 km/h, mais, malheureusement, sans enregistrement officiel. Les ingénieurs avaient prévu que toutes les pièces en mouvement alternatif soient d’une légèreté exceptionnelle (pistons, bielles) et l’équilibrage des masses en mouvement était très soigné. La fin de ces locomotives hors du commun se produit durant les années 1940 avec le passage à la traction diesel: les performances de ce nouveau mode de traction furent nettement moindres et ce fait joua un rôle persistant et insidieux dans la défaite du chemin de fer américain pendant les années 1950, laissant alors le champ ouvert à la concurrence routière et aérienne.

Caractéristiques techniques.

Type : 232 ou “Hudson”

Date de construction : 1937

Moteur : 2 cylindres simple expansion

Cylindres : 597 x 762 mm

Diamètre des roues motrices : 2134 mm

Surface de la grille du foyer : 9 m2

Pression de la chaudière : 21 kg/cm2

Contenance du tender en eau : 76 t

Contenance du tender en charbon : 22,5 tonnes

Masse totale tender compris: 359 t

Longueur totale tender compris : 30,48 m

De belles “Hudson” nord-américaines inoubliables.

Une petite galerie photographique en souvenir du New-York Central.

Les premières belles “Hudson” remportent un éclatant succès dès les premières années 1930.
La “Commodore Vanderbilt” du New York Central. 1934.
La fabuleuse 232 série J3a du même réseau, chef d’oeuvre du design de Dreyfuss. 1940
N’oublions pas, non plus, que le Canada a eu, lui aussi, de belles “Hudson” sur son réseau.

En Allemagne, le Reich essaie la puissance et la gloire avec ses 232.

Le milieu des années 30 est l’époque d’un apogée pour les chemins de fer allemands : le pouvoir national-socialiste est un partisan convaincu du développement des moyens de transport, et le chemin de fer est, avec les autoroutes, un élément important de cette politique à forte image de marque.

L’Allemagne du deuxième Reich des années 1930 veut s’imposer comme un modèle de développement industriel et économique, et trouver, dans ses moyens de transport, une image forte de progrès à la fois technique et social. Les chemins de fer ont un rôle primordial à jouer et la vitesse ferroviaire est à l’ordre du jour dès le début des années 1930. Les pouvoirs publics encouragent la Deutsche Reichsbahn à accélérer la marche de ses trains.

Mais les ingénieurs allemands pensent que le moteur à vapeur a atteint ses limites, et misent sur ce véritable moteur du futur que l’Allemand Rudolph Diesel a mis au point au début du siècle, et qui a fait ses preuves dans la marine. La mise en marche d’autorails diesel très rapides comme le « Fliegender Hamburger » (voir l’article déjà paru à leur sujet) roulant à 160 km/h et réalisant des moyennes de plus de 120 km/h entre Hambourg et Berlin, certes, est un progrès marquant et remarqué dans le monde entier à l’époque. Toutefois, la locomotive diesel de ligne, puissante et lourde, capable de remorquer à grande vitesse des trains classiques lourds : il faut donc encore songer à perfectionner les locomotives à vapeur.

Les impressionnantes, puissantes et rapides, 232 allemandes des années 1930 provoquent l’admiration des foules.

La 232 peut-elle relever le défi ?

En tête de trains classiques légers, des moyennes de 120 km/h peuvent être tenues par des « Pacific » unifiées qui montrent que la traction vapeur, sous certaines conditions de qualité de voie et de qualité de roulement du matériel remorqué, est tout à fait apte aux grandes vitesses.

Des constructeurs comme Borsig, de Berlin, étudient des locomotives à vapeur à grande vitesse capables de rouler à plus de 150 m/h, et font des essais de locomotives à turbines à vapeur, ou de chaudières à haute pression. La firme Henschel étudie et réalise une 232 carénée à 3 cylindres prévue pour rouler à 250 km/h en tête de rames légères aérodynamiques formant le fameux train Wegmann. D’autres projets de locomotives-tender carénées du type 221 prévoient des vitesses de 220 Km/h en tête d’une rame articulée comprenant 2 voitures sur 3 bogies.

Mais c’est chez Borsig que le célèbre ingénieur Adolf Wolff créera un chef d’œuvre,  la locomotive 232 de vitesse allemande formant la légendaire série 05.

La 05-001.

Le Deustche Reichsbahn, en 1934, commande au constructeur Borsig une locomotive à disposition d’essieux type 232 destinée à supplanter les « Pacific » selon une évolution très en vogue à l’époque sur l’ensemble des grands réseaux, notamment américains. Les deux premières locomotives de la série sont produites dès 1935.

Etablie selon les principes des locomotives unifiées de la Deutsche Reichsbahn, la machine est capable d’atteindre 175 Km/h avec un train de 250 tonnes. Elle est dotée d’un foyer débordant, donc très large, comportant une grande grille de 4,7 m2. Le faisceau tubulaire de la chaudière a une longueur exceptionnelle de 7 m. La pression de la vapeur (ou « timbre » en termes de métier) est élevée, avec 20 kg/cm2. Un surchauffeur, un réchauffeur viennent augmenter le rendement. Les roues motrices ont un diamètre très important avec 2300 mm. La locomotive est immatriculée dans la série 05, dont elle est la première, d’où le numéro 05-001.

La 05-002.

Immatriculée 05002, la deuxième locomotive sort des ateliers Borsig en 1935, comme la 05-001. Lors des nombreux essais entrepris, elle atteint 200,4 Km/h avec un train de 297 tonnes, sur la ligne Hambourg-Berlin, développant plus de 3.400 ch. aux cylindres et environ 1.605 ch. au crochet du tender. Le rendement aux grandes vitesses est très faible car l’ensemble locomotive+tender absorbe, à 200 Km/h la presque totalité de la puissance au crochet avec 1532 ch. Cet intéressant essai montre que la pratique des grandes vitesses demande beaucoup d’énergie et se pose en termes de rendement et d’opportunité.

Toutefois, la Seconde Guerre mondiale lui refusera, comme aux autres locomotives de la série, toute chance d’être utilisée : la demande de transport évolue vers des trains très lourds, lents, avec de nombreux arrêts (prévus ou impromptus !) et cette belle série de trois locomotives exceptionnelles est garée pour longtemps. Remise en service une fois la paix revenue, dépourvue elle aussi de son carénage, la 05-002 est utilisée jusqu’en 1958.

La 05-003.

La troisième locomotive reçoit un équipement spécial pour le fonctionnement au charbon pulvérisé. Le chargement du foyer étant automatique, il est possible, comme pour les locomotives chauffées au fuel, d’éloigner la cabine du tender et de la disposer à l’avant de la locomotive pour donner une excellente visibilité à l’équipe de conduite. Mais la Seconde Guerre mondiale ne permet pas de pousser plus loin ces essais de techniques nouvelles, et la 05-003 reste inutilisée. Au lendemain de la guerre, elle est reconstruite et remise au type classique, avec cabine de conduite à l’arrière, contre le tender, et chauffe traditionnelle au charbon. Elle termine sa carrière en 1958, comme ses deux sœurs, mais n’est pas préservée.

La 232 allemande série 05-003 sous sa première forme avec une cabine de conduite placée à l’avant de la locomotive qui est inversée. Le chauffeur reste à l’arrière et étouffe…
La 232 série 05-003 sous sa belle forme classique, avec le “jour” et la “dentelle” des roues motrices et du châssis très aéré.
Caractéristiques techniques.

Type : 232

Constructeur : Borsig

Année de construction : 1935

Moteur: simple expansion 3 cylindres.

Diamètre des cylindres: 450 mm.

Course des pistons :  660 mm.

Diamètre des roues motrices: 2300 mm.

Diamètre des roues porteuses : 850 mm.

Surface de la grille du foyer: 4,7 m2.

Surface de chauffe de la chaudière : 256 m2

Surface de chauffe du surchauffeur : 90 m2

Pression de la chaudière: 20 kg/cm2.

Contenance du tender en charbon: 10 t.

Contenance du tender en eau: 37 t.

Vitesse maximale en service: 175 km/h.

Vitesse record: 200,7 km/h.

Masse totale: 213 t.

Masse de la locomotive : 127 t.

Masse du tender : 86 t.

Longueur totale: 26,26 m.

Longueur de la locomotive : 18, 75 m.

Longueur du tender : 7, 51 m

%d blogueurs aiment cette page :
search previous next tag category expand menu location phone mail time cart zoom edit close