Peu connus, très rarement décrits dans la littérature ferroviaire, les chemins de fer de l’Équateur sont pourtant surprenants, mais restent, comme le pays lui-même, entourés d’un certain secret. Ils sont même omis des tableaux statistiques dans les revues du XIXe et du XXe siècle. Cet oubli ne facilite guère la recherche historique, mais avive la curiosité, et attire des « globe-trotters » ferroviaires du monde entier, sans compter les passionnés de “rando” qui transpirent sur les sentiers abrupts de l’ “Avenue des volcans”. Alors, l’Équateur ?

Avec 283 561 km² (îles Galápagos comprises) et ses 8 000 000 d’habitants, l’Équateur est une petite république dont le territoire, jadis, était partie intégrante de l’empire inca. Conquis au XVIe siècle par Pizarro, il fait partie du Pérou, et parvient à son indépendance en 1809, la perd et la retrouve en 1830 après une période mouvementée. Le Pérou reste, pour l’Équateur, le grand voisin qui fait de l’ombre et avec lequel il s’entend mal, se lançant dans une guerre contre lui en 1941.
Premier exportateur mondial de cacao au début de notre siècle, l’Équateur subit fortement la crise de 1929-1930, et il reste un pays peu industrialisé, et peu doté de moyens de communication : un relief très difficile est la cause principale de ce repli. Le chemin de fer lui apporte une certaine ouverture économique, mais reste faiblement présent, se réduisant, dans les faits, à la ligne centrale orientée nord-sud en voie de 1067 mm, reliant la capitale Quito au grand port qu’est Guayaquil et quelques très petites lignes indépendantes en voie de 60.
Les aventures de Von Humboldt, pour commencer.
Tout commence en 1802 quand l’explorateur allemand Alexander Von Humboldt entre dans le pays et parcourt les montagnes pour se retrouver dans une impressionnante vallée de plus de 400 km de long qu’il appelle très émerveillé : « l’avenue des volcans ». Au milieu du XIXe siècle, l’exportation du cacao, entre autres denrées dites alors « coloniales » apporte la fortune à l’Équateur. Le pays évolue vers la modernité avec un gouvernement centralisé remplaçant les anciens clans, et désirant créer une industrie et un commerce actifs.
C’est notamment Garcia Moreno qui, venu des montagnes du pays, est l’homme de la transformation. Il prévoit la construction de chemins de fer, avec une ligne centrale reliant le grand port de Guayaquil à Quito qui prendra le nom de « Southern Railway ». Il fallut 36 années pour venir à bout de la construction de la ligne de 464 km, en écartement de 1067 mm, ceci avec des périodes très troubles de corruption ou de désordre politiques qui viennent s’ajouter à des conditions physiques de travail éprouvantes.
Une ligne de chemin de fer pour laquelle on assassine.
En 1875, Moreno est assassiné sur les marches du palais présidentiel, alors que la ligne qu’il avait voulue est à peine en construction depuis trois ans. Mais elle est très contestée par l’ensemble des gens qui ont un pouvoir dans le pays et qui tiennent à ce que rien ne bouge. Or le chemin de fer amène le mouvement, déplace les foules, apporte de nouvelles idées et de nouvelles manières de vivre, change la donne des cartes…
Ce ne sera pas le dernier chef d’État à périr à cause de cette ligne, puisque Eloy Alfaro, le président qui devait l’inaugurer, est tué par des conservateurs extrémistes hostiles à toute réforme dans le pays. Avec deux chefs d’État et plus de 3 000 victimes parmi les ouvriers lors des travaux, la ligne est vraiment la ligne de la mort… Il faut ensuite 57 années de travaux et de souffrances comparables pour mener à bien la construction de 373 km de lignes, toujours en écartement de 1067 mm.

Ces lignes forment le Northern Railway entre Quito et San Lorenzo, tout comme le tronçon de Simbabe à Cuenca en 1965 seulement, et long de 110 km. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le réseau comprend un ensemble de lignes totalisant 965 km, dotées d’un parc de 30 locomotives à vapeur, 17 locomotives diesel, 35 voitures et 500 wagons.
Sous sa forme la plus complète et la plus achevée, le réseau équatorien aurait transporté environ 1,7 million de voyageurs et 600 000 t de marchandises annuellement. Il est nationalisé en 1960. À son époque, le parc de locomotives à vapeur est, à l’instar de l’ensemble des réseaux du continent sud américain, de construction américaine, et du type 130 et 140. Les locomotives diesel sont, elles aussi, de construction américaine, mais des machines plus récentes ont été fournies par Alstom.




Un réseau enfin complet, mais pour dix années seulement.
Le réseau, enfin complet, n’existe sous cette forme qu’une dizaine d’années, pas plus. Pendant les années 1970, les pouvoirs publics ferment les lignes tronçon par tronçon. Cette lenteur politique, tant dans la maintenance du réseau que la construction de lignes nouvelles, s’explique par le manque d’argent public pour les entretenir, le manque de volonté politique de voir le pays bouger. Les dirigeants laissent l’ensemble du réseau ferré national pourrir sur place ou être démantelé par les habitants qui emportent tout, jusqu’à la moindre traverse pour se chauffer, jusqu’au moindre rail pour le vendre. Rien ne reste, comme si des termites avaient tout mangé, et même les pierres des ouvrages d’art ou des bâtiments sont emportés pour servir à la construction de maisons individuelles.
Inutile de dire que le matériel roulant est réduit à l’état de squelette, quand les caisses et tout leur équipement ont disparu, mais le squelette lui-même, c’est-à-dire le châssis, a encore de la valeur marchande. Les fils de cuivre des lignes électriques téléphoniques ou télégraphiques sont très appréciés, et le moindre porte-plume du bureau de la plus petite gare trouvera une nouvelle raison de vivre entre d’autres mains… La nature, avec des inondations et des glissements de terrain, se charge, elle aussi, de détruire insidieusement le réseau, et les excès météorologiques et les vents d’El Nino, en 1998, parachèvent la lente et inexorable destruction de cette œuvre faite par l’homme.
Et aujourd’hui ? Les hommes de bonne volonté retroussent leurs manches.
Selon le Président Directeur Général actuel de l’ENFE, l’état équatorien prévoit une réparation et une remise à niveau du réseau national. Ceci représente un travail lourd et très long estimé à environ 175 millions de dollars et devant durer une décennie ou deux. Une vraie reconstruction, qui serait beaucoup plus nécessaire, coûterait le double de la somme, et la construction d’un réseau aux normes actuelles coûterait 700 millions de dollars.
Le 29 novembre 2001, la réhabilitation des lignes principales a été votée. En 2002, la rénovation de la voie entre Guayaquil et Riobamba, et entre Ibarra et San Lorenzo a été décidée, mais insuffisamment financée. L’insuffisance des décisions et des actions des pouvoirs publics a fini par inciter l’ENFE à se tourner vers des entreprises et des opérateurs privés, voire des bénévoles, des gens décidés à reconstruire le pays avec la force de leurs bras.
On voit même des villes comme Riobamba et Manta rénover elles-mêmes leurs gares, et financer, avec l’accord des citoyens ou des collectivités locales, des mises en service de trains sans aucune aide officielle. La relation Riobamba – Sibambe, aujourd’hui, génère un bénéfice de plus d’un million de dollars !
Les autorités du port de Manta, le deuxième port équatorien après Guayaquil, envisagent de construire une ligne spéciale pour trains cargo transportant des containers jusqu’au grand port national à une vitesse de 130 km/h. Les trains comprendraient 50 wagons transportant chacun deux containers de 40 pieds. Le projet est estimé à 60 millions de dollars et plusieurs investisseurs américains et européens ont fait acte de candidature. Mais, pour le moment, le réseau équatorien reste, d’une manière générale, en l’état d’abandon qui le caractérise depuis des décennies.
D’un grand réseau de plusieurs milliers de kilomètres de petites lignes en tous sens, il n’en reste que trois tronçons exploitables. Le premier est un tronçon de 100 km relie Riobamba à Sibambe nous intéresse plus particulièrement ici. On trouve un autre de 60 km entre Quito, la capitale et le parc national de Cotopaxi avec son fameux volcan parfaitement conique. Enfin, un dernier tronçon de 44 km rejoint Ibarra à Primer Paso.



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