La CC-7121 fait des essais en 1954 ? C’était pour en finir avec le « cent quarante à l’heure » qui règne, en maître absolu de la vitesse, depuis l’entre deux guerres, sur le réseau français. La CC-7121 roule à 243 km/h : c’est merveilleux. Et, pourtant, cette vitesse n’est qu’une étape. On oublie rapidement cet événement qui est gommé par les records à 331 km/h de l’année suivante. Cependant, s’il a été organisé en 1954 et renouvelé en 1955, c’était pour une multitude de raisons tant techniques que commerciales.
Du 17 au 21 février 1954, entre Dijon et Beaune, la SNCF procède, sous la direction de Marcel Garreau et de Fernand Nouvion, à une courte et discrète campagne d’essais. Pendant ces cinq journées, tout se passe sans la présence de la presse, et dans un but purement interne et technique.
La locomotive CC-7121 est à l’honneur et elle a pour mission de tester les marges de sécurité existant à la vitesse en service de 140 km/h. C’est, à l’époque, une vitesse alors pratiquée par une forte proportion de trains rapides en traction électrique sur les grandes lignes du réseau. Avec une marge de sécurité de 100 km/h ajoutée aux 140 km/h, soit, ici, un bon 243 km/h, la SNCF peut se dire confiante. Et, elle a raison. Mais, cette vitesse, sans que cela soit le but de l’opération, vient établir un nouveau record du monde. Difficile, alors, pour la SNCF, de rester discrète…

Quand les trains « font du 140».
La vitesse maximale pratiquée en service courant sur les lignes de la SNCF est de 140 km/h dans les années 1950. Elle ne représente pas un progrès considérable par rapport aux années d’avant la Seconde Guerre mondiale, où le 140 km/h est déjà atteint et maintenu en traction vapeur sur certaines lignes du réseau du nord. Ajoutons aussi qu’elle se pratique sur les anciens réseaux aussi et surtout en traction électrique. C’est le cas pour le Paris-Orléans sur la ligne de Paris à Bordeaux, mais jusqu’à Vierzon en 1926, puis Tours en 1933, et Brive en 1935. Ce fut aussi le cas pour le réseau de l’État sur sa ligne emblématique de Paris au Mans dès 1937.
Et, on ne peut pas dire, par rapport aux 120 km/h du XIXe siècle atteints par certains trains rapides légers, que le 140 km/h soit un progrès remarquable. Mais, ce que la vitesse ne dit pas, est que les poids des trains ont pratiquement triplé, passant de 200 à 600 tonnes entre les années 1880 et 1930. Ce poids atteint 1000 tonnes après la Seconde Guerre mondiale, et l’exploit de la SNCF d’alors est bien d’avoir maintenu des vitesses moyennes et de pointe identiques. Or c’est bien la charge transportée qui rapporte beaucoup plus que la vitesse.
La Seconde Guerre mondiale arrêtera tout progrès pendant une vingtaine d’années, jusqu’en 1954. Le « cent quarante à l’heure » réalisé, dans les années 1950, en particulier par le train « Mistral » se fait entre Paris et Dijon avec des locomotives électriques qui sont, soit du type 2D2, soit du type CC. On y ajoute le type BB avec trois prototypes mis en service en 1953. Au cours d’essais antérieurs, on a pu réaliser, avec ces diverses machines, des vitesses maximales comprises entre 160 et 180 km/h, ce qui donne déjà une idée de la marge existant entre la vitesse de service et la vitesse maximale.
Des incertitudes planent chez les ingénieurs.
Mais, d’après la Revue Générale des Chemins de fer de Mars 1954, les ingénieurs de la SNCF de l’époque ont besoin de rechercher avec plus d’exactitude la vitesse maximale des locomotives électriques en question. Cette recherche se fait en vue de déterminer plus précisément la marge que présente la vitesse de service de 140 km/h adoptée, et qu’il n’est pas question d’augmenter pour l’instant, écrit la RGCF.
Une telle détermination a pour intérêt, non seulement de chiffrer une sorte de coefficient de sécurité en visant à établir un matériel capable de rouler de plus en plus vite. Elle permet d’obtenir des locomotives qui, aux vitesses usuelles, exercent des efforts de plus en plus réduits, ce qui diminue les dépenses d’entretien de la machine et de la voie. À ce titre, les essais entrepris entraient dans le cadre des recherches de productivité et de réduction de prix de revient.
Le choix d’une CC.
Pour expérimenter ses locomotives électriques à la plus grande vitesse possible, la SNCF choisit une CC, en l’occurrence, la CC-7121. Vu d’aujourd’hui, on s’attendrait plutôt à ce que soit une BB. Mais, le choix en faveur de cette CC s’explique par le fait qu’elle garantisse la puissance disponible aux vitesses élevées et une vitesse de rotation possible des moteurs parfaitement adaptée sans modification des rapports d’engrenages. En outre, cette série de machines est suffisamment éprouvée et mise au point concernant la stabilité depuis qu’elle est apparue en 1949, étudiée et construite par Alstom.
Les CC 7100 sont construites à 60 exemplaires pour la ligne Paris-Lyon et pour le renforcement du parc de la Région du Sud-Ouest en machines de vitesse. Elle constitue, à l’époque où les prototypes de la série sont mis en service, la première réalisation mondiale de locomotive électrique à grande puissance, à grande vitesse, et à adhérence totale. Elle est destinée à remorquer effectivement, en service commercial à 140 km/h, les trains de voyageurs les plus lourds dont la charge atteint le millier de tonnes sur le réseau français. Elles supplantent dans les services nobles les fameuses locomotives à adhérence partielle du type 2D2 qui ont jusqu’alors constitué la totalité du parc à grande vitesse des anciens réseaux et de la SNCF.


Cinq journées d’essais pour un train assez ordinaire, à quelques détails près.
Le programme des essais mis au point par Fernand Nouvion est une série de marches à vitesses progressivement croissantes. Cinq jours d’essais sont prévus, en commençant, le premier jour, par la vitesse de 160 km/h, puis en réalisant, le deuxième jour, 180 km/h, et en augmentant ainsi la vitesse de jour en jour. Après chaque essai, on examine l’état de la voie et on vérifie qu’aucune déformation n’a eu lieu. Lors de l’essai, les ingénieurs mesurent, sur la machine, les efforts latéraux exercés par les premier et troisième essieux du bogie avant, qui sont les essieux susceptibles de développer les efforts les plus élevés.
Ces mesures sont menées avec des appareils spéciaux mis au point par l’ingénieur Mauzin, avec le recours à des quartz piézo-électriques et des enregistrements par oscillographes cathodiques. En principe, l’effort admissible, avant déformation de la voie, peut atteindre environ 7 tonnes pour un essieu de locomotive type CC 7100 chargé à 17 tonnes.
Le train d’essai est composé de la locomotive CC-7121 pesant 107 tonnes, et de trois voitures à voyageurs, de 37 tonnes chacune, prises parmi les voitures du type A3B5 de 1950. Ces voitures ont été conçues par l’ingénieur Forestier de la Direction des Études de Voitures de la SNCF, d’où leur appellation courante de « DEV ». Ces voitures métalliques sont montées sur des bogies Y du type classique “Pennsylvania” 16E.
Ces bogies ont été modifiés par la SNCF pour que des appuis latéraux prennent en charge une partie des contraintes exercées par la caisse, ce qui introduit un frottement et un freinage de la rotation du bogie autour de son axe vertical. La stabilité des voitures est mesurée durant l’essai par l’enregistrement des accélérations latérales relevées avec des accéléromètres du type à quartz piézo-électrique, une voiture stable donnant des accélérations de l’ordre de 0,05 g à 0,10 g
Les enseignements des essais.
Les essais sont effectués sur le parcours de Dijon à Beaune entre les points kilométriques 314,3 et 351,2, sur une distance de 36, 9 km. Ils sont menés en utilisant la voie 1, une voie entièrement en palier. Elle comporte des alignements avec quelques courbes au grand rayon 4 500 m au km 320, d’un plus grand rayon mesurant 5 200 m au km 332, et d’autres rayons un peu plus petits se situant entre 2 850 et 4 000 m sur le reste du parcours. Cette voie est du type unifiée SNCF réalisée en rails de 50 kg au mètre, avec un écartement de 1 437 mm. Son état d’entretien est tel qu’il est assuré en service normal, sans aucune correction ou aucun entretien exceptionnel en vue des essais.
Les vitesses effectuées pendant les essais sont enregistrées à l’aide d’un appareil Flaman spécialement préparé pour les essais, et sont vérifiées et confirmées par des mesures au chronomètre faites depuis le sol.
Les vitesses maximales ont été atteintes dès la première partie du parcours, avant le point kilométrique 332. L’accélération la plus grande a été naturellement celle réalisée pour le dernier essai, à 243 km/h, où la vitesse a passé de 150 km/h, au point kilométrique 317, à 243 km/h au point kilométrique 331, sur 14 km et en 4 minutes. Ceci se fait en absorbant une puissance de 2 940 kW à la caténaire.
Dans aucun cas, il n’a été constaté de déformation de la voie. Le relevé des efforts latéraux exercés sur le rail par le troisième essieu de la CC donne lieu aux efforts les plus élevés. Mais, il établit que les efforts ont augmenté avec la vitesse, tout en restant dans des limites acceptables. En alignement, ces efforts sont restés notablement inférieurs à la limite de 7 tonnes, et n’ont atteint que la moitié de ce chiffre aux vitesses de 185 à 220 km/h. Dans les courbes de 3 500 à 4 000 m de rayon, et à 200 km/h, les efforts sont restés inférieurs au chiffre en question.
Les accélérations relevées pendant tous les essais sur la deuxième voiture sont restées de l’ordre de 0,06 g à 0,10 g, ce qui est très satisfaisant et pratiquement semblable à ce qu’on constate à la vitesse de 140 km/h en service courant.
Évidemment, les voitures sont récentes, ayant des parcours réduits depuis leur sortie de construction. Pourtant, on peut déduire que, pour des bogies dont les jeux pourraient être maintenus près de leurs valeurs d’origine, le problème de la très grande vitesse, en alignement et en courbe de grands rayons, peut être considéré comme résolu. Ce sera le cas, notamment, avec le nouveau modèle de bogie Y 20 qui sera en service dans les années qui suivent ces essais.

La vitesse de 243 km/h est la limite – du moins pour quelques mois encore.
Ces essais poussés jusqu’à 243 km/h correspondent, à l’époque, à la limite d’utilisation des moteurs et des transmissions. Les pantographes « standard » équipant la locomotive ont subi des conditions d’emploi très dures, eu égard particulièrement à l’amplitude de la vibration des caténaires, mais n’ont pas montré de signes de faiblesse. Des constatations aussi satisfaisantes sont également à noter concernant la stabilité des voitures. Il est essentiel, pour la RGCF, d’ajouter que, pour la locomotive et les voitures comme la voie et la caténaire, le matériel éprouvé durant ces essais a été le matériel de série dans son état normal d’entretien.
La CC-7121, diva d’un jour.
Comme on dirait aujourd’hui, le “coming out” de la CC-7121 « a fait le buzz » pour un temps limité et d’une manière peu “moderne”. Certes, la SNCF a fait ce qu’elle a pu, mais ses dirigeants, en costume trois pièces, coiffés cheveux courts et bien dégagés sur les oreilles, ne portent pas la banane et ne jouent pas de la guitare électrique. Cela viendra, ou presque, trente ans plus tard, avec la voiture Corail, et nous ne dirons rien de la “com” actuelle, totalement “in”.
Lors de la Foire de Paris, selon la presse, le président de la République René Coty reçoit des mains de Pierre Tissier (directeur général de la SNCF) « la maquette de la locomotive CC 7121 qui a battu en février 1954 le record du monde de vitesse sur rail (243 km/h)». La presse fait ce qu’elle peut : « Cette victoire symbolise les efforts de modernisation de la SNCF depuis 1945». La CC-7121 poursuivra sa carrière en roulant normalement, c’est-à-dire discrètement, et elle a eu de la chance, car a été préservée, et elle est à Nîmes, complète, mais dans un état disons « d’avant restauration ».
La CC-7121, diva longue durée dans le monde du train-jouet.
Ce qui est le plus curieux, est que, en miniature, la CC-7121 a eu quelques chances de se faire remarquer. Les marques de trains jouets, comme JEP, qui ont déjà une CC-7001 en écartement «0» sur leur catalogue, redessinent, dans l’enthousiasme, l’illustration du catalogue, mais uniquement sur le catalogue. Les bureaux d’études ne retouchent pas pour autant le jouet qui reste avec son 7001. Le jouet en question, entièrement moulé en zamak et atteignant un poids respectable de plus de 2 kg, propulsé par deux moteurs et « faisant du 250 km/h à l’échelle», a coûté une fortune. Les bureaux d’études JEP refusent de le modifier, laissant aux commerciaux de la firme de ravaler leur chapeau. Et puis, le temps de s’y mettre, voilà qu’en 1955, il faudrait déjà passer de CC-7121 à CC-7107, ce qui est décourageant !



D’autres marques, comme Hornby-France, produisent, de 1968 à 1973, la CC-7121 sous la référence 6372, chose curieuse qui montre que le record de 1955 n’a pas totalement “gommé” celui de 1954. Notons que, sur la page du catalogue, Hornby, les commerciaux peu informés comme beaucoup de fabricants de jouets de son temps, gratifient la CC-7121 d’un record à 340 km/h ! Mais, c’est bien une CC-7100 et non une CC-7001 ou 7002 prototype : JEP paiera son erreur commerciale.

A son tour, la marque italienne Rivarossi, qui importe beaucoup de modèles en “H0” en France, produit bien une CC-7121 sous la référence 1600. Cette production est faite, mais tardivement, et entre 1992 et 2002, et choisissant ce numéro 7121 plutôt que 7107, sans doute parce que Rivarossi ne dispose pas d’autres informations que celles lues sur le défunt modèle Hornby.
Jouef, la grande marque nationale en “H0” qui réjouira l’enfance des “Trente glorieuses”, ne manquera pas de produire, lui aussi, sa CC-7107 de 1966 à 1980. Notons que Jouef fait des erreurs en la produisant d’abord sur des bogies trop courts et inexacts qui sont ceux de la CC-40100 de la marque, avant de refaire, en 1969, des bogies spécifiques longs et caractéristiques de la vraie CC-7100.


En modélisme actuel de haut niveau, la marque REE produit, pour l’échelle “H0”, plusieurs versions de la CC-7100 comme la CC-7128, CC-7114, CC-7126 ou CC-7102. La précision est là, ainsi que l’exactitude des détails : nous sommes loin du train jouet.
Un modèle de la CC-7121 existe à l’échelle “N”, fabriqué par Startrain, à l’échelle “N”, un rare modèle vendu par Star Boutique toujours actuellement.
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