Eh bien, c’est arrivé quelques fois… Rarement, quand même, mais cela faisait des dégâts et, hélas, des morts au sein des équipes de conduite. L’explosion de chaudière est la grande crainte des débuts, et bien des gens se refusent à prendre le train pour cette raison. Marc Seguin, lors de l’ouverture de sa ligne Saint-Etienne-Lyon en 1833, doit garantir à ses clients inquiets que les trains de voyageurs seront tirés par les chevaux. Une autre solution moins inquiétante est que les trains soient treuillés par des machines fixes placées près (mais pas trop) de la voie et aux sommets des rampes, tandis que le poids du train sera suffisant pour dévaler une descente sur les pentes. Mais, les millions de personnes qui, annuellement, prennent tranquillement les premiers trains doivent se dire que le pire n’est jamais certain ! Ils prient pour que la locomotive arrive à bon port entière, ainsi qu’eux-mêmes.

La machine à vapeur, telle que Papin, Newcomen, Watt et tant d’autres pionniers la définissent initialement, utilise la pression créée par l’eau portée à ébullition dans un récipient clos et étanche – ici, la chaudière. L’eau se transforme en vapeur. Simple, ce principe est connu de tous ceux qui, dès l’enfance et depuis des siècles, ont vu les couvercles des casseroles et des lessiveuses se soulever. Il permet de disposer d’une très grande force motrice à condition toutefois d’élever la température de l’eau et d’augmenter les surfaces de contact entre les gaz chauds provenant du feu et l’eau contenue dans la chaudière.
Notons que le chemin de fer naissant utilise la chaudière tubulaire. Elle est mise au point, simultanément, par Georges Stephenson en Angleterre qui en fait la démonstration lors du concours de Rainhill en 1829, sur sa fameuse locomotive « Rocket » (fusée), et par Marc Seguin, en France, sur sa ligne de St-Etienne à Lyon. Cette ligne est la première ligne commerciale française avec un service de voyageurs et des horaires.
Mais, ni l’un ni l’autre, contrairement à ce qui est encore très souvent allégué dans des ouvrages sérieux, ne sont l’inventeur de la chaudière tubulaire. Le brevet de la chaudière tubulaire de type industriel est déposé par un certain Woolf, mécanicien de mines au Pays de Galles, en 1803, ceci d’après l’ouvrage biographique de Samuel Smiles consacré aux Stephenson père et fils, paru aussi en France en 1858. Woolf, grand et fécond inventeur, n’est que le dépositaire du brevet : sans doute ne savait-il pas que le principe d’un ou deux tubes dans une bouilloire ou une petite chaudière était connu depuis longtemps.
Petite histoire de la chaudière pour ceux qui n’osent pas la demander.
Si les premières locomotives utilisent, en fait de chaudière, une simple bouilloire en fer, celles de Marc Seguin et de Georges Stephenson, à partir de 1829-1830, utilisent la chaudière tubulaire comportant intérieurement des tubes parcourus par les gaz du foyer. La production de vapeur est à la fois plus rapide et plus importante. Ainsi, il est désormais possible de l’emmagasiner à une plus forte pression pour en tirer une puissance accrue.
La pression des premières locomotives, comme la Locomotion, est de 1,76 kg/cm², seulement, et avec Seguin, elle passe à environ 3 kg/cm². Les « Planet» que Stephenson produit en série à partir de 1830 en sont à 3,5 kg/cm², la “Adler” allemande de 1835, sur la ligne de Nuremberg à Fürth, est à 4,2 kg/cm². Peu d’années après, la “Crampton” en France, depuis 1844, est déjà à 7 kg/cm², et les locomotives type 220 ou 230 des anciennes compagnies de 1890-1900 en sont à 15 kg/cm². Les locomotives type “Pacific” ou “Mountain” les plus performantes des années 1930 atteindront 20 kg/cm². La pression est donc multipliée par plus de dix durant l’histoire de la locomotive à vapeur.





Les causes les plus courantes des explosions.
La violence de certaines explosions de chaudières s’explique par la formation subite et abondante de vapeur lorsque la masse d’eau qui remplit la chaudière, à une température élevée, est instantanément déchargée de la forte pression qu’elle subissait et soumise seulement à celle de l’atmosphère, ce qui se produit dans le cas d’une simple fuite qui peut entraîner une explosion.



Avec une pression effective de 12 kg/cm², l’eau est à une température de 191°, mais sa température tombe à 100° dès que cette pression cesse. La chaleur qu’elle abandonne transforme partiellement l’eau en vapeur, ce qui produit 170 g de vapeur par kilogramme d’eau. Même une petite déchirure, ou une rupture de tube à fumée, sans projections violentes, est toujours à redouter, vu la gravité des brûlures par l’eau chaude et la vapeur.
D’après les ouvrages techniques concernant la conduite des locomotives à vapeur, l’attention des chauffeurs et des mécaniciens est attirée sur trois sortes de causes d’explosion : l’insuffisance de résistance de la chaudière neuve, la corrosion ou la fissuration des tôles, des tirants, ou des entretoises de la chaudière, et enfin la maladresse, ou l’imprudence du personnel.
Il est incroyable qu’une chaudière neuve ne soit pas solide, et pourtant, c’est arrivé avec des locomotives neuves, soit parce que les formes et les épaisseurs des tôles, ou encore les sections de tirants, sont mal déterminées, soit parce que la tôle est mauvaise ou l’exécution défectueuse. Ces circonstances se présentent rarement pour les locomotives, étudiées avec soin et d’après les données d’une longue pratique, et dont la construction est généralement soignée. L’épreuve obligatoire d’une locomotive à la sortie d’atelier, effectuée à la presse, n’est pas une garantie contre cette cause d’accidents, les efforts pendant l’épreuve et en service n’étant pas exactement les mêmes.
Une chaudière parfaitement construite ne manquera pas de vieillir et de souffrir en service. Très insidieusement, la corrosion, qui finit toujours par se produire en certains points, la rend dangereuse à la longue. Il est certain que les visites soigneusement faites, les réparations ou les remplacements en temps opportun écartent ce danger. La détérioration de la chaudière est accélérée par un mauvais emploi des appareils, par le manque de soins, par les refroidissements brusques, ou encore par les petits coups de feu, et surtout les fuites qui rongent la tôle à l’extérieur.
Enfin, les fautes du personnel, pouvant provoquer une explosion immédiate, sont de deux sortes : le manque d’eau et l’excès de pression. Le manque d’eau est le fait d’une absence de surveillance de la part du chauffeur. L’excès de pression résulte du « calage » (ou de la surcharge) des soupapes par un mécanicien avide de vitesse et désireux de raccourcir le temps de trajet pour pouvoir rentrer plus vite chez lui le soir….
Le niveau d’eau : à surveiller sans relâche !
Les chaudières des locomotives comportent un foyer de forme parallélépipédique d’où les gaz chauds de la combustion s’échappent en parcourant le faisceau tubulaire entouré de l’eau du corps cylindrique. Les gaz chauds abandonnent donc à l’eau, par rayonnement et conductibilité, la majeure partie de leur chaleur, ce qui transforme l’eau en vapeur d’eau. Puis ces gaz s’échappent dans l’atmosphère par la boîte à fumée et la cheminée, disposée à l’avant du corps cylindrique.
Il n’y a donc rien de critique en soi dans cette disposition, sauf si l’eau vient à manquer : dans ce cas, le feu, au lieu de chauffer du métal entouré d’eau froide, chauffe du métal entouré de vapeur, et la température monte dangereusement et peut atteindre plusieurs centaines de degrés très rapidement. La pression de la vapeur devient telle qu’elle fait exploser la chaudière là où le feu chauffe le plus fort et a fragilisé le métal, le chauffant à blanc : en général, c’est la plaque tubulaire ou le ciel du foyer.
Ne pas « fondre les plombs ».
Le travail du chauffeur, sur la locomotive, consiste à produire de la vapeur, et, donc, à « conduire le feu » de manière à ce qu’une quantité de vapeur suffisante soit disponible au moment des accélérations, des rampes, des parcours à grande vitesse. Il charge le feu avec sa pelle, il répartit le charbon sur le feu. Il surveille le feu pour éviter la formation de mâchefer ou l’accumulation de cendres qui pourraient étouffer le feu. Les conséquences d’une mauvaise conduite du feu, toutefois, ne sont pas dangereuses : la locomotive perd sa puissance, s’arrête, et on dit que le chauffeur « a planté un chou ». Il en est quitte pour un blâme et une amende, car il a fait perdre du temps et de l’argent à la compagnie.
De plus, il n’en reste pas moins vrai que la surveillance du niveau de l’eau est primordiale. L’équipe de conduite a devant elle un ou deux niveaux à tube en verre, et le tube doit toujours contenir de l’eau. Le manque d’eau peut provenir d’une panne des injecteurs ou, plus simplement, d’un oubli de remplir le tender. Ainsi, il faut immédiatement « basculer le feu », c’est-à-dire le jeter sur la voie.

Après les premières explosions et pour éviter, si possible, leur renouvellement, les ingénieurs ont placé des passages entre le foyer et la chaudière, et obturés en permanence par des « plombs » qui, en cas d’excès de chaleur, fondent : alors l’eau encore contenue dans la chaudière vient inonder le foyer et éteint le feu. On appelle cela « fondre les plombs », expression qui se transformera en « péter les plombs » sous l’influence d’une charmante modernité actuelle dans laquelle tout le monde devient fou. Il est arrivé toutefois, et jusqu’à la fin de la traction vapeur, que la vapeur, malheureusement, ait été plus rapide que les plombs, créant des explosions épouvantables.

L’explosion de la chaudière de la 141-C-623, le 2 août 1935.
C’est sans doute la plus forte explosion de l’histoire des chemins de fer en France. Elle se produit le 2 août 1935, au point kilométrique 68, 319 de la ligne de Culoz à Ambérieu, près de la gare de Tenay-Hauteville.
La locomotive 141-C-623 roule en tête d’un train de marchandises de 619 tonnes à 80 km/h. La chaudière explose avec une violence inouïe en pente et dans une courbe, poussant la voie voisine de 16 cm, projetant la chaudière de la locomotive à 156 mètres en avant du train. Le train, lui, s’arrête sur 449 mètres, les freins ayant agi automatiquement par suite de la destruction des conduites. Le châssis de la locomotive, avec ses roues et son embiellage, restent sur la voie. Le mécanicien et le chauffeur sont tués, et l’on retrouvera leurs corps déchiquetés, mais non brûlés, sur le ballast, gisant à 60 m l’un de l’autre.
La chaudière est montée à plus de 18 m de hauteur. Elle est ainsi retombée une première fois à 83 m, puis a rebondi trois fois de suite, faisant à chaque chute un trou important dans le sol.
L’enquête a établi que le cuivre du foyer a l’aspect bleui d’un métal porté au rouge. Les écrous des tirants ne sont pas rompus, mais les tirants ont cédé sous une très forte température. La partie qui a chauffé le plus est l’avant du foyer, qui a atteint 700°. L’explosion a été due à l’ouverture du foyer porté à très haute température, le métal perdant alors toute résistance à la pression et se déchirant. À 700° le cuivre ne résiste plus qu’à une pression de 2 kg/cm² contre 22 kg à température normale de fonctionnement. Le niveau de l’eau est descendu jusqu’à 384 mm en dessous du niveau réglementaire, et il manquait, à ce moment-là, 3 200 litres d’eau réglementaire, ou encore 1 400 litres par rapport au volume quand le ciel de foyer commence à se découvrir.
Environ neuf minutes se sont écoulées entre la fusion du premier plomb et l’explosion, et l’équipe de conduite n’a pas réagi à cette fusion du premier plomb. Le mécanicien avait simplement fermé le régulateur au sommet de la rampe précédant la pente dans laquelle l’explosion s’est produite.
Pour les lecteurs de ce site qui désirent lire un rapport très complet sur cet événement, avec de nombreuses illustrations, nous recommandons vivement ce lien :
https://cheminot-transport.com/2022/04/explosion-de-la-chaudiere-de-la-141-c-623.html


Quand la presse croit que l’explosion de la chaudière fait son “coming back”….
Il y a quelques années à peine, en août 2011, on pouvait lire ceci dans la presse :
“Trois personnes ont été gravement brûlées et cinq autres légèrement dimanche dans l’explosion de la chaudière d’une « locomotive à vapeur d’un train de collection» (sic) près de Chambéry (Savoie), a-t-on appris auprès des pompiers et de la gendarmerie. L’accident a eu lieu vers 16h30 sur la commune de Saint-Baldoph alors que le train circulait sur la voie ferrée Grenoble-Chambéry. Quarante-cinq pompiers sont intervenus. La circulation ferroviaire a été interrompue. Les personnes blessées, des membres de l’association à qui appartient cette locomotive, ont été brûlées au 2ᵉ ou 3ᵉ degrés, selon la préfecture de Savoie. Il s’agit d’une locomotive à vapeur ancienne venue du Creusot (Saône-et-Loire) et effectuant le trajet vers Aix-les-Bains, selon la même source. L’association Les Chemins de Fer du Creusot organisait un aller-retour Le Creusot/Aix-les-Bains ce dimanche à bord de sa locomotive 241-P-17 mise en service en 1950 et qui a parcouru 1,7 million de km au cours de son existence, selon le site internet de l’association”.
Ajoutons que la chaudière de « cette locomotive de train de collection» n’a pas explosé, mais qu’il s’est agi d’un violent retour de flamme dans le foyer et qui a envahi la plateforme de la cabine de conduite, et que plusieurs personnes ont été brûlées et, heureusement, non tuées. Mais, les vieux phantasmes règnent toujours, y compris au niveau des “fake news” trumpesques les plus modernes.
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