En 1900 : quand la vitesse n’apportera rien au chemin de fer.

Il y a ce que les réseaux appellent des « essais », et qui donnent parfois des records, mais qui, par une curieuse alchimie de la mémoire collective, sont rapidement oubliés. Il y a des vitesses records incroyables qui, occasionnellement, ne servent à rien, n’apportent rien au développement du chemin de fer. Le souvenir des 203 et des 210 km/h des automotrices Siemens et AEG respectivement, qui remonte au 6 octobre 1903 (voir l’article paru à ce sujet dans “Trainconsultant”), n’a pas été totalement éteint par la Première Guerre mondiale. Dans les années 1920, une élite d’ingénieurs pense toujours à cette vitesse extraordinaire qui préfigurerait, pour eux, le chemin de fer de l’avenir. Cependant, l’opinion publique est entièrement accaparée par d’autres visions du chemin de fer, plus pragmatiques, plus quotidiennes. Le chemin de fer ? Il sera toujours, pour des millions d’êtres humains, celui du quotidien, et pour les compagnies, celui du rendement et de la charge utile maximaux.

Superbe photographie datant du début du XIXe siècle, prise sur le réseau allemand. Les locomotives type 220 assurent le service des trains rapides, mais, cependant, en tête de trains très légers, donc à faible rendement. Ce n’est pas ce que recherchent les réseaux européens ou américains.

Dans la vie quotidienne des chemins de fer des premières décennies du XXe siècle, les choses ne changeront que très tardivement, comme si cette vitesse de 210 km/h avait été oubliée ou, pour le moins, jugée exceptionnelle et irréalisable dans la vie quotidienne.

À pas prudents, le chemin de fer européen s’en rapproche. De nombreux exemples de trains isolés ont montré que les locomotives des années 1910 peuvent sans précautions particulières atteindre des vitesses de 130 à 140 km/h, et, après la Première Guerre mondiale, ces exploits se renouvellent. Des locomotives à quatre ou cinq essieux, bien construites, avec un bogie avant ou un bissel mobile, roulant sur de bonnes voies, circulent avant la Première Guerre mondiale avec douceur et sécurité. Pour les ingénieurs de l’époque, rien n’empêche d’ailleurs de réaugmenter cette stabilité en augmentant l’empattement et en recourant à des dispositifs spéciaux de suspension.

Peu avant les records de Marienfelde-Zossen à 203 et 210 km/h, l’ingénieur allemand Avenmarg conçoit cette locomotive-tender à vapeur, à disposition d’essieux 323, destinée aux grandes vitesses. Mais c’est déjà le déclin de ce genre de préoccupation. Il faudra attendre une trentaine d’années et la période hitlérienne qui remettra au goût du jour la grande vitesse ferroviaire et en traction vapeur.

La vitesse à bon compte, grâce aux pentes.

Dès la fin du XIXe siècle, et plus encore au début du XXe, l’occasion de réaliser de plus grandes vitesses s’est présentée en Europe ou aux États-Unis. Ceci se passe là où les chemins de fer se trouvent en concurrence, comme en Angleterre, un pays où les lignes de la côte est et ouest se disputent le trafic de Londres sur l’Écosse. Cela se produit encore en France où la ligne du Paris-Orléans et le réseau de l’État se partagent le trafic des régions Ouest et Sud-ouest. Cela se passe aux États-Unis où plusieurs compagnies se disputent tous les grands courants de trafic, comme c’est le cas, notamment, entre New-York et Chicago.

Malgré cela, la vitesse moyenne que l’on peut trouver sur l’horaire n’atteint jamais 100 km/h. Quand elle atteint 96 à 99 km/h, on s’aperçoit, en regardant de plus près, que ces lignes sont toutes des lignes à faible pente où la pesanteur vient en aide à la machine. En Europe et aux États-Unis du début du XXe siècle et jusque durant les années 1920, et sur de longs trajets, on ne trouve nulle part de vitesse moyenne supérieure à 95 km/h.

Locomotive type 220 américaine du réseau Philadelphia & Reading, qui se veut porté sur la vitesse. Toutefois, cette dernière semble surtout concrétisée par le « design » assez osé de la cabine de conduite en forme de kiosque à journaux !
Vers la fin du XIXe siècle, aux États-Unis, les locomotives évoluent et quittent le genre « Western » tout en conservant la disposition des essieux du type 220. La vitesse n’est pas à l’ordre du jour, sauf sur quelques rares pentes avantageuses. Les trains sont désormais lourds et confortables et on dormira confortablement même pendant des trajets interminables.
Le 10 mai 1893, la locomotive N°999 du New-York Central roule, en tête de l’« Empire State Express » à 112,3 miles à l’heure, soit 180 km/h, ceci sur une longue pente entre Batavia et Buffalo. Les admirateurs se pressent autour de la locomotive exposée à New-York, mais l’exploit est rapidement oublié. Aujourd’hui toujours, les USA ne sont pas un lieu de très grande vitesse ferroviaire…

Le coût de la vitesse tue la vitesse.

Pourquoi ne marche-t-on pas plus vite pendant ces premières décennies du XXe siècle, puisque l’occasion se présente aussi souvent ? Tout simplement parce que cela coûte trop cher. D’après l’ingénieur allemand Von Borries, dans un grand article paru dans le « Zeitschrift des Vereines deutscher Ingenieure » en 1904, la locomotive exige déjà, aux vitesses de 90 à 100 km/h, pas moins de la moitié du travail développé pour se remorquer elle-même, et le train n’en prend que l’autre moitié !

Plus la vitesse croît, plus la part revenant au train dans l’effort de traction total diminue. Pour aller plus vite, il faudrait réduire le poids et la longueur du train. On arriverait alors rapidement à la vitesse limite où la locomotive pourrait à peine se mouvoir toute seule.

L’opinion de Von Borries, à propos de la compétition anglaise pour la desserte de l’Écosse, est que, vu les vitesses atteintes sur les lignes de la côte est et de la côte ouest, on était arrivé à des charges de trains tellement faibles que, des deux côtés, on ne pût pas rentrer dans ses frais et qu’on dût laisser tomber l’affaire. La condition essentielle de toute exploitation est que l’on puisse remorquer un tonnage rentable financièrement.

Les locomotives type 220 de l’Allemagne de Von Borries et à la fin du XIXe siècle ne sont pas des locomotives de vitesse : ce sont d’anciennes machines du type 120, issues des 111 “Planet” primitives, dont on a doublé l’essieu moteur en un premier temps, puis remplacé timidement l’essieu porteur avant par un bogie ou « chariot américain » dont un craint l’instabilité et le déraillement tout en appréciant le guidage plus doux.
Toutefois, en 1898, la recherche de la vitesse fait ses débuts en Allemagne avec ces très jolies “P3” du réseau du Palatinat. Mais, notons que, à l’évidence, la prudence et la tradition restent de mise, comme le montre le mouvement et les cylindres intérieurs, entre les longerons, à la manière ancienne des ingénieurs britanniques, par crainte des mouvements parasites. Ces locomotives ne marqueront leur temps que par leur élégance désuète.
En 1900, le réseau allemand de la Bavière fait ses choix définitifs et d’avant-garde avec ces brillantes et rapides “Atlantic” qui préfigurent les fameuses “Pacific” bavaroises des années suivantes. Mouvement extérieur, grand foyer, roues à grand diamètre et souci d’aérodynamisme, tout est enfin réuni.

La course au poids aussi.


Or le tonnage des trains rapides croit de jour en jour. Il est loin des années qui précèdent et suivent la Première Guerre mondiale. Il atteint 250 à 300 tonnes, quelquefois 400 tonnes et le nombre de places varie de 200 à 300. Remorquer des trains rapides légers est une mauvaise opération, car les dépenses constantes qui ne dépendent pas de la charge du train sont si importantes que leur quotient par le nombre des voyageurs devient prohibitif. La caractéristique de l’exploitation par des locomotives à vapeur est l’emploi de trains isolés et très lourds.

C’est la seule façon de satisfaire aux conditions du trafic : des tarifs modérés et une grande rapidité. Si l’on fait trop croitre la charge ou la vitesse, on n’améliore que peu l’une des conditions et l’on s’expose à ne pas du tout satisfaire à l’autre.


À cela, on peut répondre que les locomotives à vapeur ont déjà reçu des perfectionnements à la fin du XIXe siècle qui leur ont permis d’augmenter leur puissance sans augmenter leur propre consommation d’énergie et de déplacer des charges encore très convenables à des vitesses plus grandes. C’est parfaitement exact, et les locomotives allemandes, en particulier, en sont la preuve avec leur compoundage et leur surchauffe. De même la puissance de la locomotive croît dans de certaines limites avec la vitesse, plus les coups d’échappement se succèdent rapidement, plus la combustion sur la grille et par suite la vaporisation se régularisent et croissent, de même aussi l’utilisation de la vapeur croît quand diminue l’introduction.

En France, à l’époque et, par exemple, sur le réseau de l’Est, on a compris que l’essentiel est d’accroître la charge des trains, donc la puissance de vaporisation de la chaudière : les ingénieurs essaient diverses solutions comme la chaudière Flaman donnant des locomotives, dites « Chameau ». Le succès sera mitigé… et la vitesse attendra.

Les limites techniques repoussées, une fois encore.

C’est avec la vitesse de quatre à cinq tours à la seconde, pour les roues motrices, que l’on atteint le maximum de rendement en traction vapeur. Au-delà, les résistances au mouvement de la vapeur dans les passages de vapeur et dans les organes de la distribution croissent, et la puissance de la machine diminue. Avec les plus grands diamètres de roues de 2 200 ou 2 300 mm, et en passant à cinq tours à la seconde, on ne fait jamais que du 125 km/h. Pour une production de vapeur régulière et durable, on ne peut demander plus de six à sept chevaux par mètre carré de surface de chauffe. Pour aller au-delà, il faudrait combiner la surchauffe et le compoundage, ce qui n’a pas encore été fait avant la Première Guerre mondiale, mais le sera dans les années 1920 et 1930.

En 1900, l’ingénieur français Thuile applique cette théorie et imagine une locomotive montée sur des roues de 3 mètres de diamètre ! Schneider lui impose des roues limitées à 2,50 m pour construire un prototype. On espérait 200 km/h, voire plus… On obtint 117 km/h sur la ligne de Chartes à Thouars, et en tête d’un train de 186 tonnes seulement. La mort accidentelle de Thuile mit fin aux essais.

On a fait des progrès importants en ce qui concerne le mécanisme moteur. Dans les locomotives à deux cylindres, les efforts considérables exercés sur les pistons amènent l’usure des coussinets des boîtes motrices, produisent des chocs, une usure irrégulière des bandages et, après un faible parcours kilométrique, il faut faire passer la locomotive en réparation.

Pourquoi des locomotives avec quatre cylindres plutôt que deux ?

Les masses en mouvement alternatif sont considérables, et il faut compenser en partie leurs effets perturbateurs par des contrepoids sur les roues, ce qui fait varier la pression des roues sur les rails dans le rapport du carré de la vitesse. Aussi adopte-t-on de plus en plus la locomotive compound à quatre cylindres pour les grandes vitesses.

On place une paire de cylindres à l’intérieur des longerons, les deux autres cylindres à l’extérieur. Ensuite, on cale les manivelles à 180° l’une de l’autre pour les deux cylindres placés du même côté de l’axe. Ainsi, les forces d’inertie des masses à mouvement alternatif qui restent dans le même plan horizontal s’annulent sensiblement. On n’a donc plus qu’à réaliser la compensation des efforts d’inertie dans le plan vertical au grand avantage de la voie. Alors disparait le mouvement parasite de recul longitudinal des locomotives à deux cylindres.


Les premières locomotives compound à quatre cylindres sont construites en 1889 par Alfred-Georges de Glehn, Directeur de la Société Alsacienne de Constructions mécaniques, la fameuse Société Alsacienne de Constructions Mécaniques, future partie d’Alstom. Les premières locomotives compound à quatre cylindres, du type généralement adopté en France, c’est-à-dire avec deux groupes de deux cylindres attaquants chacun un essieu moteur, ont leurs deux essieux moteurs accouplés de manière à équilibrer les forces perturbatrices. De type 220, elles ont été construites dans les ateliers du P.L.M. par l’ingénieur André Henry, et mises en service au commencement de 1889.

En 1886, l’ingénieur De Glehn construit pour le Nord une première locomotive compound du type 120, à essieux libres, numérotée 701. La 701 reçoit un bogie avant en 1892. Le type 220 Nord compound est né.

Mais De Glehn avait précédemment livré à la Compagnie du Nord, en 1885, une locomotive compound, la N°701 à quatre cylindres, mais sans accouplement des deux essieux moteurs. C’est en 1891 seulement qu’il a livré à la Compagnie du Nord d’autres locomotives compound à quatre cylindres. Cette fois, le mouvement est équilibré, comme le fit le PLM, en réduisant les forces perturbatrices par l’accouplement des essieux moteurs. Une nouvelle ère pour la vitesse était enfin ouverte en France. Mais le pays avait-il besoin de vitesse ?

En 1889, la compagnie du Nord, en France, s’intéresse à la vitesse et répond au concours organisé par le PLM avec ce prototype 220, N°2.101. Le résultat est un brillant 137 km/h, mais sans lendemain. On notera la conception à l’anglaise qui sévit encore avec deux cylindres et un mouvement intérieurs : toujours la crainte des perturbations parasites que pourraient provoquer un mouvement extérieur.
En 1896, le Nord s’enhardit et ose le mouvement extérieur. Voici la locomotive type 220, toujours, N°2175. Mais, elle est suivie par l’audace d’une production en série, de 2.121 à 2.137, 2.138 à 2.157. On augmentera ensuite la puissance avec les séries 2.158 à 2.180. Le chemin vers la fameuse “Atlantic” Nord est préparé.
Mais, le problème dominant et l’obsession des ingénieurs, sous la pression des comptables, reste toujours, sur le Nord, par exemple, le problème de la charge, donc de la puissance, qui passe avant celui de la vitesse. C’est ainsi que, sur le réseau du Nord, on voit de surprenantes pratiques de la double traction avec ces petites 220, à la manière anglaise.
En 1902, enfin, le réseau du Nord a de puissantes “Atlantic” et compound, placées sous le signe des trois « 3 » : une charge de 300 tonnes déplacée sur 300 km en 3 heures. La vitesse de 120 km/h est maintenue dans ces conditions, même avec un « trains rapides Nord» et ses lourdes voitures. Pourtant, l’accroissement de la charge imposera, désormais, le type “Pacific” dès la décennie suivante.

Des vitesses plus grandes à portée de la main.

Une machine “Atlantic”, ou du type 221, compound et à quatre cylindres, est construite en 1903 pour le réseau du Paris-Orléans, et elle pèse en ordre de marche 73 tonnes. Sa surface de chauffe atteint 239 m².  Les cylindres basse pression sont placés à l’intérieur des longerons et les cylindres haute pression à l’extérieur. C’est là le type des machines le plus en usage en France, et les “Pacific” compound à quatre cylindres qui ont roulé sur l’ensemble du réseau français des années 1910 à 1970 sont issues de ce choix.

Locomotive type 221, N°1930, de la série 177c à 326c, sur le réseau du PO.1905.

La locomotive allemande type est celle de Von Bornes, avec ses quatre cylindres qui attaquent l’essieu moteur avant. Les pressions sur les pistons s’équilibrent sensiblement de chaque côté de l’axe de la machine, par conséquent, les coussinets des boîtes des essieux moteurs ne supportent pas de pression latérale, et ne présentent pas d’usure anormale sur les côtés. Ces machines courent librement, ne « ferraillent » pas et sont pratiquement inconnues des ateliers de réparation. Ce type de locomotive est de plus en plus développé sur toutes les ligues de l’Union des Chemins de fer allemands d’avant la Première Guerre mondiale. Une locomotive de l’État prussien, pesant 61 tonnes en ordre de marche et offrant 162 m² de surface de chauffe, et pourvue du surchauffeur Pielock, figure à l’Exposition américaine de Saint-Louis : elle est une des plus légères de son type, et remorque 300 tonnes en palier. Elle développe, à 100 km/h, une puissance d’environ 1120 chevaux, ce qui donne 7,5 ch par mètre carré de surface de chauffe : c’était la valeur qu’il fallait atteindre.

Les magnifiques “S6” allemandes marqueront, durant les premières années du XXe siècle, l’apogée du type 220 puissant et rapide. Mais, comme partout en Europe, le poids des trains en continuelle augmentation imposera le type « Pacific ».


La rentabilité est obtenue par la puissance de traction.

On peut obtenir des puissances aussi importantes avec la machine type “Atlantic” à quatre cylindres dont le prix est moins élevé : il suffit de donner à la chaudière les dimensions voulues et de la munir d’un carénage en coupe-vent. En résumé, on est arrivé à la veille de la Première Guerre mondiale à construire des locomotives pouvant donner de 1400 à 1750 ch. tout en pesant de 70 à 80 tonnes seulement, et dont, par conséquent, les frais d’achat et d’entretien proportionnellement moins forts. Si on admet une moyenne de 0,375 franc d’époque comme prix du kilomètre/locomotive pour des machines d’un ancien type, il faut compter sur 0,50 à 0,56 franc pour ces grosses machines de la nouvelle génération. C’est pourquoi il n’est pas avantageux de leur faire remorquer de petits trains qui ne rapportent pas et qui n’offrent pas assez de places pour le trafic variable.

Si les trains d’une centaine de tonnes étaient à la limite de la rentabilité avant la Première Guerre mondiale, il est évident que, durant les années 1920, le poids minimal d’un train rentable est du double ou du triple. Des locomotives de 1100, 1400 et 1750 chevaux, qui pèsent de 60 à 70 tonnes, peuvent remorquer par beau temps un train de 200 à 300 tonnes à 100, 110 ou 120 kilomètres à l’heure, une vitesse normale qui veut dire que, sur de bonnes voies et par temps moyen, on peut compter sur une vitesse moyenne se situant de 90 à 110 km/h. En augmentant la puissance de la machine de 650 chevaux, on ne réussit qu’à augmenter la vitesse de 20 km/h seulement, ce qui prouve bien que, à ces vitesses-là, la locomotive à vapeur est de sa limite de puissance.

Pendant ce temps, les petites locomotives du type 220 ou 221 que les réseaux peuvent proposer à la très exigeante CIWL peinent en tête de ces lourds et luxueux trains internationaux. Ici, le “Nord Express” passant à Creil dans les années 1910.

« Au-delà de 100 km/h, cela devient du sport… »

Il semble déjà douteux, pour les ingénieurs des années 1910, qu’il y ait un avantage à augmenter de 300 à 400 chevaux la puissance de la locomotive, et par suite les frais d’achat et d’entretien, pour gagner 10 km/h dans les vitesses moyennes pratiquées. Leur opinion est que, sur de bonnes voies, une vitesse de 100 km/h est économiquement la vitesse la plus rentable pour la locomotive à vapeur. Au-delà de 100 km/h, « cela devient du sport, dit Von Borries, fort intéressant au point de technique, mais qui ne fait que grever lourdement la bourse du contribuable »…

« Au-delà de 100 km/h, cela devient du sport » écrit le grand ingénieur Von Borries qui sait parfaitement ce que la vitesse implique et coûte pour le chemin de fer. La vitesse, donc, attendra.

Quand donc l’Administration des chemins de fer de l’État de Prusse porte à 100 km/h la vitesse moyenne des trains sur des voies particulièrement favorables comme celle de Berlin à Hambourg, de Berlin à Cologne, elle satisfait pleinement les désirs et les besoins de la clientèle. Sur les nombreuses lignes où les courbes ou les déclivités ne permettent pas de maintenir, pour de longs parcours, la vitesse de 110 km/h, il faut réduire en conséquence la vitesse moyenne. Pour répondre à tous ces besoins, des locomotives à quatre cylindres et à 200 m² de surface de chauffe suffisent, si on en soigne le profilage ou même en les carénant, et aussi en supprimant les parties saillantes des voitures, et mettant dans 1e même plan toutes leurs faces pour diminuer la résistance de leur pénétration dans l’air.

 
Voilà où l’on en est, dans les dernières années qui précèdent la Première Guerre mondiale, et où en sera dans les années 1920, lors du retour de la paix. Pour des raisons économiques, principalement, et pour faire de lourds trains rentables, réclamant beaucoup de puissance et nullement une augmentation des vitesses, le domaine d’excellence assigné à la vapeur sera celui des trains lourds tracés à des vitesses moyennes.

C’est dans cet esprit que l’Allemagne, de même que la France, comme beaucoup de réseaux européens, vont construire leurs “Pacific”, leurs « Mikado » et leurs “Décapod”, et toutes ces locomotives puissantes, mais relativement peu rapides des années 1920 et 1930. On pense aussi que la traction électrique, qui a tant impressionné le monde avec ses 210 km/h en 1903 avant l’oubli de l’événement, pourra exceller et être rentable dans les grandes vitesses et sur de longues distances. En effet, dans une Europe revenue pour un temps à la paix, il est urgent de ramener les temps de trajets entre les grandes métropoles européennes à des parcours à faire durée – c’est bien ce que fera le TGV et l’ICE, d’ailleurs.

Le dernier mot de la traction vapeur : prouver que c’est la charge qui rapporte et non la vitesse.

Mais la vapeur n’a pas dit, pour autant, son dernier mot. Une nouvelle génération de locomotives va naître avec un magicien comme André Chapelon qui va bouleverser les théories et le mode de fonctionnement des locomotives, doublant, à consommation égale ou amoindrie, leur puissance et augmentant dans des proportions inattendues leur vitesse, ceci par des transformations dont le coût restera très modeste.

L’ensemble des ingénieurs des années 1910 et 1920 n’a pas encore approfondi la thermodynamique de la locomotive à vapeur, alors que Chapelon le fera. Dans les années 1930, en Allemagne, des locomotives à vapeur rouleront à la même vitesse que les automotrices AEG et Siemens de 1903, dépassant le mythique « deux cents à l’heure ». Toutefois, ces locomotives seront rattrapées par les conditions économiques qu’elles tendent à cacher, notamment le prix du charbon et de la main d’œuvre dont elles sont grandes consommatrices.

La prudence de Von Borries et des ingénieurs de son temps n’était, somme toute, que fondée. Elle trouvait aussi sa justification dernière environ trente à cinquante ans plus tard, quand la traction vapeur s’incline et quitte la scène, laissant la place à la traction électrique pour la grande vitesse, et à la traction diesel pour les autres services. Le coût aura eu raison de la grande vitesse en traction vapeur et les choses en resteront là pour des décennies.

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