Le mot récent, devenu médiatique, du Président de la République rétablit, en ces temps de crise, l’automobile qui est sur un trône vacillant (pas le Président, voyons). On « adore » toujours aujourd’hui l’automobile, certes, mais à un tel point que l’on en oublie bien des choses qui, dans le passé, ont permis cette adoration historique qui fut une mise à mort du chemin de fer.
Que le lecteur se rassure : l’auteur de ce site-web, auteur de livres d’histoire des chemins de fer, docteur en histoire des techniques, s’intéresse à toutes les techniques et confesse qu’il est aussi un passionné d’automobiles, a été collectionneur de voitures anciennes (“Dyna Panhard Junior ») et même a refait un moteur d’une « Impala » Chevrolet cabriolet de 1959. Il se souvient de ses 19 ans, alors jeune “pion” dans un lycée et ayant quelques sous, au lieu d’acheter une Vespa comme tout le monde, il a préféré une mignonne 4CV d’occasion (pas plus chère), ce fut sa première voiture, et dès son premier virage sur une route un peu mouillée … tête à queue ! NB : il ne finit pas dans le fossé. Le (lourd) moteur arrière avait choisi de retrouver sa place naturelle, le devant. Le coffre minuscule, l’absence de place pour la jambe gauche butant contre le passage de roue , l’absence de vitres descendantes, la place offerte insuffisante, le chauffage anémique, voilà qui le propulse vers de grosses belles “bagnoles” d’occasion encore mois chères (Versailles, Panhard, etc) dans lesquelles il fut heureux de vivre et de promener. Les filles s’intéressèrent alors subitement à lui. Elles font de lui un galant et dévoué chauffeur qui les reconduit et les dépose galamment devant chez elles et qui claquent la porte sans même lui faire une prudente et distante bise. Ah ! Les années 50… L’autorisez-vous à dire qu’il est impartial et ne prêche pas au nom d’une chapelle ?


Dans le passé comme aujourd’hui, oublie le coût d’achat de la “bagnole”, car on ne tient compte que du sacro-saint prix à la pompe : seul compte le « litre », puisque l’on a oublié le prix d’achat qui s’est volatilisé dès le premier kilomètre. Ajoutons que la route est « gratuite » car payée par le contribuable, c’est-à-dire par tout le monde, donc par personne, et surtout pas par celui qui vient d’acheter sa voiture. Ce sont les autres qui paient la route.
Oublions, donc.
Dans les années 1950 et 1960, avec l’aide du Velosolex et de la Vespa, la “bagnole” devient un symbole de la liberté, du succès dans la vie (avant la Rolex), et, comme le mariage et le service militaire, l’obtention du mythique permis de conduire est un événement majeur qui marque le passage à la vie adulte. On entre en religion, et comme on est catholique ou protestant, on devient “Citroënniste” ou “Peugeotiste” laissant à quelques rigides esprits étatistes de rouler en Renault, et à d’autres douteux égarés de rouler dans des Panhard aléatoires ou des jolies Simca superficielles et pimpantes. Mais, tous ont en commun de surveiller uniquement « le prix à la pompe » – pompes funèbres comprises vu les 10 000 à 20 000 morts annuels sur les routes françaises.


C’est dans cette joyeuse époque des « Trente glorieuses » que la haine du chemin de fer, triste monstre datant d’une ère antédiluvienne, va ternir pour trois décennies une SNCF prisonnière de son esprit administratif et de son vert wagon, de son armée de cheminots « nantis » et d’une susceptibilité syndicale savamment aguerrie. La “bagnole” c’est la liberté et l’on ira, librement bien sûr, habiter dans des lotissements neufs construits à perte de vue et loin des centres des villes, là où il n’y a pas d’école, de magasins, de médecine, de poste ou de gare, mais là où “il faut une bagnole”, ô joie. Une « bagnole» ? Non, deux, si Madame travaille, et bientôt trois ou quatre, si la progéniture a grandi et doit aller au lycée ou doit chercher du travail.
Et, aujourd’hui toujours, une vingtaine de millions de Français n’a pas d’autre choix, pas d’autre possibilité, que d’adorer sa « bagnole» et, hélas, de s’en servir chaque matin. Et, pendant ce temps, le nombre de gares, en France, tombe de 12 511 (en 1933) à 2880 (en 2023).
Alors, le train ? Trop cher ?
Le prix du billet de chemin de fer ? Il n’est même plus en cause. Quand bien même le train serait gratuit, quand bien même, il roulerait à 500 km/h, la presque totalité des Français habitant hors des grandes villes ne pourrait le prendre près de son domicile ou y accéder par les transports en commun. Quant à abandonner sa chère voiture sur le parking d’une gare pour la journée, et attendre un train pendant un quart d’heure… pas question, du moins dans l’immédiat et le raisonnable imposé.
Alors : que le train soit cher ou pas, quand on n’avait que lui, on l’aimait.
La hausse du prix du billet SNCF fait, en ce moment, est à la « Une » de la presse, ainsi que ce certain « J’adore la bagnole».
Ce n’est pas nouveau. L’envol des billets a commencé dès la naissance du chemin de fer, et le train, dès 1830 ou 1840, est devenu, rapidement, un transporteur de masse et un créateur de la civilisation industrielle pour une seule et bonne raison : la vitesse. Quand il fallait, vers 1830, une vingtaine de jours pour effectuer le trajet Paris-Marseille, par exemple, il ne faudra plus qu’une vingtaine d’heures puisque la grande ligne du PLM est intégralement en service à partir de 1857, soit un bond de 24 fois la vitesse par rapport au moyen de transport précédent. Notons que le TGV actuel représente un bond moindre, d’environ 6 à 7 fois la vitesse.
L’avantage de cette grande vitesse, par rapport à la diligence ou à la berline de voyage personnelle, est que, tout simplement, les lourds frais d’hôtellerie sont pratiquement supprimés, et ce sont bien les aubergistes et les patrons des relais qui protesteront contre l’apparition du chemin de fer. Mais, le chemin de fer reste peu cher, sauf pour les billets de 2ᵉ ou de 1ʳᵉ classe, et la quasi-totalité des voyageurs voyage en 3ᵉ classe. Les compagnies incitant les voyageurs à prendre un billet de 1ʳᵉ classe en rendant les voitures de 3ᵉ classe totalement inconfortables, et mettant des décennies pour fermer les voitures, pour rembourrer les sièges, mettre des glaces de custode et des rideaux : il faudra attendre les années 1890 à 1900 pour parler de confort en 3ᵉ classe. Mais, la 3ᵉ classe reste accessible à tous, pour des sommes raisonnables et modiques.

Pour ce qui est du coût d’un voyage, d’après l’excellent et très documenté ouvrage « Voyager avec Balzac : la route en France au début du XIXe siècle» de Marie-Bénédicte Diethelm, on peut
estimer qu’ « en 1845 le transport en chaise de poste coûte au minimum 20 centimes, en malle-poste 17,5 centimes, en diligence 16 centimes (coupé), 14 centimes (intérieur), 11 centimes (rotonde ou impériale) par kilomètre », ceci sans compter les pourboires dus aux cochers, postillons, valets des relais, etc Marie-Bénédecite Diethelm fait remarquer que, d’après « le cahier des charges qui a servi de base aux conventions avec les grandes Compagnies de chemin de fer, il existe alors trois classes de voyageurs, respectivement taxées à 10 centimes (7,8 % des voyageurs), 7,5 centimes (20,4 %) et 5,5 centimes (71,8 %) » par kilomètre.


Donc, par sa rapidité et son aptitude à rouler jour et nuit, le chemin de fer dispense de tous les frais d’hôtellerie et de pourboires en cours de route, et aussi le chemin de fer est moins cher au prix du kilomètre brut. Il avait tout pour gagner, et il a gagné pendant un bon siècle, jusqu’aux années 1930.
Le vieux problème : réglementer les tarifs du chemin de fer ou laisser faire…
Alors que, aujourd’hui, les tarifs voyageurs sont censés s’ouvrir à la concurrence, il peut paraître intéressant, et même rassurant pour ceux qui auraient à s’en plaindre, que le fait est très ancien et que l’histoire de la tarification ferroviaire n’a été que le produit de la lutte entre deux tendances : réglementer ou laisser faire… Selon l’époque, de même que selon le pays concerné, l’une ou l’autre l’emporte. En France, la tendance à la réglementation des tarifs a souvent été victorieuse, et la concurrence a plutôt joué sur le confort et la qualité. Il parait que cela va changer.
Le fameux article 42 du « Cahier des charges ou des conventions spéciales arrêtées de concert avec les compagnies pour en régler l’application sur les divers réseaux » de 1866 fixe les choses définitivement en France et ne laisse aucune place pour le libre jeu de l’offre et de la demande, de la concurrence et du laisser-faire libéral. L’État prend les choses en main, parce que l’État est l’expression même de l’intérêt général et garant de la survie d’un système collectif dans lequel chacun y trouvera son compte.
Mieux, même : un magnifique fonctionnaire, conscient de sa mission hautement civilisatrice, écrit dans la circulaire du 3 novembre 1886 les lignes qui suivent, après avoir fixé les tarifs officiels en vigueur pour les voyageurs des chemins de fer :
« Je vous prie, Messieurs, de vouloir bien examiner les propositions qui précèdent, en ne perdant pas de vue que les déplacements rapides et économiques des personnes deviennent une nécessité aussi impérieuse que les transports des produits du sol, des matières premières et des objets manufacturés. Les compagnies, en s’inspirant de cette considération et en se concertant entre elles pour l’établissement de tarifs communs qui assureraient, selon les cas, des réductions plus ou moins importantes aux voyageurs effectuant chaque année des parcours considérables, combleraient évidemment la lacune que présentent, à ce point de vue, les tarifs actuels et contribueraient, c’est ma conviction, au relèvement de la prospérité commerciale du pays ».
Résumons cette pensée limpide : l’État fixe les tarifs maximaux, mais les chemins de fer peuvent, si elles ont une conscience que l’on nommerait « citoyenne » aujourd’hui et « chrétienne » jadis, faire payer moins cher, afin de concourir au relèvement économique du pays, suite à la défaite de 1871.
Les bagages, instituteurs, militaires, gendarmes, détenus menottés et autres choses encombrantes.
Les compagnies de chemin de fer ont-elles entendu cet appel lancé en direction du cœur, à défaut de la raison ? Pour ceux qui auraient eu besoin, à l’époque, d’une explication un peu plus poussée, il y a des renvois aux termes suivants : bagages, enfants, indigents, instituteurs, militaires, prisonniers, etc.
Bref, on veut bien croire que ces consignes de modération aient été appliquées au XIXe siècle, mais un instituteur indigent par nature (vu les traitements de l’Éducation nationale) voyageant avec ses enfants et beaucoup de bagages, se présentant à un guichet d’une gare, accompagné d’un gendarme à cheval tenant, au bout d’une chaîne, un délinquant menotté, ferait peu gagner d’argent à la SNCF, même si, par charité chrétienne ou au moins citoyenne, elle accorde, en jadis période bleue et aujourd’hui toujours avec la carte senior, en attendant des « pass » futurs, des réductions substantielles pour les TGV les moins convoités…
À l’époque de la non-concurrence absolue et du règne du tarif officiel, on paie tant par kilomètre et selon la classe, ceci quelle que soit la saison ou le jour, ou même l’heure de la journée. Il serait impensable, pour une simple raison d’égalité, sinon de fraternité et de liberté, que deux voyageurs assis sur la même banquette dans la même voiture du même train puissent payer des tarifs différents.



Le tarif unique et obligatoire pour tous, par élémentaire justice sociale.
À la fin du XIXe siècle, les tarifs voyageurs sont les suivants, par kilomètre :
- En première classe, en « voiture couverte, garnie et fermée à glaces » : 0,112 francs
- En seconde classe, en « voiture couverte, fermée à glace, et à banquettes rembourrées » : 0,084 francs
- En troisième classe, en « voiture couverte et fermée à vitre » : 0,061 francs.
A titre d’information, le salaire quotidien d’un ouvrier peut atteindre plusieurs francs par jour (la grève dite « de la thune» réclamera 5 francs par jour en 1910).
Pour ce qui est de ce tarif ferroviaire, ne nous avançons pas dans le commentaire de la distinction entre une glace et une vitre (l’épaisseur ?), mais notons surtout que le texte officiel fait une modeste impasse sur la description des sièges en troisième classe qui sont, en réalité, ni garnis ni rembourrés, pour la simple raison qu’il s’agit de robustes lattes en chêne ciré et patiné par les fonds de culotte du peuple.


Notons plutôt que le rapport des prix entre les classes extrêmes est du simple au double, et que cette différence va s’estomper avec le temps, rapprochant la première de la troisième, et dans toute l’Europe. Ceci produira la disparition de la deuxième classe au Royaume-Uni dès 1876, ou de la troisième classe en Europe continentale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et, plus précisément, en 1956, en France. Rappelons que les USA, pays démocratique par principe sinon par excellence, n’a pas de classes dans le chemin de fer, et que voyager en “first class” veut simplement dire que l’on peut acheter un billet regroupant tous les suppléments habituels comme dormir couché ou manger dans la voiture-restaurant, ce qui est toujours le cas avec Amtrak.
Le luxe ne coûte pas cher, mais rapporte gros.
Mais, revenons à ces tarifs de 1890. Qui rapporte le plus aux compagnies, et ces rapports sont-ils en rapport avec les différences de tarif ? Si les premières compagnies de chemin de fer ont pratiqué une politique systématique de l’inconfort pour les voyageurs de troisième classe pour les inciter à voyager dans les classes supérieures, elles vont bien être obligées, au lendemain de la Première Guerre mondiale, de changer d’optique.
Les raisons de ces choix curieux ont été d’ordre purement financier : en effet, le voyageur de troisième classe rapporte deux fois moins que celui de première classe, et, déjà, c’est la notion de service public rejetée par les compagnies qui désirent faire du profit : le réseau de l’État en France, par exemple, encaisse une recette moyenne de 7,05 francs par voyage en première, 3,75 francs en deuxième et 1,44 franc en troisième classe, ceci en 1891. Il faut donc dissuader les voyageurs de choisir la troisième classe, et les inciter à goûter au luxe raisonnable de la seconde classe, ou, mieux, connaître les fastes de la première classe. Toutefois, tout le monde se précipite en troisième… et le PLM, par exemple, transporte à peine 1,5 % de ses voyageurs en première classe durant l’année 1920.


La donne change au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Au début du XXe siècle, le chemin de fer règne encore sans partage sur le transport des voyageurs, et il ne peut pas être question de concurrence pour deux raisons : d’une part l’ensemble des compagnies de chemin de fer restent soumises à la tarification par décret officiel, d’une part, et, d’autre part, il n’y a pas encore de moyen de transport autre, rapide et à longue distance, que le chemin de fer : l’automobile ne fait que commencer à bouleverser les données et à s’offrir comme une alternative.
Les distances parcourues par les locomotives des réseaux français, par exemple, et de 1873 à 1910, n’ont cessé d’augmenter, puis ont décru jusqu’en 1921 pour remonter ensuite jusqu’en 1939. Après la guerre, les chemins de fer ont trouvé une reprise tardive durant les années 1950. Il y a donc bien croissance, même si elle est irrégulière. Mais, à y regarder de plus près, les chiffres seuls ne disent pas que l’augmentation de la demande de transport a été bien plus forte encore que le transport assuré par le chemin de fer, et que le chemin de fer n’a jamais cessé de perdre de plus en plus sur sa part relative dans le marché national du transport, donc de perdre de plus en plus d’argent.
Lorsque le chemin de fer voit naître de très dangereux concurrents sur les routes, il lui faut bien songer, pour retenir les voyageurs aux revenus modestes, à offrir plus de confort en troisième classe. La concurrence va bien entrer en lice par l’offre de confort plutôt que par l’offre de tarifs. Ceci se produit notamment vers les années 1910-1920 quand le trafic des marchandises commence à régresser : il faut maintenir le niveau des rentrées d’argent et compenser la chute du trafic marchandises par une hausse du trafic voyageurs. Autrement dit, le train sera plus cher.


Les hausses de tarifs des années d’entre les deux guerres, déjà.
Le chemin de fer français a grandement souffert de la Première Guerre mondiale et son redressement tarde à se produire pendant les années 1920, jusqu’à ce que les premières majorations de tarifs se produisent à partir de 1924. Les tarifs voyageurs, en particulier, et qui étaient restés en retard par rapport aux tarifs des marchandises, subissent une augmentation de 47 à 50%. De nouvelles mesures tarifaires, en 1926, ont pour effet d’arrêter net la croissance du nombre de voyageurs que les réseaux français avaient connue jusque-là et d’une manière permanente, depuis leur fondation et malgré les guerres et les crises, comme nous pouvons le lire dans l’indispensable « Histoire des chemins de fer en France » de François Caron, paru en trois tomes chez Fayard. Il faut notamment lire les pages 791 et suivantes du tome II pour connaître par le détail l’histoire économique des tarifs voyageurs pour la période cruciale d’entre les deux guerres.


Le nombre de voyageurs transportés par le chemin de fer chute de 10 % de 1925 à 1927, et celui des voyageurs kilomètres de 12 %. De 1930 à 1936, c’est une nouvelle chute de 27 % pour le nombre de voyageurs, et de 20 pour les voyageurs kilomètres. En 1938, le niveau du trafic voyageurs du réseau, Alsace-Lorraine exceptée, est inférieur à ce qu’il était en 1913.
La première classe, par son confort, attire toujours beaucoup jusque vers la fin des années 1920, mais à partir de 1930, la première classe est celle qui perd le plus avec 60 %, puis la deuxième classe avec 34 %, tandis que la troisième classe qui regroupe en priorité ceux qui doivent voyager et n’ont pas d’autre choix, ne recule que de 14 %. Les autres voyageurs, notamment ceux de première classe, sont dans leur luxueuse 40 CV Renault, ou commencent à prendre l’avion.

On peut se poser la question : est-ce vraiment la hausse de ses tarifs qui a joué contre le chemin de fer, ou, plus simplement, cette hausse ne s’est-elle pas produite simultanément que se développaient les possibilités, désormais, de trouver une voiture dans son garage et de la prendre, ou d’aller à un aéroport ?

Le chemin de fer mal préparé à l’ouverture à la concurrence.
Les années 1920 et 1930 montrent que le chemin de fer français n’est pas encore ouvert… à l’ouverture à la concurrence. Cette notion n’est pas dans sa culture parce qu’elle n’est pas dans son vécu, son organisation. Mais, autour du chemin de fer, la concurrence se prépare et elle est prête à forcer la porte de cette ouverture.
La France de l’époque crée un réseau routier national formé de voies déjà bien aménagées, et qui seront goudronnées, et qui desserviront l’ensemble du pays en finesse. En cela, elle s’écarte de la politique des autoroutes menée par certains pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie, ou comme les États-Unis.

Cette manière de voir les choses contribue au développement du transport des voyageurs par la route, et les 630 000 km de routes françaises de la fin des années 1930 sont parcourues par d’innombrables autobus et autocars, et de véritables gares routières, avec salle d’attente, buffet, quais, permettent le départ, dans l’ensemble des grandes villes françaises, de plusieurs dizaines de milliers de voyageurs chaque jour. Et, véritable service public, elles sont gratuites… c’est-à-dire payées par le contribuable.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la rareté et le prix des automobiles particulières donne encore de beaux jours pour les transports en commun par la route, mais les autocars vont se raréfier à partir des années 1960-1970 avec la poussée de la motorisation individuelle grâce au scooter et aux voitures populaires des grandes marques nationales comme Citroën et Renault.

L’avion ? Il n’y a rien à craindre….
« Au total, et à moins d’une révolution technique que rien, pour le moment, ne laisse prévoir, les transports aériens ne paraissent pas susceptibles d’avoir sur les transports par voie ferrée des répercussions comparables à celles qu’a eues l’automobile. Il faut cependant considérer les possibilités de l’aéronautique comme très étendues pour le transport des voyageurs de première classe et, peut-être même, de seconde classe, aux grandes distances, et pour le transport du courrier ».
Voilà ce qui est écrit dans le Bulletin PLM en 1937…
Or, plus encore que l’automobile, l’aviation commerciale va vider les grands trains internationaux, en attendant de vider les trains classiques en période de départ en vacances. En 1925, sur une relation comme Paris-Londres, déjà 20 721 voyageurs ont traversé la Manche en avion. Ce nombre a doublé dès 1928 avec 43 179 voyageurs, tandis que d’autres sources indiquent une progression de 27 000 voyageurs en 1929 à 39 500 en 1939. La compagnie des chemins de fer du Nord se plaint d’une perte de 3 760 000 F sur le trajet Paris – Londres par fer et mer. La guerre, toutefois, entravera le développement commercial de l’avion, faute de carburant, et donnera un répit au chemin de fer.
Durant les années 1950, on peut constater que la vitesse commerciale des trains de voyageurs n’a guère varié depuis un demi-siècle, et si les chemins de fer se décident à une amélioration qui est techniquement possible depuis longtemps, c’est à la concurrence de l’avion qu’elle est due, notamment par le jeu des vitesses et des tarifs. Et, cette concurrence ne s’exerce pas seulement sur les relations internationales : elle affecte, dans un mouvement qui trouve son apogée durant les dernières années 1980 et 90, les relations intérieures. On trouve, dès 1937 et en incluant les trajets centre ville – aéroport, des trajets de Paris à Marseille en 5h15 contre 9h04 par rail, ou de Paris à Cannes en 5h20 contre 11h34. Cette dernière performance ne manquera pas de vider les trains de luxe de la Côte d’Azur de leur clientèle fortunée traditionnelle.
Le chemin de fer laisse bien échapper sa clientèle de luxe en direction de l’automobile ou de l’avion, même si l’on peut penser qu’il intervient des déclassements de voyageurs à l’intérieur de la clientèle restée fidèle au rail. En 15 ans, de 1932 à 1947, l’aviation mondiale multiplie sa clientèle (passagers kilomètres) par 46, en passant de 405.000 à 19.000.000 : sur la même période, les chemins de fer français sont passés de 29 à 26 milliards de voyageurs kilomètres. Plus que l’automobile, l’avion a vidé les grands trains internationaux. Et, pourtant, le prix d’un billet d’avion est déjà très cher avant la Seconde Guerre mondiale, et le restera longtemps : les tarifs nettement plus modérés d’un billet de chemin de fer n’ont pas joué en faveur du train, et c’est bien le confort, la qualité du service, la moindre durée du voyage qui a donné à l’avion toutes ses chances.

Aujourd’hui, les choses ont changé : le TGV va aussi vite que l’avion, plus vite même de centre-ville à centre-ville sur certaines relations comme Paris – Lyon ou Paris – Marseille, et le tarif ne semble pas plus déterminant dans les choix en face, toujours, du confort ou de la moindre durée du trajet. On peut se poser la question de savoir si l’ouverture à la concurrence des tarifs voyageurs, même à l’intérieur du monde du chemin de fer, sera très déterminante pour les choix des voyageurs entre tel TGV de tel opérateur, tel autre TGV d’un autre opérateur offrant plus ou moins de prestations, de même qu’entre ces deux TGV et l’avion ? L’histoire du chemin de fer montre que tout n’est pas qu’une simple question de concurrence, de consumérisme, mais qu’il y a d’autres éléments en jeu.

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