Le chemin de fer de la Palestine, puis d’Israël.

Rappelons qu’il ne s’agit, sur ce site, que d’histoire des chemins de fer et qu’aucun parti pris d’ordre politique, idéologique ou religieux ne sera jamais à l’ordre du jour sur “Trainconsultant”. En outre, nous n’avons aucun lien, aucune origine, aucun intérêt avec les deux nations en cause.

Cependant, cela ne nous donne pas le droit de rester insensibles devant la très triste et très désastreuse actualité qui traduit, une fois encore, le profond drame d’un conflit entre deux nations sur une seule terre et qui se vit dans une immense douleur qui apparaît comme sans fin.

Nous avons déjà, dans un article “Trainconsultant”, traité du chemin de fer du Moyen-Orient selon le seul point de vue historique puis géographique du Liban et de la Syrie. Nous avons aussi abordé celui de la Palestine, mais sans l’approfondir. Peu de personnes savent qu’il a existé un très beau réseau ferré palestinien. Il fut sous influence technique britannique, si l’on s’en tient à l’aspect du matériel roulant, et française si l’on s’en tient aux gares et certaines installations fixes.

La carte du réseau palestinien en 1948. Il est relié directement à l’Égypte en longeant la côte méditerranéenne, et indirectement à la Syrie en passant par la Transjordanie sans longer la côte. Au sud, à l’époque, à Gaza, il y avait encore une gare…
La gare de Gaza dans les années 1950. Les trains partaient surtout pour l’Égypte ou en provenaient.

Pour ce qui est de la Palestine, la situation est devenue dramatique, on le sait. Le pays est très ancien, ce qui n’est pas assez rappelé actuellement. La Palestine ? Elle est déjà connue des Égyptiens qui lui donnent son nom de Palestine, ou « Pays des Philistins», ou aussi pays d’un « Peuple de la mer ». Les Philistins sont souvent cités dans la Bible, surtout parce qu’ils sont l’ennemi héréditaire des Égyptiens et des Juifs. C’est ainsi qu’au début du 1ᵉʳ millénaire avant JC, les Philistins habitent sur le littoral méditerranéen, entre Gaza et Jaffa.

C’est après les conquêtes d’Alexandre le Grand (IIIe siècle avant JC), que les Grecs et puis les Romains donnent le nom de Palestine, précisément à cette région qui, désormais, touche à la fois la Méditerranée et la vallée du Jourdain. C’est un pays qui est majoritairement occupé par des Juifs. Notons, fait intéressant et rarement rappelé, que c’est bien à la suite de la seconde guerre juive (133-135 après JC) que les Juifs sont purement et simplement expulsés par les Romains, et peu à peu tous les nouveaux habitants de la région seront désignés sous le nom de Palestiniens. Ce sont bien les Romains qui ont commencé à expulser les Juifs. On peut relire, à ce sujet, les œuvres de Renan, particulièrement son « Histoire des origines du christianisme».

Plus tard, la Palestine aura de nombreux “visiteurs” : les Arabes, les croisés, les Mamelouks, les Turcs ottomans et, après la Première Guerre mondiale, enfin et surtout eux, les Britanniques qui vont créer, en ce qui nous intéresse, un très beau réseau ferré en Palestine. Les territoires palestiniens du mandat britannique de 1922 sont étendus. Ils recouvrent ce qui, aujourd’hui, est Israël, la Jordanie , les territoires occupés par Israël depuis la fin de la guerre des Six Jours (10 juin 1967) et le territoire confié à l’Autorité Palestinienne, depuis les accords de 1993.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les événements vont se précipiter. Essayons de les résumer, toujours sans parti pris. Le 29 novembre 1947, le plan de partage de la Palestine est adopté par l’ONU. En 1948, l’État d’Israël est créé, et, en 1949, le royaume de Jordanie naît par la réunion de l’émirat de Transjordanie et de la Cisjordanie (qui faisait partie de l’État arabe prévu par le plan de partage de la Palestine). En 1948, donc, les colons juifs peuvent venir habiter dans l’État d’Israël avec l’aide et l’approbation des nations sorties, hallucinées, de la Seconde Guerre mondiale. Le monde entier est sous le choc de la « découverte » (mais déjà connue cependant) de la déportation et de l’extermination des Juifs dans plusieurs pays d’Europe centrale.

Les effets de cet événement font que certains Palestiniens se retrouvent, avec plus ou moins un bon gré, dans les montagnes de Cisjordanie, entre Jérusalem et le Jourdain, et surtout dans la bande de Gaza. La Cisjordanie désormais administrée par une Autorité palestinienne que domine le parti laïc de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) fondé par Yasser Arafat. Toutefois la bande de Gaza, territoire surpeuplé (1,5 million d’habitants sur 3000 km2), est sous l’administration du Hamas.

Train en voie de 762 mm, ligne de Jérusalem à Ramallah, en 1918. Document Library Of Congress, USA.
Arrivée du premier train en gare de Jaffa, en 1922. Document Library Of Congress, USA.

Relier Beyrouth à Damas n’intéresse pas les investisseurs.

En 1863, quand une compagnie française établit une route reliant Damas à Beyrouth, Damas compte 10.000 habitants, ce qui en fait une ville importante déjà. La ville compte 200.000 habitants vers la fin du siècle quand le projet de chemin de fer s’impose. Mais si le reste du réseau syrien, comme la ligne Homs – Hama – Alep -Biredjik sur l’Euphrate est réalisée en voie normale avec garantie du gouvernement syrien, la ligne de Beyrouth à Damas, avec prolongement sur le Hauran, longue de 250 km, est prévue dans un bien curieux écartement de 1055 mm (que l’on retrouve en Algérie, par exemple) et sans garantie officielle. La ligne, en outre, se heurte à un relief accidenté formé par les deux chaînes de montagnes parallèles à la côte, n’offrant de passage que par des cols de plus de 1400 m d’altitude.

La Palestine, à l’époque du partage, dispose d’un réseau ferré d’environ 1.000 km de lignes qui sera partagé entre la Jordanie et Israël. Le réseau comprend les lignes à voie normale de Rafah à Haïfa et de Jaffa à Jérusalem (croisant la précédente à Lydda), formant le réseau du Gouvernement Palestinien, long de 325 km, plus la ligne de Rafah à Kantara en voie normale, elle aussi, longue de 203 km. Une ligne de Tulkarm à Nablus a été construite en écartement de 1.066 mm par l’armée turque pendant la Première Guerre mondiale, et a été convertie en voie normale par l’armée britannique.

Ligne en voie de 762 mm et tombes anciennes à Jérusalem, en 1922. Document Library Of Congress, USA.

À cet ensemble entièrement en voie normale s’ajoute la ligne partant de Haïfa et d’Acre en direction d’Affula et de Samakh, en voie de 1.066 mm, formant, sur une longueur de 204 km, le tronçon palestinien de la ligne du Hedjaz. Haïfa est le centre du réseau avec sa gare importante et ses ateliers et, peu avant la Seconde Guerre mondiale, pense devenir la tête d’une ligne de 1.100 km en voie unique vers Bagdad.

La gare de Beersheba en 1917. Le bâtiment voyageurs ne peut renier son aspect français.
La bien modeste petite gare de Jérusalem dans les années 1920. Document Library Of Congress, USA.

Le réseau est néanmoins en assez mauvais état à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et souffre déjà de la concurrence de la route. L’état de guerre permanente qui a embrasé le Moyen-Orient depuis plus d’un demi-siècle a quasiment réduit à néant ce qui était le réseau palestinien. Israël a cependant reconstruit et agrandi une partie de l’ex-réseau palestinien en ce qui concerne son propre territoire actuel, soit 1 138 km de lignes en voie normale, et Tel-Aviv Jaffa est le centre de réseau. Le réseau est établi surtout le long de la côte méditerranéenne. Plusieurs lignes de pénétration existent, dont une qui atteint Jérusalem. La capitale, donc, n’est pas au centre du réseau ferré de son pays, et n’est atteinte que par une ligne d’embranchement. Le matériel roulant est performant, et de type courant.

Gare de style français, en voie métrique, en Palestine. Années 1930.
Superbe locomotive type 230 anglaise vue sur le réseau de la Palestine, en 1935. Document The Locomotive Magazine.
Voiture de 1ʳᵉ classe des chemins de fer de la Palestine : rien à envier au chemin de fer européen ou américain. Document The Locomotive Magazine.

Mais aujourd’hui : le chemin de fer israélien existera-t-il ?

Aujourd’hui, les Israël Railways ou “Rakevet Israël” sont une entreprise publique qui assure le fonctionnement du réseau ferré actuel. Ce réseau est en voie normale, chose excellente en soi, mais ce qui frappe immédiatement est qu’il laisse quelque peu de côté la capitale Jérusalem qui est au bout d’une ligne d’embranchement. Sur la carte, on voit bien que tout se passe à Tel-Aviv et le long de la côte méditerranéenne. Le réseau ferré israélien est donc centré sur les gares de Tel Aviv, (ville dotée d’un métro remarquable) et il comprend deux lignes principales longeant la côte : l’une en direction du nord vers Haïfa et Nahariya, l’autre vers le sud en direction d’Ashkelon, avec une antenne vers Rishon LeZion.

Beaucoup de prolongements, de modernisations, ou de travaux ont été menés depuis les années 2000, marquant ainsi le retour du chemin de fer en Israël, pays qui avait misé sur le réseau routier et aérien, puisque né en 1948, à une époque où le chemin de fer était considéré comme étant une relique historique dans le monde entier. Il faut bien avouer que l’État d’Israël a délaissé le chemin de fer pour développer un réseau national “Egged” de lignes de bus très dense et très bon marché, ainsi qu’un réseau très actif de “taxis partagés” (les fameux « sherout »). En outre la petitesse relative du territoire d’Israël a fait que, comme pour la Suisse par exemple, un réseau à grande vitesse n’aurait guère de sens et d’utilité.

La carte officielle et actuelle des trajets des trains sur les chemins de fer d’Israël. Le réseau s’arrête à Narahya, pour ce qui est de la direction vers le nord. La reconstruction de la ligne de la Mer Rouge, pour sa part, reste toujours un projet lointain à tous les sens du terme.

Les souvenirs d’un ingénieur français.

En 2019, dans le bulletin “Intermines”, l’ingénieur des Mines Jean-François Collet se souvient que, dans les années 1960, les Israéliens demandent à la France de moderniser le réseau ferré. IL fait partie de la mission d’études envoyée en Israël :

“Nous étions en charge d’une étude portant sur le diagnostic de ce réseau et les mesures à prendre pour le moderniser et le rendre compétitif par rapport à la route, camions pour le fret et bus pour les voyageurs. Mais vouloir concurrencer le bus était dans ce pays s’attaquer à une institution, la compagnie coopérative “Egged”, dont les lignes irriguent tout le territoire, étant systématiquement mobilisable pour le transport de troupes en cas de conflit et ayant répondu présente à chaque occasion.

L’État d’Israël couvrant à peu près la surface de trois départements français, l’ensemble des composantes d’un réseau de chemins de fer, des dessertes de banlieue aux grandes lignes, se trouvaient étroitement imbriquées, avec évidemment la prise en compte des particularismes locaux. Ainsi le projet qui paraissait s’imposer de rectifier le tracé de la ligne reliant Tel-Aviv à Jérusalem fut-il sagement remisé dans les cartons, le nouveau tracé proposé mordant sur les territoires palestiniens de Cisjordanie ; l’expansionnisme israélien pouvait y implanter des lotissements pour les colons, mais pas aller jusqu’à prendre le risque d’y faire passer une infrastructure à la fois hautement symbolique et particulièrement vulnérable”.

Un réseau ferré bien équipé.

Revenons en 2023. Le réseau ferré voyageurs actuel comprend neuf lignes, dont sept passent par Tel Aviv. Le matériel roulant est composé de locomotives électriques, ou diesel-électriques, de voitures à voyageurs classiques, de wagons de marchandises. Il est d’origine  Siemens (Allemagne), Alstom (France), General Motors (USA), Bombardier (Canada), Vossloh (Espagne).

D’importants progrès récents ont été faits, marquant une réelle volonté de développement ferroviaire du pays durant les années 2000. En 2004, une nouvelle ligne reliant Tel-Aviv au terminal 3 de l’Aéroport international David-Ben-Gourion est ouverte. Cette ligne est prolongée à Modiin en septembre 2007. D’autres prolongements d’Ashkelon à Ashdod et de Tel-Aviv à Beersheba sont ouverts en avril 2005 et, en 2006, c’est un prolongement jusqu’à Kfar Saba. Un autre, mais incertain, projet prévoit de rouvrir l’ancienne ligne palestinienne jusqu’au port d’Eilat sur la Mer Rouge.

Et Jérusalem ?

Notons que, aujourd’hui, la grande gare centrale et traditionnelle de Jérusalem est … routière. Du temps de la Palestine, une ligne de Jaffa à Jérusalem est ouverte en 1892, et elle survit, tant bien que mal, qu’en 1998 avant d’être abandonnée pour cause de mauvais état et de manque de trafic. Cependant, une partie de cette ligne entre Tel Aviv et Bet Shemesh est remise en service en 2003, puis toute la ligne rouvre en avril 2005. Le point marquant est la construction de la nouvelle gare de Jérusalem Malha dans le sud de la ville qui remplace l’ancienne et oubliée gare de Jérusalem construite en 1892. Aujourd’hui, les trains Tel Aviv-Jérusalem parcourent les 54 km en 36 minutes et il y a un train toutes les heures, ce qui est appréciable et efficace.

En gare de Tel Aviv actuellement. Un matériel roulant récent et une infrastructure à la hauteur, y compris une électrification en 25 kV. Document Wikipedia.

Il n’est plus vraiment question d’une ligne israélienne à grande vitesse qui, de toutes manières, aurait été limitée à un prudent 160 km/h, pas plus. Toutefois, un début de LGV Tel Aviv — Jérusalem, a été construit au nord de la ligne classique actuelle, dans des conditions difficiles vu les sites très montagneux à traverser. La ligne dessert la nouvelle gare souterraine de Binyanei Ha Uma nommée Yitzhak Navon, située sous la gare routière centrale de Jérusalem.

Un train sur la nouvelle ligne Tel Aviv-Jérusalem.
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