Le grand train caréné JEP : le dernier des beaux trains-jouets d’avant-guerre.
Cet impressionnant grand train de JEP marque bien, par son esthétique, la mode de la fin des années 1930 où tout ce qui bouge et va vite doit ressembler à un avion ou à un sous-marin, avec des hublots et des formes arrondies. La marque de trains-jouets française a atteint sa maturité, et ses trains sont aussi robustes que beaux. Un défaut persiste : pour le moment encore, les trains JEP ne ressemblent pas réellement aux trains que l’on peut voir sur les grandes lignes françaises des anciennes compagnies ou d’une SNCF naissante.
Le grand train caréné JEP sur le catalogue de 1938 : la grosse locomotive type 222 a enfin trouvé son train. Voici la voiture “Pullman” marron-crème, la voiture postale rouge et le fourgon vert en grande longueur de 37 cm, une longueur supérieure à celle de la prestigieuse voiture “Flèche d’or”. La voiture postale, avec son lanterneau, est réussie.
Né peut-être des idées de Loewy ?
L’influence américaine a commencé bien avant la Seconde Guerre mondiale, contrairement à ce que l’on pense couramment. L’Amérique, c’est déjà le rêve, l’avenir, la référence morale et technique dès les années 1920. Cette influence ne fait que se renforcer durant les années 1930. tout ce qui est “moderne” est américain.
Le dessin du grand train caréné JEP doit beaucoup aux trains américains réels de Raymond Loewy. Né à Paris en 1893,cet Américain est le créateur, en 1929, du « design » industriel. Il pense que la beauté d’un objet technique naît de l’amélioration de ses fonctions, et que le succès commercial est l’issue de cette démarche. Ses chefs-d’œuvre les plus connus sont les automobiles « Studebaker » et la bouteille de « Coca-Cola », mais il a aussi dessiné des locomotives et des trains remarquables.
Le réseau du « Pennsylvania Railroad » lui demande, en 1936, de dessiner un carénage pour les anciennes Pacific type « K4s » construites depuis 1917 et mises en tête des grands trains rapides qu’elles remorquent à plus de 150 km/h. Le résultat est surprenant, la locomotive prenant la forme d’un obus ou d’une fusée, la partie inférieure du carénage enveloppant partiellement les roues et le mouvement sous une forme arrondie soulignée par des bandes horizontales. Le carénage prouve son utilité avec un gain de 300 ch à 160 km/h. L’ensemble des réseaux européens se mettront aux locomotives carénées pour leurs trains rapides, ou, même caréneront des trains entiers. Les enfants réclameront désormais des trains carénés.
La “Pacific” carénée type K4 du “Pennsylvania RR” américain, dessinée par Raymond Loewy. Elle n’a sans doute pas directement inspiré JEP qui, d’ailleurs ne reproduit aucune locomotive connue avec sa 222 carénée, mais il y a quand même un air de parenté.Peut-être la 232-Q-1 à turbines et chaudière haute pression, dessinée par les bureaux d’études de l’OCEM en 1933 et essayée comme prototype par la SNCF en 1940, aurait, elle aussi, pu inspirer JEP ?Les dates le permettraient.
Une locomotive JEP prête, mais sans son train.
La grande locomotive carénée de JEP est prête dès 1935, sous la forme d’une 221 qui doit remorquer une rame articulée formée de deux caisses prélevées sur la chaîne de fabrication du grand autorail triple : c’est ainsi que JEP conçoit ses trains articulés, en faisant ainsi d’une pierre deux coups avec ses autorails dont les caisses arrondies peuvent aussi représenter, à bon compte, des voitures de trains carénés américains.
Sur le fameux catalogue JEP de 1936, outre le grand autorail triple long de 101 cm qui est bien produit, on voit le train 57167 ou 52167 « en préparation » avec une locomotive carénée type 221 qui ne sera jamais produite. Seule la 222 bien connue sera produite à partir de 1937. Les voitures de ce train sont deux éléments de l’autorail triple.
Mais les troubles sociaux de 1936 et des problèmes financiers font que ce train caréné ne verra jamais le jour autrement que sous la forme d’un dessin au catalogue de 1936. En 1937, JEP produit bien la locomotive seule, mais sous une forme allongée au type 222, et la vend dans un coffret contenant une voiture et un fourgon de la série ancienne 5771. L’ensemble est quelque peu hétérogène, les voitures étant nettement trop anciennes pour la locomotive. JEP corrigera son tir l’année suivante : tant pis pour les acheteurs des premiers coffrets…
Le magnifique dépliant en trichromie que JEP publie dans le courant de 1937. Sur la cinquième voie, en comptant d’avant en arrière, on trouve la grande locomotive carénée type 222 qui attend ses voitures de 37 cm et qui essaie de faire bonne figure, pendant quelques mois, avec des voitures anciennes lithographiées bleu et crème type Nord à toilette centrale.
Le grand train caréné enfin au complet.
En 1938, c’est l’émerveillement. JEP frappe très fort en produisant de toutes nouvelles voitures, impeccablement carénées cette fois, et, surtout, vraiment très longues avec leurs 37 cm. Dotées de caisses aux lignes fuyantes enveloppant bien les roues, de portes ouvrantes, de fenêtres ovales (non vitrées cependant), d’éclairages intérieurs en option, ces voitures forment un ensemble impressionnant. Construites en une tôle épaisse, émaillées avec une peinture de qualité, ces voitures respirent la robustesse et sont indestructibles. Elles sont lourdes, incassables, solides comme seul JEP sait le faire. Le coffret contient une voiture et un fourgon.
Le grand train caréné sur le catalogue de 1937 avec une voiture Pullman supplémentaire.Sur un “flyer” gratuit sous la forme d’une simple feuille publicitaire, JEP annonce son prix remporté à l’Exposition internationale de 1937. La composition du train n’est pas encor définitive : ici, derrière la locomotive 22, on trouve la composition maximale Pullman + postes + fourgon, qui, en principe, ne se trouvait que dans les coffrets avec la 2B2 type électrique du PO. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, JEP soigne sa « propagande » comme on dit à l’époque, et laisse aucune foire à l’écart, avec de beaux stands et de jolis « camelots » à la verve blagueuse. Aucun smartphone n’est à l’horizon, et rien ne peut distraire les enfants qui, comme à l’école, ne perdent pas une miette du discours officiel. Même les papas, en chapeau et les mains dans les poches, sont « scotchés » comme on dit, cette expression actuelle n’ayant rien à voir avec une boisson écossaise et les cuites sévères liées, mais tout à voir avec du ruban adhésif. Sur le stand : un train caréné, bien sûr.En 1953 : les derniers trains JEP carénés bas de gamme ou gamme moyenne. La locomotive type 222 a disparu, et seul le type 120 avec un tender à deux essieux reste au catalogue. En haut de la page, la petite locomotive carénée bas de gamme est très directement inspirée par la fameuse locomotive “Commodore Vanderbilt” du réseau américain “New-York Central” avec son avant plus simple, incliné et arrondi, dessiné par le “designer” Henry Dreyfuss.
Notons qu’il existe aussi une version avec locomotive type électrique 2D2 du PO (ramenée au type 2B2). Cette locomotive est déjà connue depuis 1932, mais son avantage d’alors est d’être accompagnée d’une rame plus complète que la version type vapeur, puisqu’une belle voiture postale est ajoutée en compensation du manque du tender.
En 1938, la jolie locomotive 2D2 du PO, inopinément ramenée au type 2B2 pour réutiliser la platine standard, trouve le train complet avec trois voitures dans son coffret.La peu esthétique locomotive Diesel PLM, elle aussi une 2B2 au lieu de 2C2+2C2, n’aura pas les honneurs de ces belles voitures de 37 cm.Toujours en 1938 sur le catalogue JEP et sur la page “vapeur” : le grand train caréné 5761 n’a que deux voitures (Pullman +fourgon) et pas trois, comme précisé en légende. Dans son enthousiasme, le photographe s’est trompé et s’est fait remonter ses bretelles (des bretelles JEP, bien sûr). La direction de JEP veille : un sou est un sou.
Le train dure sous cette forme jusqu’en 1952. Mais, les voitures, surbaissées et montées sur des bogies en zamak, sont peintes dans des couleurs plus discrètes, comme un vert sombre et un toit noir pour « faire moderne » et continuent leur carrière derrière la CC 7001 JEP jusqu’en 1964.
Un bel aperçu de la production JEP à la fin des années 1950 : la firme cessera la production de ses trains en 1964. Au fond, sur ce cliché, la prestigieuse CC 7001, dès sa sortie en 1952, a repris à son compte la belle rame du grand train caréné de 1938. Mais les voitures sont surbaissées, reçoivent de nouveaux bogies en zamak moulé, de nouvelles teintes inspirées par celles de la SNCF, et de nouveaux attelages automatiques symétriques. La page 6 du catalogue de 1952 : la toute nouvelle et magnifique CC 7001, à deux moteurs et 12 roues motrices s’il vous plaît, adopte les voitures 37 cm du grand train caréné désormais orphelines de leur locomotive, mais après quelques modifications, notamment leur surbaissement.Sur les voitures 37 cm surbaissées, le nouvel attelage symétrique termine la période de l’attelage à croc sur une extrémité et à boucle sur l’autre qui obligeait au positionnement de tout le matériel roulant dans un seul et même sens sur le réseau, le “croc” étant obligatoirement tourné vers l’arrière du train.
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