Pour les lecteurs qui ont apprécié notre article “Il était une fois dans l’Ouest : la “Bicyclette”, mais pas le vélo”, nous revenons, une fois encore, sur ce mystérieux et attachant réseau de l’Ouest, un des plus anciens de France, et qui a disparu en 1909 après avoir montré que, financièrement, il n’avait pas su…
Dans les années 1930, le souvenir de l’ancien réseau de l’Ouest a déjà disparu depuis sa suppression en 1909, lors de son rachat par celui de l’État. Mais, il est vrai que l’ancienne inscription « Chemin de fer de l’Ouest » que l’on pouvait ou peut encore voir sur les façades des gares Saint-Lazare, Montparnasse (ancienne) ou des Invalides est remise en honneur, inopinément, par la SNCF qui, en 1938, crée son réseau de la région ouest à la place de ce qui fut celui de l’État. Ce n’est pas pour autant qu’un vent de nouveau souffle à l’ouest…


Le parc de voitures à voyageurs de la région ouest de la SNCF à sa création en 1938 n’a rien à envier, sur le plan de l’archaïsme et de la variété, à celui d’autres régions. Mais, dès que l’on entre dans l’univers des trains omnibus et régionaux, un déluge de voitures datant d’anciennes compagnies regroupées sous le nom de réseau de l’État en 1878 est là. Il submerge l’entomologiste ferroviaire avec des espèces très rares, n’existant souvent qu’à un seul exemplaire, ou qui se comptent sur les doigts d’une seule main ! Ce parc de voitures est bien là pour témoigner de ce que fut le vieux Ouest.


Une biodiversité extraordinaire et inédite.
L’ancien réseau de l’État est créé en 1878 par le rachat de nombreuses lignes ou compagnies situées dans l’ouest de la France : ce sont des compagnies en déficit permanent par la faible industrialisation de cette partie de la France à la fin du XIXe siècle et de l’absence de grandes villes pouvant créer un important trafic.
Les compagnies de la Vendée, des Charentes, du Maine-et-Loire à Nantes (sic), des Chemins de fer Nantais, des Chemins de fer de la Seudre, des Chemins de fer de Bressuire à Poitiers, ou de Poitiers à Saumur, d’Orléans à Rouen et autant d’autres créations éphémères d’hommes politiques ou de banquiers locaux, inspirés par des visions de prospérité et de progrès très Second Empire, sont en proie à la faillite. Mais « les populations concernées », comme on dit, ne l’entendent pas de la même oreille et tirent les sonnettes des ministères, du Sénat et de l’Assemblée Nationale pour que l’État intervienne. Crée en 1878, le réseau de l’État parvient à se montrer viable et à inspirer confiance, et rachète même, en 1909, le réseau de l’Ouest qui, desservant la Normandie et la Bretagne, doit jeter le gant.
À la veille de la Première Guerre mondiale, le réseau de l’État a donc constitué, en le rassemblant sous ses quatre lettres qui rassurent, un matériel Ouest aussi hétéroclite qu’ancien, et totalement inadapté. Entre les deux guerres, le réseau de l’État aura à cœur de procéder à une rénovation en profondeur de son parc de matériel roulant. Il mène cette action de bienfaisance tout en laissant survivre un « héritage » dont il se passerait volontiers, mais dont il a grand besoin pour assurer son service.
Construit bien avant 1878, ce matériel roule encore au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et constitue, selon les termes mêmes d’Alain Rambaud (« Encyclopédie des Voitures SNCF », éditions La Vie du Rail) : « un incroyable bric-à-brac dans lequel il est difficile de se reconnaître, avec un nombre de séries absolument effrayant (plus de 130 séries différentes à deux ou trois essieux), sans commune mesure avec ce que l’on trouvait sur d’autres réseaux, même le Midi… » Si cela dépasse le réseau du Midi, c’est tout dire…











Les gares du réseau de l’Ouest.
Desservant des régions peu industrialisées contrairement au réseau du Nord ou de l’Est, peu touristiques contrairement au réseau du PLM ou du Midi, le réseau de l’Ouest devra, le premier, unir son destin en 1909 avec celui de l’État. Les deux, alors, évolueront vers un ensemble parfois peu cohérent, et qui sera, par la force des choses, perçu comme étant la « vitrine » de la nationalisation.
Les compagnies primitives de St-Germain, de Versailles-RD et RG, de Rouen-Le-Havre et Dieppe, et de Caen ont construit des gares élégantes et soignées, souvent dans le style « orangerie ». La période de la fusion et de la création de la Cie de l’Ouest (1858-1888) est celle d’une construction à l’économie, avec des voies ne pouvant tolérer que des vitesses modérées et des tracés peu faciles suivant les cours d’eau et passant de vallée à vallée.



Si l’on excepte quelques gares dites d’architecte ou construites par des villes relativement importantes et aisées, les gares de l’ouest ont des bâtiments aux ouvertures nettes, souvent rectangulaires et petites, et sans ornements aux parements ou sur les façades. La brique reste le matériau standard, et la présence partielle de la pierre est réservée aux gares plus « riches ».
La période qui précède la fin de l’existence de la compagnie (1888-1909) montre des progrès avec de meilleures locomotives plus puissantes, plus rapides, des voitures à bogies, des trains plus confortables. Les premiers trains/bateaux rapides relient les premières gares maritimes à Paris, comme le train Paris-Dieppe inauguré en 1905. La compagnie, l’année même de sa disparition, engage ses premières locomotives de type Pacific (voir en fin d’article) : c’est dire à quel point le rachat par l’État est un fait brutal et inattendu.













Une locomotive Ouest emblématique : la 030-C.
Loin de ces grandes ambitions, de ces grandes perspectives, la petite locomotive 030 C connaît un destin aussi durable que modeste. Pour elle, ce ne seront pas les trains de luxe allant sur les plages de l’océan, ni les trains paquebot de Cherbourg allant rejoindre les grands transatlantiques pressés de voir l’Amérique, et encore moins les trains surchargés de la banlieue parisienne. Ce seront les trains simples de tous les jours avec ou sans les foires et marchés, transportant des scolaires, des militaires et des bonnes d’enfants voyageant à tarif réduit, et ce seront des trains composés d’une ou deux voitures à voyageurs à deux essieux, terminant une rame de wagons à marchandises chargés de bétail, de fourrage, de pierres ou de bois de charpente.
Conduite par deux hommes simples au regard décidé et aux connaissances professionnelles aussi sommaires qu’expérimentées, la 030-C est l’objet de leur soins comptés, mais dont elle se satisfait, car elle demande peu. Pour « faire » un patachon roulant à 40 km/h sur des voies herbeuses et négligées, un peu de charbon de qualité courante suffit, et un peu d’eau – pas trop calcaire malgré tout. Il y aura toujours, au dépôt – que ce soit celui de Sainte-Gauburge ou de Sablé – un fond de graisse pour les boîtes d’essieu et d’huile pour l’embiellage. Il y aura du sable pas trop humide pour les sablières, un reste de peinture verte pour les retouches et le chef de dépôt « ne plaindra pas trop la marchandise », même si le meilleur des approvisionnements va pour les Pacific.

Les dispositions techniques des 030-C Ouest.
Les petites 030 construites par la compagnie de l’Ouest à partir de 1867 sont déjà une évolution à partir du type Mammouth des dernières années 1850. Ce type va continuellement évoluer pour donner, en 1873, une série plus perfectionnée, celle qui nous intéresse ici, construite jusqu’en 1885. Ces locomotives restent très longtemps en service et la SNCF, à sa création en 1938, hérite d’un parc important comprenant 206 unités (certaines ont 71 ans d’existence). Certaines locomotives ont déjà subi, depuis leur construction, de modifications, souvent entreprises à l’initiative des dépôts.
Les locomotives de 1872 sont classiques, et correspondent bien aux pratiques de la seconde moitié du XIXe siècle : boîte à feu Crampton, corps cylindrique avec trois viroles, dôme très volumineux caractéristique des locomotives Ouest de l’époque, soupapes à balances sur la boîte à feu, cylindres extérieurs avec distribution par coulisses système Gooch. L’absence d’abri caractérise ces locomotives : une simple tôle formant écran et dotée de « lunettes » suffit amplement, pensent les ingénieurs des compagnies d’alors… Un abri complet sera finalement monté en 1909 sur ces locomotives, mais pas toutes !
Contrairement à ce que croit le grand public habitué aux automobiles ou aux téléviseurs produits en grande série et identiques, les locomotives présentent individuellement de grandes différences les unes par rapport aux autres à l’intérieur d’une même série, et, surtout, elles évoluent durant leur carrière, recevant, en atelier, de nombreuses transformations et perfectionnements au fur et à mesure que l’état des techniques le permet.
Les séries construites en 1891 conservent les mêmes dimensions générales, mais reçoivent des perfectionnements importants : la boîte à feu est dotée de soupapes système Webb à levier puis, ultérieurement, de soupapes Letuillier-Pinel à charge directe. Le foyer des dernières séries est en acier. La distribution abandonne la double coulisse et les excentriques des débuts, et elle est désormais du type Walschaërts avec un échappement à double valve. Le frein est du type continu Westinghouse. L’abri de conduite est complet, avec un toit et des pans latéraux. Cette locomotive tend vers sa forme définitive telle que la SNCF la connaîtra et telle qu’elle est exposée au musée de Mulhouse « La Cité du train » aujourd’hui.
Le service effectué.
Ce service est à la fois modeste, mais, sans nul doute, essentiel pour bien des régions rurales de l’époque d’avant le développement des transports routiers. On peut vraiment dire d’elles qu’elles remplacent directement les chevaux, pour les besoins quotidiens de régions entières, remorquant, parfois en double traction les jours de forte demande, l’ensemble des trains de marchandises et des trains de voyageurs omnibus du réseau Ouest, sur la plupart des lignes de ce réseau. Leur suprématie dure au moins jusque vers 1910 où des locomotives plus puissantes, du type 130, 140, et surtout 230 mixte, les supplantent, apportant le poids, la puissance, la force de traction de locomotives possédant au moins un essieu de plus, sinon deux.
Faciles à entretenir et à conduire, elles se font apprécier par les équipes de conduite des dépôts, et les ouvriers des ateliers, sur l’ensemble du réseau, et c’est pourquoi on les voit dans les dépôts des lignes de Paris à Brest ou à Granville ou au Havre, ou dans les dépôts de Caen, Mézidon, Cherbourg, Le Mans, Chartres, Rennes, Dinan, Saint-Brieuc, etc. Certaines termineront leur service au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sur le réseau de la SNCF, ce qui leur vaudra de côtoyer des locomotives électriques ou diesel qui roulent encore aujourd’hui.


Caractéristiques techniques
Type : 030
Date de construction : 1872
Moteur : 2 cylindres simple expansion
Cylindres : 460 x 640 mm
Diamètre des roues : 1430 mm
Surface de la grille du foyer : 1,48 m2
Pression de la chaudière : 11 kg/cm2
Contenance du tender en eau : 10 t
Contenance du tender en charbon : 3,5 t
Masse totale tender compris : 67 t
Longueur totale tender compris : 14, 61 m
Vitesse : 65 km/h
La 030T « Boer » : une petite Anglaise au pair dans la banlieue.
Cette très jolie petite locomotive, bien connue des modélistes ferroviaires par ses nombreuses reproductions en « 0 » ou en « H0 », est le type même de la locomotive-tender de banlieue de la fin du XIXe siècle, caractérisée par une disposition d’essieux type 030, un mécanisme moteur simple, une grande robustesse de conception. L’accroissement du poids des trains, toutefois, met un terme rapide à sa carrière : les dernières « Boer » roulent au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sur quelques lignes secondaires ou des embranchements particuliers.
La compagnie de l’Ouest ouvre un grand nombre de petites lignes rurales à la fin du XIXe siècle : ces lignes font partie de ce que l’on appelle « le deuxième réseau » qui vient compléter le premier formé des grandes lignes construites durant le siècle.
Mais, à ces lignes, il faut une locomotive. La compagnie s’inspire de ce qu’elle appelle la conception anglaise, c’est-à-dire une locomotive de petites dimensions, à trois essieux moteurs, et surtout à cylindres intérieurs. Les réseaux anglais de l’époque pratiquent une politique systématique de petites locomotives robustes et légères, et n’hésitent pas à les utiliser en double traction quand le poids des trains l’exige, modulant ainsi la puissance et les dépenses en fonction des besoins, et refusant ainsi le risque de sous-emploi présenté par les grandes locomotives quand les trains sont légers.

L’évolution vers une petite locomotive-tender de banlieue.
Les bons résultats obtenus avec les locomotives-tenders de la série N° 3001 à 3031, à roues motrices de 1,44 m, incitent la Compagnie de l’Ouest à faire construire des locomotives de banlieue absolument identiques, mais montées sur roues de 1,54 m, en vue d’assurer le service sur les lignes accidentées, notamment sur les rampes de 35 pour mille du Pecq à Saint-Germain pour éviter le changement de machine au Pecq, ou aussi sur la ligne de Saint-Cloud à l’Etang-la-Ville où l’on trouve des rampes de 10 à 15 pour mille.
Ces nouvelles locomotives sont construites en 1885. L’empattement total est identique à celui des N° 3017-3031 ainsi que leur longueur. Ces locomotives sont donc totalement identiques aux précédentes, si ce n’est le diamètre des roues motrices, des soutes à charbon réduites faisant gagner une demie tonne sur le poids total en charge de la locomotive. Originairement, la cheminée est évasée, puis elle est coiffée d’un chapiteau réduit, remplacé ou non par une visière.


Les 3506-3510 ont un dôme sphérique. Équipées d’un frein Westinghouse et à vis, ces machines reçoivent, comme les 3001, des pompes à air à double phase type Fives-Lille. En 1909, ces machines sont renumérotées suivant les nouvelles règles du réseau de l’État qui vient de racheter la compagnie de l’Ouest, formant alors la série de 30-193 à 202 pour les ex-3501-3510, et de 30-173 à 192 pour les ex-3511-3530. La vitesse limite en service est de 80 km/h.
Les nouvelles séries de locomotives-tenders.
Les dix premières locomotives formant de la série N° 3531 à 3540, sont mises en service en 1888. Elles diffèrent des machines 3500 antérieures par un empattement total porté de 4 m à 4,30 m en décalant l’essieu arrière de 0,45 m, ce qui permet de loger le foyer au plus bas, entre les deux derniers essieux accouplés. Cela se fait au prix d’une réduction de la surface de grille de 1,73 m2 à 1,28 m2.
Leur boîte à feu est en « berceau renflé » (selon les termes de Lucien-Maurice Vilain), avec un foyer à fermes longitudinales rattachées au ciel de la boîte à feu, un corps cylindrique en fer composé de deux viroles dont celle disposée à l’arrière porte un dôme sphérique. Les cylindres intérieurs sont inclinés d’une valeur de 12° avec des boîtes à vapeur communes, des distributions Stephenson gouvernée par un appareil de commande à vis, des glissières uniques, un échappement fixe annulaire, une cheminée avec un chapiteau réduit ou une cheminée de type anglais suivant les machines. La tôle extérieure de boite à feu a, comme dans les machines précédentes, été prolongée jusqu’à la boîte à fumée et la sablière installée dans l’intervalle disponible. Les longerons du châssis ont une épaisseur de 25 mm d’épaisseur. La capacité des soutes à charbon est légèrement augmentée par rapport aux locomotives de la série N° 3501 à 3530, avec 1,2 tonne. La caisse à eau a une modeste contenance de quatre tonnes.
Les machines suivantes, n” 3541 à 3560, ont été construites en 1891 et les 3561-2572 en 1892. Les 3573-3587 et 3588-3602, mises en service en 1897-1898, ont reçu des soutes de 4,2 m³ et différaient par quelques détails, abri ou autres, des précédentes. Les 3570-3602 ont un échappement à double valve. Toutes ces machines, sauf dix, reçurent progressivement un faisceau tubulaire composé de 87 à 89 tubes Serve à ailettes au lieu de 205 tubes lisses de 43 mm. Notons que si elles ont été surnommées « Boer », elles aussi, elles ne sont pas des vraies « Boer ».
Une belle carrière, efficace et utile.
Toutes ces locomotives font un bon service sur les lignes de la banlieue Ouest ou les lignes d’embranchements du réseau, atteignant en service courant la vitesse de 80 km/h. Sur la banlieue de Paris, elles ouvrent le service voyageurs de Paris-Montparnasse et Invalides à Versailles-RG, et surtout sur les lignes au départ de la grande gare de Paris Saint-Lazare à Mantes par Argenteuil et par Poissy, ou à Pontoise, et à Saint-Germain, à Saint-Nom-la-Bretèche, à Versailles-RD, et aussi jusqu’à Auteuil-Boulogne sur la fameuse ligne de la Petite Ceinture.
Toutefois, ces locomotives iront aussi rejoindre leurs cousines des premières séries sur des lignes de Bretagne ou de Normandie, comme celle de Bréauté-Beuzeville à Lillebonne, à Fécamp, de Lisieux à Dives-Cabourg, de Tinchebrai à Montsecret-Vassy, de Briouze à Couterne avec son fameux double rebroussement de la Ferté Macé, de Barentin à Caudebec, de Motteville à Saint-Valéry, des Ifs à Étretat, de Mézidon à Trouville, etc. Bref : du vrai et du profond réseau Ouest !
Pendant les années 1920, la série est encore au grand complet. Les années 1930, toutefois, voient une mise à la retraite aussi rapide que généralisée, après avoir été au service des trains légers conduits par un seul agent, effectué des navettes, remontes et manoeuvres dans différents dépôts comme ceux des Batignolles, de Montrouge, d’Achères, de Chartres, etc.
En 1938, il reste encore 23 machines de la série N° 3501 à 3530 et 49 de la série N° 3531 à 3602, les plus anciennes ayant alors 53 années de carrière derrière elles. Elles ne recevront toutefois pas de marquage SNCF, étant sans nul doute retirées définitivement du service quelques mois après la création de la compagnie nationale.
La vraie « Boer » ?
Les amateurs actuels appellent volontiers toutes ces locomotives des « Boer ». Or la guerre dite des Boers a lieu de 1889 à 1902 en Afrique du Sud, et il est donc impossible que ce surnom ait été donné avant cet événement à ces locomotives. Or la compagnie du Nord construit, en 1889, un type identique à la deuxième sous-série de l’Ouest-État pour le service sur la ligne de la Petite Ceinture, mais sur roues de 1440 mm.
Ce serait, d’après l’auteur Lucien-Maurice Vilain dans son ouvrage « Le matériel roulant des chemins de fer de l’État » (éditions Dominique Vincent, 1972), ce type-là qui aurait reçu le surnom de Boer par référence à cette guerre qui a commencé cette année-là au Transvaal. En effet, il était courant, chez les cheminots de l’époque, de donner des surnoms à des séries de locomotives en se référant à un événement important de leur année de mise en service (comme « Ravachol » lors des attentats , « Joconde » lors du vol du tableau, « Panama » lors de l’affaire financière et politique, etc), et tout donne lieu de croire que Lucien-Maurice Vilain a parfaitement raison : le surnom de Boer a été donné à la locomotive du réseau du Nord, et, peut-être, par extension, est-il revenu s’appliquer aux séries plus anciennes ensuite.
Caractéristiques techniques
Type : 030
Date de construction : 1885
Moteur : 2 cylindres intérieures simple expansion
Cylindres : 430 x 600 mm
Diamètre des roues motrices : 1540 mm
Surface de la grille du foyer : 1,73 m2
Pression de la chaudière : 10 kg/cm2
Masse : 39,5 t
Longueur : 8,3 m
Vitesse : 80 km/h

Un matériel typiquement Ouest : les rames Sprague en bois de teck.
Le réseau de l’Ouest construit de 1902 à 1909, ainsi que celui de l’État construit ensuite, à partir de 1911 et jusqu’en 1927, d’importantes séries de voitures dites « unifiées » qui forment un très important parc d’un millier de véhicules à châssis acier et caisses de longueurs très variables (de 13,3 à 14,7 mètres) et pesant entre 16 et 20 tonnes, et que l’on retrouve sur la totalité des trains omnibus, ou aussi de banlieue du réseau de l’État.
Une centaine de ces authentiques voitures de banlieue, conçues uniquement pour ce service, circulent sur le réseau de l’État sur la ligne des Invalides. Cinq de ces voitures sont transformées en automotrices électriques avec un équipement Sprague et forment ainsi le matériel moteur de deux rames Sprague électriques engagées sur la ligne des Invalides dès le début du XXe siècle. Les voitures non transformées, restées donc en état d’origine, entrent dans la composition des rames Sprague à titre de remorques encadrées par les automotrices, ou forment un parc de voitures classiques qui sont remorquées par une série de dix locomotives électriques dites « fourgons automoteurs ».
La ligne des Invalides à Versailles-RG est électrifiée en 1901-1902 et offre un service de banlieue à deux classes. Ces voitures à deux essieux, et à la belle caisse en bois de teck verni, vont durer jusqu’à la création de la SNCF. Longues de 12,30 mètres, elles pèsent 10, 5 tonnes.




La « Pacific » Ouest de l’ingénieur Dubois : cette magnifique locomotive qui arrive trop tard.
Ces locomotives sont étudiées par la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest en 1904 par deux ingénieurs de grand talent : Robert Dubois et Maurice Demoulin, ingénieurs au service Matériel et Traction du réseau, le second étant un auteur bien connu pour ses traités concernant les locomotives à vapeur. Cette machine était projetée pour le service sur la ligne de Brest et de Cherbourg qui comportait des rampes de 10 pour mille et faisait chuter la vitesse des trains, mais, et nous sommes bien sur l’Ouest, des difficultés financières retardent la construction de ces prototypes jusqu’en 1908, une année où le réseau allait disparaître.
Construites aux ateliers de Sotteville-lès-Rouen, dotées de quatre cylindres compound du type « Du Bousquet De Glehn », avec les HP intérieurs et les BP extérieurs, équipées d’une distribution « Walschaerts » mais modifiée avec les commandes extérieures pour les HP comme pour les BP ce qui ne manqua pas de poser des problèmes de fonctionnement, ces impressionnantes machines ont un foyer de type « Belpaire ».
Magnifiquement dessinées, ces locomotives ont un tablier dégageant complètement les roues, une chaudière très longue, mais une cabine relativement petite, imposée par le gabarit à l’anglaise du réseau de l’Ouest. La chance ne fut pas avec elles, car, dès les premiers essais, de graves problèmes techniques de distribution se posent et ces machines sont mutées, faute de mieux, au dépôt de Paris-Vaugirard et elles assurent désormais et aléatoirement un service de trains régionaux vers la Bretagne.
La Compagnie des chemins de fer de l’État rachète celle de l’Ouest en 1909 et, pressée par le temps, elle fait construire ses propres « Pacific » 231 État (série 231-011 à 231-060). Nos deux belles « Pacific » Ouest sont immatriculées 6001 et 6002 et mutées au dépôt de Chartres où elles assureront désormais des trains omnibus ou de messageries. Réimmatriculées de nouveau en 231.001 et 231.002, elles sont ferraillées en 1928. Leurs chaudières servent cependant encore de générateurs de vapeur aux ateliers de Sotteville …en retour à l’envoyeur et sur leur lieu de naissance !


CARACTERISTIQUES TECHNIQUES
Type : 231
Pression de la chaudière : 16 kg/cm2
Diamètre des cylindres HP : 660 mm
Diamètre des cylindres BP : 400 mm
Diamètre des roues motrices : 1940 mm
Diamètre des roues du bogie avant : 960 mm
Diamètre des roues du bissel arrière : 1370 mm
Masse à vide : 82 t
Masse en ordre de marche : 90,7 t
Masse adhérente : 53,55 t
Longueur hors tout : 13,74 m
Masse du tender à vide : 24,8 t
Masse du tender en ordre de marche : 57,8 t
Masse totale à vide : 106,8 t
Vitesse maxi en service : 130 km/h.
Pour terminer cet article, quelques vues de trains du réseau de l’Ouest.





Pour ceux qui aiment l’ancienne compagnie de l’Ouest : l’opinion de Luc Fournier.
Nous avons reçu ces belles pages de Luc Fournier qui nous autorise à les publier sur «TrainConsultant ».
Je profite de cet après-midi d’automne pour réagir à ton article de «TrainConsultant » sur la compagnie de l’Ouest.
Tout d’abord, je dois te dire que j’ai entendu parler de la compagnie de l’Ouest très tôt dans ma vie par ma famille rennaise. On m’avait dit que cette compagnie avait été rachetée par l’État en 1909 et, pour moi, ferroviphile en culottes courtes ou presque, il y avait identité entre l’Ouest et l’État. Je ne savais pas, à l’époque, qu’un réseau de l’État avait préexisté entre Loire et Garonne et qu’il avait fait un seul réseau avec l’Ouest après 1909. L’inscription sur la gare de Rochefort « chemins de fer de l’État » m’étonnait d’autant plus que, pour moi et avec le peu de connaissances d’histoire ferroviaire que j’avais pu acquérir, Rochefort était en territoire PO.
En fait, je ne me trompais qu’à moitié, mais il a fallu que je progresse beaucoup dans l’histoire des réseaux français pour savoir que le P.O. avait été présent à Rochefort de 1857 à 1883, fait d’autant plus difficile à appréhender que les vestiges de sa présence sur place étaient franchement ténus, la gare de Rochefort PO ayant été délaissée assez rapidement.
Tout ceci pour en arriver au fait que la logique politico-économique eut voulu que la compagnie de l’Ouest puisse déployer ses ailes de la ligne du Havre jusqu’à la Loire avec la ligne Tours-Nantes-Quimper-Landernau.
L’Histoire en a décidé autrement et l’Ouest a du batailler ferme pour se frayer un chemin jusqu’à Angers, Nantes et Saint-Nazaire, la zone située entre la ligne Paris-Le Mans et Tours-Nantes étant, par ailleurs, desservi par un imbroglio de lignes tantôt Ouest et tantôt PO qui fait qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits et que l’historien, même confirmé, peine à distinguer les deux exploitants. Bref, l’Ouest s’est retrouvé, sur les bords de Loire, avec un strapontin alors qu’il aurait du bénéficier d’une place entière…
Pour comble de malchance, ce réseau qui semblait bien parti avec une ligne du Havre rentable, une ligne de Bretagne tout autant, du moins jusqu’au Mans, va voir ses bénéfices grevés par les différentes phases du plan Freycinet, le contraignant à ouvrir de petites lignes perdues au fin fond de la Bretagne ou de la Normandie dont le déficit d’exploitation était prévisible dès leur ouverture. Une banlieue Ouest en pleine expansion dont on aurait pu penser qu’elle aurait généré des bénéfices substantiels, mais il n’en fut rien en réalité : ce type de trafic nécessite beaucoup de matériel, employé d’une manière épisodique et les usagers ont droit à des tarifs préférentiels par carte d’abonnement…
Les gares parisiennes montrent vite leur défauts avec une gare Saint-Lazare étranglée par le tunnel des Batignolles, une gare Montparnasse trop petite et qu’il sera difficile d’agrandir plus une gare des Invalides fort élégante mais exigüe qui joue bon an, mal an, son rôle de gare grandes lignes mais dans un quartier déjà résidentiel, loin des commerces et des commodités. Quand j’étais petit, en voyant les trois gares parisiennes de l’Ouest-Etat, je me disais qu’un réseau qui possédait trois établissements terminaux dans la capitale était un réseau puissant. Cela n’en démontrait, hélas, que la faiblesse…
Et pourtant, la compagnie de l’Ouest, ce grand seigneur dans la débine, on en parle encore. Pourquoi ? Tout d’abord parce que le hasard a voulu que sa principale gare soit située dans un quartier fréquenté par les artistes de l’époque et que Saint-Lazare ait été le sujet de beaucoup de peintres d’avant-garde de l’époque dont le plus connu est Claude Monet. Ensuite vient la littérature avec la « Bête humaine » dont le cadre est la ligne du Havre et Marcel Proust, né tout près de la ligne d’Auteuil et qui se rend dans les stations balnéaires réputées de Normandie pour trouver des modèles à ses personnages. Enfin, et surtout, il y a ce souci permanent de « faire beau ».
Si les petites gares de campagne de l’Ouest ne se distinguent guère, au niveau esthétique, de leurs voisines du Nord, du P.O. ou de l’État, la gare Saint-Lazare, avec son côté victorien, la gare des Invalides avec son aspect d’orangerie de château, les gares-pavillons de la Ceinture sud et de la ligne d’Auteuil ainsi que les « pagodes » de la ligne des invalides marquent leur époque alors que la compagnie aurait pu choisir de faire de l’architecture administrative un peu enjolivée. La décoration à bandeaux briques et pierres de la gare de Flers se retrouve à Pont-Audemer ou à Vitré. Il y a donc eu souci de la part des instances dirigeantes de la compagnie de faire appel à des architectes renommés comme Victor Lenoir ou Juste Lisch là ou d’autres compagnies se seraient contentées, pour des villes très moyennes, de construire sur modèle-type.
Ce souci de « faire beau » se retrouve sur les machines, en tous cas à partir des années 1888/90 : les 220 « anglaises » de la série 900, les 030 T de banlieue de la série 3500 toutes aussi victoriennes, les élégantes 220 de la série 500 dont les 230-2700 seront directement dérivées s’avèrent des machines bien proportionnées, aux lignes pures et dépouillées. Ce sont pourtant, pour les deux dernières citées des « alsaciennes du Bousquet-de Glehn » mais avec une « patte » Ouest alors, qu’à la même époque, le Midi, réseau pauvre lui aussi, se contente de copier, avec quelques variantes, les 220 et 221 du Nord. Reste à déterminer si l’application de ce style particulier au lieu et place de machines standardisées ne constituait pas un surcoût pour une entreprise qui, pourtant, courait désespérément après l’argent…
Autre facteur d’intérêt : la recherche de l’esthétique n’empêche pas celle de la novation : en 1894, l’Ouest met en service 4 locomotives mixtes type 230 à simple expansion, machines à l’aspect bizarre du fait d’un abri dont les fenêtres latérales sont remplacées par des périscopes. Mais, quand on examine la machine de plus près, on s’aperçoit que tout a été fait pour faciliter le travail de l’équipe de conduite, périscope compris et faciliter la production ! Ces machines n’ont pas été reproduites en série car elle consommaient trop et que la 230 « de Glehn » s’est progressivement imposée sur les réseaux, PLM excepté. Mais, avec un bon surchauffeur, elles auraient pu être l’équivalent français de la P8 allemande.
Cette recherche de l’ergonomie, de la commodité tant pour le personnel que les usagers se manifeste aussi avec les voitures de banlieue à couloir central revêtues de teck. La plupart des autres compagnies se contentaient d’employer des voitures à portières latérales et compartiments séparés, parfois déclassées du service des grandes lignes, l’Ouest innove avec ces voitures à l’esthétique singulière mais distinguée avec couloir central, larges doubles-portes d’accès et pavillon très arrondi pour augmenter le cubage d’air.
Il faut dire enfin un mot des deux 231 prototypes. Pour moi qui suis un « aficionado » de ces machines, j’ai entendu bien des choses sur leur compte. Beaucoup de mes amis qui partagent avec moi la passion du train les ont qualifié en ma présence de « hideuses » ou déséquilibrées ». Selon moi, l’adéquation de leur esthétique qui refuse tout élément décoratif, provient de ce que chaque élément est là pour suggérer ce pour quoi la machine est faite : courir ! Outre la pureté des lignes, la longue chaudière semble vouloir « aller de l’avant » et les commandes extérieures dardent comme autant de flèches prêtes à s’élancer, tandis que l’abri semble se faire tout petit pour ne pas perturber la dynamique… Et, là, encore, ergonomie : l’agencement de la devanture est fait pour simplifier le travail de l’équipe, le podium de l’extrême-avant pour rendre plus aisé le travail de vidage des escarbilles de la boîte à fumée, les trous d’homme dans la selle de chaudière pour pouvoir accéder plus facilement au mécanisme HP et l’abri est doté de strapontins et de vitres coulissantes…. Les 231 du PO que j’aime pourtant beaucoup dans leur version d’origine appartiennent encore un peu au XIXᵉ siècle…La 231 de l’Ouest, ce lévrier étrange, cet objet ferroviaire non identifié (OFNI) annonce, par certaines de ses dispositions, les locomotives à venir…
Voilà…J’aurais pu encore parler des locomotives 140 type italien construites par Henschel dont je ne sais par si elles étaient destinées à l’origine au pays de Don Camillo ou s’il s’agit d’une commande spécifique de la compagnie de l’Ouest…Je terminerai en m’imaginant en costume clair et canotier, au bras d’une jolie dame en robe longue attendant le train dans une gare de la ligne des Invalides ou de la ligne des Moulineaux…Il y a, ainsi, des rêves récurrents tout au long de la vie.
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