Le disque – nous ne parlons pas du vinyle musical 33 ou 45 tours cher à notre adolesence, ni du disque dur des ordinateurs cher à nos débuts d’auteur – est bien le plus ancien signal de l’histoire des chemins de fer, dans le monde, et donc en France.
Le plus ancien ? Si la ligne du Stockton-Darlington, ouverte en 1825, a des signaux en forme de disque et rouges, en 1845, la ligne de Paris à Versailles-Rive Gauche est équipée de disques manœuvrés à la main par des « cantonniers ». Ceux-ci sont chargés de fermer la voie pendant cinq minutes après le passage d’un train pour la sécurité d’autres trains, et la protection des bifurcations ou des cisaillements de circulation en gare. C’est l’apparition d’un signal qui sera très utilisé en France et jusqu’à nos jours toujours, mais dont les fonctions et le rôle sont devenus tout autres que l’espacement des trains.
Pour commencer, le signal, c’est un geste humain.
Les premières lignes de chemin de fer modernes, avec traction à vapeur et couverture de longues distances, n’ont pas toutes ce que l’on appellera une « signalisation fixe » : il y a peu, sinon pas, de systèmes mécaniques, ou autres, installés à demeure et donnant, au moyen d’un code approprié, des indications aux équipes de conduite.
Beaucoup de gravures, même les plus soignées, montrant les premières gares, les premiers trains, ne font aucun état d’une signalisation fixe, même rudimentaire. Les ordres de départ sont donnés par les chefs des gares qui utilisent, selon les pays et les réseaux, des sifflets ou des trompes. Les ordres en cours de route, comme le signalement d’un danger, sont donnés par des cantonniers qui bougent les bras le jour et des lanternes la nuit, selon un code de gestes précis. On voit même des cavaliers courir devant les trains pour voir si la voie est libre et surtout sans promeneurs ni animaux, tandis que d’autres cavaliers rattrapent les trains au galop pour porter un message à l’équipe de conduite ! Bref, il ne s’agit pas encore de ce que l’on appellera, par la suite dans les cours de chemins de fer, une « signalisation fixe ».





Puis le geste humain est remplacé par une « signalisation fixe ».
Le chemin de fer apprendra rapidement à adopter une « signalisation fixe », prenant exemple sur celui de la marine, dont les phares et les sémaphores, les feux allumés de nuit, les repères peints, et les balises, sont anciens et efficaces.
Même si les premiers trains roulent moins vite qu’aujourd’hui, le premier grand problème posé est celui de longues distances nécessaires pour s’arrêter : quand le mécanicien voit l’obstacle, il est trop tard. L’essentiel de la signalisation ferroviaire est non pas le signal d’arrêt, mais toute la signalisation d’annonce ou d’avertissement.
Le disque, père fondateur du signal moderne ?
C’est d’Angleterre que vient l’invention du signal mécanique. Certaines lignes primitives anglaises sont munies de signaux à boules de bois, peintes en rouge vif, et hissées, en cas de danger, en haut d’un mât par un garde.
Le rouge ? C’est la couleur du premier signal lumineux ferroviaire de nuit pour la simple raison que les premiers feux arrière des trains sont constitués par un « brasero » suspendu au crochet du dernier wagon. Il se présente sous la forme d’un seau fait en bandes de métal espacées et rivetées, contenant de grosses braises ardentes que le vent de la course maintient en combustion. Ce système est utilisé pour « couvrir » les trains par l’arrière sur la ligne de Stockton à Darlington dont l’importante demande de trafic exige des trains de nuit. Le « brasero » sera donc aussi utilisé comme signal fixe de nuit, indiquant un danger et imposant l’arrêt.
Notons que Mao, qui avait repris à son compte le rouge comme étant la couleur emblématique de la marche en avant et révolutionnaire de préférence, s’était offusqué du fait que les feux rouges des rues de Pékin soient le symbole de l’arrêt. Il avait voulu permuter le rouge et le vert. Heureusement que de sages conseillers, révolutionnaires certes, mais un peu moins que le Maître, avaient pu empêcher ce qui aurait créé un carnage automobile et humain. Donc, depuis George Stephenson, et malgré Mao, le rouge signifie l’arrêt, et le vert la liberté d’avancer en attendant aussi de signifier le respect de la nature. Non mais….

Le sémaphore venu du télégramme et de la mer.
Ce signal est connu depuis le XVIIIe siècle, si l’on songe au télégraphe de l’ex-abbé Claude Chappe utilisé par Napoléon 1er, et si l’on songe aussi aux sémaphores maritimes disposés sur les côtes et dans les ports. Il semblerait que le London & Croydon Railway ait utilisé le premier un système de sémaphores ferroviaires mécaniques, inventé par Charles Hutton Gregory en 1840. Ce signal comporte un bras capable de prendre trois positions, relié par tringlerie à un levier de commande actionné par un garde posté au pied du signal.
Ces systèmes ne changent rien au problème, à quelque titre que ce soit : ils reprennent le même code que celui des signaux faits en levant le bras par les gardes, mais ils offrent deux progrès : ils sont visibles de plus loin grâce à la hauteur des mâts et des dimensions plus fortes que celles du bras humain. Ils permettent de conserver aussi longtemps qu’on le voudra l’indication donnée. C’est sur ce dernier point que l’on marque un progrès relatif dans la mesure où, tant que la voie est libre, par exemple, le garde n’a pas besoin de refaire le même signal « voie libre » à chaque passage d’un nouveau train, ou, aussi, parce que la conservation de la position de l’aile est un témoin du dernier ordre donné, alors que le bras humain donne une information instable et fugitive.


À la même époque, l’ingénieur Isambard Kingdom Brunel met en service, sur le Great Western Railway dont il est l’ingénieur en chef, un système de signal dit « disc and cross bar ». Il comporte un disque rouge et une barre horizontale, montés ensemble en haut d’un mât, mais placés perpendiculairement l’un par rapport à l’autre. Si un garde fait tourner le mât sur lui-même grâce à un levier placé en bas, il présentera soit le disque (pour voie libre), soit la barre transversale (pour l’arrêt). Ce système est assez répandu pour apparaître sur un certain nombre de gravures d’époque, et on trouve, aujourd’hui, un certain nombre de ces signaux préservés dans des musées britanniques. Mais, comme le sémaphore de Gregory, ce signal ne marque de progrès que dans la visibilité à distance, et ne modifie en rien les conditions de sécurité ou de fluidité du trafic.

Une première étape vers la sécurité : la couverture des trains.
Benoît Clapeyron, ingénieur sur les lignes de Paris à St-Germain et à Versailles, adopte en 1843 un principe de signalisation par disques délimitant la voie en cantons : chaque garde doit faire pivoter son disque en position fermée après le passage d’un train, et attendre cinq ou dix minutes (selon les sources) avant de l’ouvrir de nouveau. Le progrès est considérable. Le disque se marie avec le cantonnement. Devenus « cantonniers » après avoir été « gardes-voies », les agents ont une tâche précise et importante à accomplir et dont ils mesurent les enjeux. Ils doivent cependant se livrer à des acrobaties, puisqu’ils doivent agir sur les deux voies de la ligne, les traversant après le passage de chaque train pour fermer l’un des deux disques et aller l’ouvrir de nouveau cinq ou dix minutes après.

Les rigueurs de l’hiver de 1846 montrent les limites de ces cantonniers transis de froid dans leur guérites, et Eugène Flachat, lui aussi ingénieur sur la ligne, propose aux commissions de sécurité ministérielles d’adopter la solution anglaise de la commande à distance par fils des signaux. Ce qu’il propose a commencé à être mis en place autour de Londres. Les postes de commande sont alors établis dans les gares, placés sous la responsabilité des chefs de gare, et dans les maisons de garde des passages à niveau, avec la même responsabilité pour le garde-barrière. Ce système est perfectionné par un ingénieur nommé Chabrier qui utilise un seul fil tendu par un contrepoids qui assure aussi le rappel du mouvement du signal. Il faut tirer sur le fil pour ouvrir le signal. En cas de rupture du fil, le contrepoids positionne automatiquement le signal en position fermée. Dès que les actions se font sur des distances de l’ordre de 1.500 mètres, il faut installer des compensateurs, ce qui est le cas vers les années 1870-1880. Ceci apparaît notamment sur les systèmes Robert sur le réseau du Nord ou Dujour sur celui du PLM.
Quelques différences entre les anciens réseaux.
Les anciennes compagnies d’avant la SNCF pratiquent bien le disque dans ce principe de la marche à vue, sauf le Paris-Orléans. En effet, le PO procède différemment, en utilisant bien des disques de couleur rouge, mais montés sur un mât d’une hauteur culminant parfois jusqu’à 12 mètres, et commandant l’arrêt absolu. La hauteur du mât autorise une visibilité loin en amont du signal. Pour les autres réseaux, le disque commande l’arrêt sur une distance de 800 m marquée par un poteau – limite de protection, ou l’arrêt sur une distance laissée à l’appréciation du mécanicien. Celui-ci, en principe, connaît parfaitement la ligne et sait qu’il est à telle ou telle distance d’une bifurcation ou d’une gare dans laquelle il doit s’attendre à marquer l’arrêt. La voie libre est donnée par le pivotement du disque qui prend alors une position parallèle à la voie le rendant invisible.









Depuis sa création en 1938 la SNCF a conservé le disque. Le mécanicien doit se mettre en « marche à vue » et s’arrêter avant le premier appareil de voie, ou au premier poste d’aiguillage, et, dans le cas d’une voie unique, à la prochaine gare. Avec le code de 1935, repris par la SNCF, le disque est signalé la nuit par un feu rouge plus un feu jaune présentés à l’horizontale ou à la verticale. La voie libre, de nuit, est donnée par un feu vert.


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