Les chemins de fer des îles nous ont toujours fasciné, pour ne pas dire amusé, avec leur volonté d’être une grande compagnie et en faisant tout pour que cela se voie et se sache. Ces très petites îles qui nous intéressent ici, qui ne sont pas tout à fait anglaises, ni même vraiment britanniques, ont-elles offert assez de place pour l’installation d’une gare et d’un peu de voie ? Il paraît que oui. Mais, d’abord, mettons fin à une série d’erreurs bien française qui consiste à traiter d’« anglais» bien des gens qui ne le sont pas.
En regardant d’une manière la plus globale possible un problème complexe, il y a ce que l’on appelle les « British Isles », ou « Iles Britanniques » qui comprennent tout ce qui se situe au nord et au nord-ouest immédiat de la bien aimée France éternelle. Il s’agit des îles que sont, en langue française, la Grande Bretagne, l’Irlande (mais oui : l’Irlande est une des « British Iles »), et toute une quantité de petites îles entourant les deux grandes îles. Tous les habitants ne sont pas des Anglais, et même loin s’en faut. Il ne faut pas traiter d’Anglais, si vous tenez à la vie ou du moins à l’intégrité de votre chapeau melon, les habitants de la République Irlandaise (séparée du Royaume-Uni depuis 1921), de l’Écosse, du Pays de Galles, et toutes les autres petites îles, sauf Wight.
Depuis 1707, les habitants de l’Angleterre, de l’Écosse, du pays de Galles, de cette partie de l’île irlandaise dite Ulster sont des citoyens du Royaume-Uni (« United Kingdom » dans le dialecte local) et se prosternent actuellement, avec une déférence à géométrie très variable, devant Charles III.
Pour faire bon poids, on peut, à la longue liste des non-Anglais, ajouter les habitants de pays très éloignés et exotiques comme l’Australie, les Bahamas, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Jamaïque, Antigua-et-Barbuda, le Belize, Grenade, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, les îles Salomon et Tuvalu. Tout cela, c’est tout au plus le « Commonwealth » du Royaume-Uni, mais ce n’est pas l’Angleterre.
Et nos petites îles comme Man, Jersey, Guernesey, et Wight ? L’île de Man est un territoire formé d’une île principale et de quelques îlots situés en plein milieu de la mer d’Irlande et à égale distance de l’Irlande (à l’ouest) et de la Grande-Bretagne (à l’est). Elle est l’île principale d’un archipel, avec trois autres petites îles : Calf of Man, Saint-Michael et Saint-Patrick, sans compter quelques accueillants récifs et rochers. Il s’agit de ce que l’on appelle « une dépendance directe de la Couronne Britannique », appartenant directement à Charles III, qui se trouve donc être le « seigneur de Man » et peut aller faire ce qu’il veut dans le premier jardin venu comme planter des asperges (en kilt) sans demander l’autorisation de qui que ce soit. Il va de soi que l’archipel bénéficie, à tous les sens du mot, d’une large autonomie politique et économique vis-à-vis de la dite « couronne » et du roi qui est en-dessous, et nous ne dirons pas que cette autonomie conduirait jusqu’à un état de paradis fiscal, étant très courtois.
Jersey et Guernesey furent françaises ou, disons, normandes, et firent partie, il y a longtemps, du duché de Normandie, dont le duc Guillaume a conquis l’Angleterre et fondé le royaume d’Angleterre à partir de 1066. Charles III est donc le chef d’État de Jersey et de Guernesey, et il est représenté sur chaque île par un lieutenant-gouverneur.
Mais, ce n’est pas aussi simple : Jersey, et ses récifs inhabités des Écréhou et des Minquiers, plus quelques autres îlots tout aussi inhabités, et Guernesey avec ses ilots comme Sercq et Aurigny, ne font pas partie du Royaume-Uni. Pas partie, vraiment ? Disons… sauf quand cela sent le roussi et, alors, ces îles ont recours à la défense et la représentation diplomatique britanniques. Cela s’est produit pendant la Seconde Guerre mondiale quand le Führer avait des démangeaisons furieuses d’invasion, par exemple. Charles III a le devoir de se souvenir qu’il est aussi et plus particulièrement britannique dans les circonstances graves, mais « en même temps » (comme on dirait dans le dialecte local de ce côté-ci de la Manche), Jersey et Guernesey n’ont jamais fait partie de l’Union européenne, même quand le Royaume-Uni en était membre.
Enfin l’île de Wight, non seulement par sa proximité géographique à 4 km de la Grande-Bretagne mais aussi par son histoire, est bel et bien anglaise, elle ! Rassurez-vous : nous n’avons pas inclu la Corse dans cette liste d’îles…

Le chemin de fer de l’île de Man : les locomotives durent 120 ans.
Construire des chemins de fer même dans une petite île, voilà jusqu’où va le souci de modernité et de service public du Royaume-Uni alors au sommet de sa puissance durant ce XIXe siècle finissant. Ouvert en 1873, le réseau ferré de Man est long de 25 km, et il est établi en voie étroite de 914 mm, soit trois pieds, un écartement plutôt pratiqué aux USA et pas en voie étroite de 1067 mm comme cela se fait en territoire britannique. Ce réseau ne sera jamais compté parmi les grands de ce monde. Mais il a rendu service et, aujourd’hui, il survit sous une forme touristique.
Une île, voilà qui est de tout repos pour une compagnie de chemins de fer : le risque de concurrence de la part d’un réseau voisin venant pousser une incursion est réduit, tout comme les possibilités de comparaison avec le matériel ou les performances d’autres compagnies pour les usagers…. Et, le réseau de l’île de Man peut ainsi, en toute tranquillité, assurer, pendant un bon siècle, un service régulier avec les mêmes locomotives !
La première ligne est ouverte en 1873 entre Douglas et Peel, sur la modeste distance de 11,5 miles, soit 18,434 km. Le jour de l’inauguration, la locomotive-tender du train, la « Sutherland », une 120 construite chez Beyer & Peacock, trouve le moyen de dérailler alors qu’elle effectue une manoeuvre en gare de Peel pour se remettre en tête du train, ceci se passant devant des officiels qui préfèrent regarder ailleurs tout en sifflotant. Mais 120 années après, la « Sutherland » est toujours en service, remorquant actuellement des trains touristiques, prouvant que le déraillement de 1873 ne pouvait laisser aller au pessimisme…

Mais voilà que la concurrence débarque quand même.
En 1879, une autre compagnie s’installe et construit une ligne de 16,5 miles, soit 26, 44 km, entre Ramsey et Saint-Johns, cette dernière localité étant sur la ligne de Douglas à Peel. Cette nouvelle ligne est ouverte en 1886, et assure un service voyageurs jusqu’en 1942, bien que, initialement, prévue pour le transport de minerai de plomb et d’argent.
Les relations entre les deux compagnies semblent s’arranger, et, en 1961, l’ensemble du réseau de l’île est en service, et reçoit même des autorails achetés d’occasion sur le réseau irlandais du Donegal qui est au même écartement. A partir de 1965, constatant que la clientèle est essentiellement formée de touristes, le réseau prend la décision d’une fermeture annuelle en hiver. En 1969 les lignes de Peel et de Ramsey sont fermées, et seule celle de Port-Erin continue à assurer un service touristique en été.

Le grand renouvellement de 1926.
Le numéro du 15 mai 1926 de la revue « The Locomotive Magazine » fait sa « une » sur les nouvelles locomotives du réseau de l’île de Man. Il s’agit d’une locomotive-tender à disposition d’essieux du type 120 produite par Beyer, Peacock & C°, ceci sur les spécifications d’un monsieur J. Bradshaw, directeur du matériel roulant du réseau. Elle ressemble beaucoup à celles qui sont en service depuis 1873, ce qui ne désorientera par trop les cheminots et les voyageurs de l’île… mais elle offre quelques différences dans la conception mécanique permettant de remorquer une charge de 30% plus forte.
Le bogie avant se distingue par une grande longueur de son châssis dont l’axe de pivotement vient se placer entre les roues du premier essieu, alors que les roues du bissel sont pratiquement sous la traverse de tamponnement. Cette disposition réduit l’angle que fait l’essieu avec le rayon des courbes, et évite donc l’usure des roues du bissel et des rails. Les cylindres ont un diamètre de 304,8 mm, et une course de 457,2 mm. Les roues motrices ont un diamètre de 931 mm. Longues de 7,27 mètres, ces locomotives ont un poids total de 23,6 tonnes.

Avec cette locomotive, le réseau de l’île de Man reçoit de magnifiques voitures à bogies, très proches de celles des grandes lignes britanniques contemporaines, mais de dimensions plus réduites et adaptées à la voie de trois pieds. Construites par Metropolitan Carriage de Saltley, ces voitures sont dans la grande tradition britannique : panneaux de bois, portières latérales multiples, filets rouges et jaunes, et décoration soignée sur fond d’une couleur bleue et crème. Les voitures ordinaires ont six compartiments, et elles ont une longueur de 11,1 m, une largeur de 2,1 m et une hauteur de 3,2 m. Il y a aussi des voitures mixtes-fourgon, construites dans les mêmes dimensions, mais avec trois compartiments pour les voyageurs, un compartiment pour le chef de train avec des vigies latérales, et un très grand compartiment à bagages. Ces voitures mixtes ont une dynamo et des batteries assurant l’éclairage d’un train complet par raccordement électrique des voitures entre elles. Elles comportent aussi une commande du freinage du train qui est donc laissée à l’initiative du chef de train, et non au mécanicien – ce qui est curieux.
Les caisses sont en bois de teck avec des panneaux d’acajou. Les compartiments ont des sièges rembourrés avec du crin de cheval et garnis de reps. Les parois intérieures des compartiments sont peints de manière à imiter le bois de chêne, et les plafonds sont peints en blanc. Chaque compartiment est équipé de deux ventilateurs de toiture.
Le châssis ainsi que l’ossature de la caisse sont en acier. Les bogies sont en acier embouti, et des ressorts à lames prennent appui sur les boîtes d’essieu. Les boîtes d’essieu sont en fonte moulée. Les roues sont en fer forgé, mais les jantes et les corps d’essieu sont en acier.


Enfin un matériel neuf pour les trains de marchandises a été livré. Montés sur deux essieux, longs de 4,2 m, ces wagons sont à châssis et caisse en bois de chêne, les seules pièces métalliques étant les supports des essieux, les ressorts de suspension, les organes de roulement et d’attelage, et les ferrures d’assemblage des caisses.

Un rapport avec la Norvège ?
Lorsque la Norvège construit son réseau national durant le XIXe siècle, elle pense, comme beaucoup de pays européens d’ailleurs, que la voie normale coûte cher, trop cher pour ce que le trafic de lignes secondaires pourrait laisser escompter. Alors elle choisit l’écartement de 3 pieds (914 mm) sans doute sur le conseil d’ingénieurs anglais l’ayant déjà installé dans l’île de Man. Cette pratique d’un écartement différent pour un réseau secondaire cohabitant avec un réseau en voie normale ne fait qu’aggraver les choses pour le réseau secondaire norvégien, puisqu’il faut effectuer de lents et coûteux transbordements de voyageurs et de marchandises dans les gares de jonction avec le réseau national, au lieu de, simplement, laisser les voitures et wagons continuer à rouler sur le réseau principal. Il est vrai que, pour un réseau complètement isolé, comme celui de l’île de Man, le choix peut être tout à fait opportun.
Les Norvégiens commandent leurs locomotives principalement à l’industrie anglaise et la firme Beyer, Peacock & C° livre à ce pays les mêmes locomotives-tender de type 120 circulant déjà sur le réseau de l’île de Man – ou, peut-être, fournit au réseau de l’île de Man le modèle déjà mis au point pour la Norvège.
Il est à noter que l’attelage utilisé sur le réseau de l’île de Man est présenté comme étant le « Norwegian hook », ou crochet norvégien : cet attelage comporte un plateau circulaire formant tampon et un crochet dont le croc est orienté vers le bas et qui peut, en se soulevant, venir accrocher automatiquement la partie fixe de l’attelage similaire d’un autre véhicule, à l’instar des attelages des trains-jouets Fleischmann ou Triang. Y aurait-il eu donc beaucoup d’échanges techniques entre les réseaux de Man et de Norvège ?
L’autre réseau de l’île de Man.
Lorsque l’on fait des recherches historiques sur le réseau de l’île de Man on est surpris par des contradictions dans les dates de création qui sont tantôt 1873 tantôt 1895, et l’écartement qui est tantôt de 3 pieds (914 mm), tantôt de 24 inches (610 mm), jusqu’à ce que l’on comprenne qu’il s’agit de deux réseaux complètement différents, le second se présentant comme étant, lui aussi, « LE » réseau de l’île de Man et entretenant la confusion.
Quel est ce deuxième réseau aussi mystérieux que le deuxième bureau des romans d’espionnage ? Connu sous le nom de « Groudle Railway », ce réseau est formé d’une petite ligne en voie dite « voie de soixante » en France, mais bien en écartement de 610 mm à l’anglaise. Il relie le site dit « romantique » de Lhen Coan (la jolie vallée) au Sea Lion Cove, sur le bord de mer. Il est construit en 1895 dans le style général des réseaux Decauville français de l’exposition universelle de 1889 avec leurs petites locomotives-tender et leurs baladeuses ouvertes.
C’est donc une ligne touristique, et elle a pour particularité d’avoir été construite par son propriétaire qui a amplement déclaré n’avoir aucune compétence en la matière, mais que la ligne a été jugée parfaite et irréprochable lors de sa réception par les pouvoirs publics !
Posée sur des traverses en bois, la voie est à flanc de falaise sur une partie de l’itinéraire, mais est dotée d’un contre-rail de sécurité pour éviter les déraillements du côté du vide… Les courbes sont au rayon de 20 mètres, et les rampes de 5 pour mille. L’unique locomotive, de type 120T, a été construite par les Ets Bagnall et porte le nom de « Sea Lion ». Les quatre baladeuses offrent 10 places chacune. La ligne transporte 100 000 personnes l’année de sa création. En 1921, la traction vapeur est abandonnée au profit d’un locotracteur à batteries.

Et encore un autre réseau sur l’ïle de Man : la seule ligne de montagne britannique.
Nous avons failli l’oublier, ce réseau de montagne… car les revues anglaises de l’époque ne le mentionnent pas, ne s’intéressant qu’aux chemins de fer sérieux. Ce n’est pas celui de la Jungfrau en Suisse avec ces 3454 mètres, certes, mais c’est celui du Snaefell qui tutoie de loin les bas nuages à 620, 60 mètres d’altitude ! C’est un chemin de fer électrique de montagne situé sur l’île de Man et reliant Laxey au sommet du mont Snaefell, en correspondance, à l’époque, avec la ligne du chemin de fer électrique mannois (Manx Electric Railway ou MER).
Le projet d’une ligne est à l’origine étudié par George Nobel Fell, le fils de l’inventeur du système Fell que nous avons déjà décrit sur ce site. Cette étude visait un chemin de fer à la vapeur utilisant un rail central Fell pour à la fois la propulsion et le freinage. Le tracé est approuvé par le Tynwald en 1888 mais le chemin de fer n’est jamais construit. Les Britanniques ne sont donc pas des Suisses, c’est prouvé.
En 1895, la « Snaefell Mountain Railway Association » (SMRA) ressuscite le projet et adopte l’itinéraire de la première étude. La ligne, en voie de 1067 mm (histoire de rompre avec l’écartement du réseau de Man) ouvre officiellement le 20 août 1895. La ligne est construite comme un chemin de fer électrique traditionnel, sans employer le système de traction Fell et avec une adhésion de rail normale pour les rampes. Mais le système de freinage Fell est utilisé pour la descente.
La société est mise en liquidation en 1900, et la « Manx Electric Railway Co. Ltd » nouvellement fondée arrive à la faire fonctionner jusqu’à la fin des années 1950 et le gouvernement de l’île de Man la rachète en 1957.
La ligne compte trois gares : Laxey, Bungalow et le sommet du Snaefell. Six automotrices sont construites en 1895. Le service fonctionne toujours aujourd’hui, mais en été, demandant 30 minutes par trajet. En hiver, vu le manque de clientèle et de skieurs, les fils aériens de la partie supérieure de l’itinéraire sont démontés pour éviter les dommages du gel.


Le réseau ferré de Jersey.
En 1864, le gouvernement éclairé de Jersey décide de doter l’île d’une ligne de chemin de fer. Cette ligne est construite à l’origine en voie normale : ce sera le « Jersey Railways & Tramways ». Ouverte dès 1870, la ligne relie Saint-Hélier jusqu’à Saint-Aubin par Saint-Brélade et dessert toute la partie sud de l’île. En 1873, une seconde ligne est inaugurée sous le nom « Jersey Eastern Railway ». Cette deuxième ligne cesse toute activité en 1929. En 1883, la ligne fusionne avec une petite ligne de chemin de fer qui reliait Saint-Aubin à la Vingtaine de la Moye sous le nom pompeux de « Jersey Railways Company Limited ». Le gag est que, en 1884, pour réduire le cout d’un nouveau prolongement du réseau, on en profite pour réduire la totalité des voies de l’île à un écartement de 1067 mm, le fameux « métrique colonial anglais » ou encore dit « métrique du Cap ».
En 1895, la compagnie est au pied du mur avec une belle faillite annoncée ! En 1896 elle est reprise, sous l’appellation de « Jersey Railways & Tramways » et elle est prolongée jusqu’à La Corbière Pavillion. La ligne sera fermée en 1937 à la suite de la concurrence routière et, surtout, après l’incendie qui détruit, en octobre 1936, une partie de la gare de Saint-Aubin ainsi que seize wagons.


Notons que, durant la Seconde Guerre mondiale, Troisième Reich nazi prépare l’invasion du Royaume-Uni le plus discrètement possible et s’intéresse aux îles anglo-normandes qui pourraient servir de relais, avant d’envahir les îles. C’est alors que l’Organisation Todt reçoit pour mission de reconstruire la ligne de Jersey, et avec un écartement de 1000 mm. « Pour 67 mm de moins, tu meurs… » En 1945, la ligne est définitivement fermée et, aujourd’hui, sa plateforme est devenue une piste cyclable et un chemin de randonnée. Triste fin…




Jersey a sa « Sentinel ».
Sans aucun doute, la « Sentinel » monte la garde sur le dernier bastion de la traction vapeur, alors en plein déclin : c’est une automotrice. Les automotrices ont d’abord été à vapeur, avant la vogue du moteur diesel, parce que le moteur à vapeur était le seul disponible. Si un grand nombre de petits constructeurs s’y sont lancés dans l’Europe entière, il semble bien que la firme « Sentinel Waggon Works » de Glasgow ait remporté le plus grand succès dans ce genre éphémère dans le monde britannique.
Les deux écossais Alley & Mac Lellan fondent la « Sentinel Waggon Works » en 1876 près de Glasgow, et ils installent ensuite leur firme à Shrewsbury, près de Birmingham. C’est ainsi qu’ils apportent avec eux un long passé de constructeurs de machines à vapeur de marine, mais aussi de tracteurs routiers et de camions à vapeur. Tous ces véhicules sont assez répandus, au Royaume-Uni, au début de ce siècle : dans ce pays industriel avide de motorisation, la firme a pu vendre plus de 10 000 camions à vapeur avant de se lancer dans la construction ferroviaire. En 1923, ils sont prêts pour la grande aventure.
Un « semi-remorque » ferroviaire !
La conception des autorails « Sentinel » est très astucieuse : il s’agit, en fait, d’un véhicule « semi-remorque » à la manière des camions actuels, comprenant un tracteur à deux essieux muni de son moteur, et d’une remorque qui prend appui sur le tracteur, d’une part, et, d’autre part, sur ses propres roues qui sont un bogie disposé à l’extrémité opposée.
Cette conception permettait, pensait-on, de faciliter les opérations d’entretien par séparation rapide du tracteur de la remorque, mais elle ne sera pas reprise sur l’intégralité de la production ultérieure. Outre le Royaume Uni, des « Sentinel » sont vendues dans le monde entier : la France, Jersey, la Belgique, le Danemark, la Roumanie, l’Inde, Ceylan, l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande, l’Égypte, le Nigeria en ont acheté.

La « Pioneer » et ses descendants.
Le premier modèle du genre, la « Pioneer », sort en 1923. Dotée d’un moteur à double cylindre horizontal et simple expansion et d’une chaudière verticale à tubes entrecroisés, le véhicule fonctionne très bien, en silence, et offrant le confort d’une voiture voyageurs classique. Roulant à 65 km/h en service, la « Pioneer » est économique et ne demande qu’un seul kilogramme de charbon au kilomètre, en dépit d’un service sur une ligne au tracé difficile et comportant de nombreux arrêts. Le succès est tel que l’on compte jusqu’à 130 voyageurs entassés tant bien que mal, alors que le nombre de places prévues est de 84…
Les réseaux anglais, et surtout le « London & North-Eastern Railway », s’intéressent à ces autorails qui prendront vite le nom de « Sentinel ». Environ 206 autorails seront produits jusqu’à la guerre et vendus à une cinquantaine de réseaux, dont celui de Roumanie, de Ceylan, de Belgique, d’Égypte, du Nigeria, etc…. Et même le réseau français du Paris-Orléans, bien que les ingénieurs français aient été très allergiques au matériel ferroviaire britannique, met en service une « Sentinel » en 1925, construite sous licence à Bordeaux, et engagée sur la ligne Bordeaux-Eymet, puis Guéret-La Châtre. Le réseau français du Nord, lui aussi, passe commande d’un engin en 1933, mais en reste là, les autorails à moteur diesel étant devenus très performants et économiques.

Une conduite toutefois guère économique…. dans un sens !
Un des problèmes, toutefois, est le chargement de la chaudière : un silo à chute de charbon, chargé par la toiture, alimente le foyer par un système à vis sans fin commandé par un volant que le mécanicien doit tourner si besoin est. Mais quand l’autorail fonctionne en marche arrière, le mécanicien prenant naturellement place dans la deuxième cabine de conduite située à l’autre extrémité de la remorque, plus personne n’est là pour surveiller le feu et actionner le volant, à moins que la compagnie ne prévoie un second agent – solution qui, évidemment, ruine tout avantage financier apporté par l’autorail. Finalement, pour de nombreuses raisons, les « Sentinel » ne survivront guère après les années 40, même pour ce qui est des dernières versions type « Nettle » du LNER qui sont très performants. Les “Sentinel” de Jersey ont disparu avec le réseau de cette belle île en 1937.
Le tramway de Guernesey : guère plus brillant et tout aussi éphémère.
Le chemin de fer de Guernesey se résume, modestement, à une unique ligne de tramway ouverte en 1879 et qui ferme définitivement en 1934. D’après la presse ferroviaire de britannique de l’époque (notre lecture de chevet), tout commence dans l’enthousiasme, comme d’habitude, et, le 2 mai 1877, les États de Guernesey garantissent une concession pour l’exploitation d’une future ligne de tramways. Le 13 août 1877, le Conseil confirme par ordonnance cette concession. Le 29 mai 1878, la « Guernesey Steam Tramway Company » est enregistrée officiellement à Londres.

Longue d’environ cinq kilomètres, en écartement de la voie normale, la ligne relie les villes de Saint-Pierre-Port et de Saint-Samson. Prévue pour des voyageurs, la ligne servira aussi au transport du granit. Elle est inaugurée le 6 juin 1879 avec la mise en service de deux trains à vapeur. Dès les deux premiers jours, plus de 2 000 personnes empruntent le train avec des billets de première, seconde et troisième classes.
La ligne est électrifiée dans les années 1890, et, le 20 février 1892, c’est donc un tramway électrique qui circule. Il est très londonien avec son impériale et même son double escalier d’accès. Le captage du courant se fait avec une simple perche latérale et un fil aérien bordant la voie. Mais l’électrification ne peut rien devant la diminution et dès la fin du XIXe siècle, la ligne de chemin de fer est concurrencée par l’omnibus tiré par des chevaux. La désaffection du public conduira à la fermeture définitive de la ligne le 9 juin 1934.

Les chemins de fer de l’île de Wight : toujours debout.
Cette île est la seule des quatre à avoir conservé des lignes de chemin de fer en service, mais aussi sous une forme curieuse qui mérité d’être signalée en utilisant des anciennes rames du fameux « tube » londonien qui seules pouvaient se faufiler dans les très étroits tunnels de l’île.
Tout a commencé par un premier chemin de fer sur une distance de 2 500 yards (2 300 m). Il a été ouvert en 1833 sur le domaine Nash près de Yarmouth en vue du transport de matériaux de fabrication de briques vers et depuis une jetée sur le Solent. La première ligne ferroviaire conventionnelle est celle de Cowes à Newport. La « Cowes & Newport Railway Company » commence la construction de sa ligne en 1859 et est mise en service en juin 1862.

Peu de temps après, la compagnie « Isle of Wight Railway » (IWR) construit sa première ligne de Ryde à Shanklin , ouverte en 1864, puis elle ouvre une extension de sa ligne principale pour atteindre Ventnor en 1866. En 1871, le tramway de Ryde a été prolongé pour rejoindre la ligne de chemin de fer à Ryde St John’s Road .
En 1875, le chemin de fer de l’île de Wight (Newport Junction) a ouvert la partie principale de sa ligne de 10 milles entre Sandown et Newport. En 1877, les compagnies anglaises du « London, Brighton and South Coast Railway » et le « London and South Western Railway » obtinrent une loi du Parlement pour compléter le réseau de l’île.
Le réseau est terminé par la ligne Ventnor West Branch du « Newport, Godshill and St Lawrence Railway », prolongée jusqu’à Ventnor West en juin 1900. Cette ligne est la dernière à être construite sur l’île.


Wight a failli ne plus être une île.
Une liaison ferroviaire fixe avec le continent a été autorisée par le Parlement en 1903. Le « South West and Isle of Wight Junction Railway » devient un projet qui demande un tunnel long de deux milles et demi, projet qui fut approuvé en 1903, 1904 et 1909, puis abandonné en raison du déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Au début du XXe siècle, l’île possède un réseau de 89,3 km, qui est à la fois un réseau ferroviaire classique local et un prolongement des services de ferry entre l’île et la côte sud de la Grande-Bretagne. Si, comme nous le savons, ces lignes ont été ouvertes par plusieurs petites compagnies locales entre 1862 et 1901, elles ont été modernisées après le « Grouping act » de 1923 sous l’égide du « Southern » qui est un des quatre grands réseaux nationaux britanniques nés de cet événement.
Le « Southern » sauve le sud.
Après le « Grouping » créant, par fusion, quatre grandes compagnies nationales à partir de janvier 1923, le « Southern Railway » reprend toutes les lignes de l’île et remplace les vieilles locomotives et le matériel remorqué. Vingt-trois locomotives de classe O2 sont transférées sur l’île depuis les anciens services de banlieue du «London and South Western Railway », et de nombreux autocars sont été amenés, ayant appartenu au « London, Chatham and Dover Railway » et au « London, Brighton and South Coast Railway ».
Le « Southern Railway » apporte des modifications au tracé des voies comme l’installation d’une double voie de Brading à Sandown, de nouvelles voies d’évitement dans les gares de Havenstreet et Wroxall et des travaux à Smallbrook Junction . Un nouveau train nommé appelé “The Tourist” va de Ventnor à Freshwater via Sandown, Merstone et Newport. C’est le seul train de luxe sur l’île et voyage sur les différentes lignes des anciennes compagnies ferroviaires de l’île de Wight.
Les services de fret se limitent en grande partie au transport du charbon, et la plupart des revenus des compagnies ferroviaires de l’île proviennent du trafic des voyageurs, dont les ventes varient considérablement entre la saison estivale chargée et le calme relatif de l’hiver.
Toutefois peu de lignes sur l’île résistent à la modernité et presque tous ferment entre 1952 et 1966, sauf le « Island Line », longue d’environ 13 km, temporairement fermée en 1966, et reconstruite pour des services de trains électriques à partir de 1967 et dont il est question ci-après.
Le « Tube » se recycle en pleine nature.
La “Island Line” (« ligne de l’île ») est l’unique ligne de chemin de fer restée en activité normale de l’île de Wight. Longue de 8,5 miles (environ 13,7 km), elle relie Ryde (gare de Ryde Pier Head) à Shanklin dans la partie est de l’île, exploitée par le « Stage coach Group ». À cause du gabarit très restreint d’un tunnel situé à Ryde, les véhicules, pourtant au petit gabarit standard britannique, ne peuvent pas circuler sur la ligne. Alors on a recours, chose très normale pour des Anglais peut-être, aux anciennes rames type 483 du métro de Londres, datant de 1938, modernisées, puis parvenues à l’âge d’une retraite bien méritée. Le plafond arrondi et très bas, interdisant tout port d’un chapeau, a fait leur réputation.
Pour les accueillir, la ligne est électrifiée par troisième rail en 1967. Les rames du métro londonien, repeintes en couleurs que les Beatles ne désavoueraient pas, assurent la correspondance avec les ferries en provenance à Ryde Pier Head. Notons que cette ligne, décidément bien utile, assure, à Smallbrook Junction, la correspondance avec le « Isle of Wight Steam Railway », ligne touristique, réouverte sur une portion de la ligne de Newport à Wootton. Aujourd’hui des rames de la série 484 remplacent les 483, et offrent un espace intérieur un peu plus grand. Tout n’est donc pas perdu.



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