Le « Night Ferry » : rouler et naviguer, en rêvant que l’on voyage.

Voilà, pour ce 400e article paru sur le site “Trainconsultant” (déjà ?), un train qui, depuis 1936, a intrigué des générations…. Mais il a eu une vie plutôt discrète, d’abord parce que cet oiseau de nuit, peu de gens ont pu le photographier. car il ne roulait que pendant la nuit. Tout au plus, un rare retard lors d’une arrivée matinale à Londres ou à Paris a permis, en été, de faire quelques clichés par des amateurs ignorant qu’ils faisaient alors des trésors.

L’aventure était-elle grandiose ? Peut-être pas, si on la compare à celle d’un « Orient-Express » ou d’un « Train Bleu ». C’était un train commode, logique, celle du gain de temps et de la possibilité d’arriver tôt le matin sur un lieu de travail sans perdre de temps pour le voyage et sans perdre son temps à contempler des paysages aussi magnifiques fussent-ils. Le « Night Ferry » se présentait sous l’angle de l’utilité, du gain de temps, du refus du dépaysement construit, kilomètre par kilomètre et en perdant du temps, d’un « vrai voyage » : voilà des qualités qui n’inscriront pas ce modeste train de nuit au Panthéon des grandeurs ferroviaires. Et, c’est vrai, ce train n’a existé qu’entre 1937 et 1980, alors que d’autres grands trains de luxe ont dépassé le siècle, construit une légende, marqué leur époque.

S’installer dans une voiture-lits luxueuse, à la gare Victoria à Londres, ou à la gare du Nord à Paris, la sentir partir en douceur sur des rails, puis la sentir rouler doucement sur un bateau, entendre la mer et être bercé par les mouvements du navire, la sentir ensuite rouler de nouveau sur la terre ferme anglaise ou française, et débarquer, par un matin brumeux, sur les bords de la Tamise, ou, par un matin un peu moins brumeux, sur les bords de la Seine, voilà une nuit bien remplie, mais vide de toute acquisition en matière de savoir géographique et de souvenirs émotionnels.

Voilà les businessmen des années 1930 pressés et satisfaits, comme le sont aujourd’hui, avec Eurostar, les milliers de voyageurs qui s’engouffrent dans un tunnel, les yeux et l’esprit fixés sur un smartphone ou lisant un journal financier : c’est plus efficace, mais ô combien moins romantique.

Une belle affiche datant de 1937, réalisée par la CIWL, et la compagnie du Nord et le « Southern Railway ». Ici, on va de Paris à Londres. La femme endormie incarne la confiance dans la technique qui fait gagner du temps mais nullement le désir d’apprendre et de voyager. Le bateau est comme réduit à un fantôme abstrait : peu importe le voyage en mer. On notera que le nom de “Night Ferry” n’est pas encore utilisé.
Ici aussi, en 1936, le nom de « Night Ferry » n’apparaît pas encore. Le graphisme de cette affiche est intéressant, mais l’absence de passerelle est surréaliste.
La CIWL semble être la première des trois compagnies à utiliser officiellement le nom de « Night Ferry ». Ce document n’est pas daté ni signé, mais donne un sens à ce que l’on n’appelle pas encore la « com » du train, mais sa « réclame ».

Le train qui a même fait rêver Hitler.

Et pourtant, ce train, dans les dernières années 1930, a sa légende et sa célébrité. Même Adolphe Hitler avait décidé, une fois l’invasion de l’Angleterre rondement menée et réussie, de venir à Londres par le « Night Ferry », car le Führer aimait voyager en chemin de fer, et ne se risquait qu’à contrecoeur en avion ou en bateau. Bref, ce rêve était déjà celui d’éminents démocratiques actuels comme un certain monsieur VP de Moscou, ou un certain monsieur KJU de Pyongyang qui, par la force des choses, préfèrent, eux aussi, le train sans être de grands « ferrovipathes » reconnus et abonnés aux revues spécialisées.

Pour le grand démocrate allemand, il s’agissait surtout de venir au Royaume-Uni à bord de ce train mythique dans les années 1940 pour renforcer l’art de la mise en scène dramatique qu’affectionnait particulièrement le régime nazi et démoraliser les Britanniques. Sur ce dernier point, ce fut raté, car pour démoraliser un Britannique, il faudrait plusieurs siècles de guerre et, en tous cas, autre chose que de la « com ».

Hitler « emprunte » les voitures-lits 3788 à 3799 de la série « F » pour disposer d’un train à la hauteur de son exigence de neuf et de confort, et il interdit à l’armée allemande de démolir le quai spécialisé de Dunkerque servant à l’embarquement des voitures du « Night Ferry », et l’armée allemande, obéissante, fit bien sauter tout le reste du port de Dunkerque, mais respecta le quai qui survécut jusqu’en 1976. Cette année-là, en effet, de nouvelles installations de transbordement furent mises en service à Dunkerque – Ouest, avec une rampe d’embarquement indépendante des marées.

Pour en revenir à lui, jamais le « Führer » ne réalisera ce rêve, échouant là où déjà Napoléon avait préféré sagement renoncer, et laissant au démocrate historique Guillaume le Conquérant le titre envié de dernier envahisseur de l’Angleterre. En 1940, et avant l’engagement des USA et de l’URSS dans la guerre, le Royaume-Uni se retrouva seul, et bien seul, en face de l’Allemagne nazie, rappelons-le, mais ne perdit jamais son légendaire courage.

« Continent isolated. » 

Autre curiosité : ce train est bien le premier vrai train international britannique. Certes, on peut considérer, d’un point de vue strictement britannique et théorique, qu’un train allant d’Angleterre en Écosse ou au Pays de Galles est par définition locale « international ». Mais, il ne sort ni de Grande-Bretagne, ni du Royaume-Uni, et jamais un douanier n’a examiné les passeports et les bagages sur ces frontières tout aussi discrètes que galloises ou écossaises … Donc le « Night Ferry » est le premier train britannique à franchir les frontières du Royaume-Uni et à s’aventurer dans ce que les Britanniques s’entêtent à appeler « le reste du monde ». En effet, un jour de forte tempête sur la Manche (dite « English Channel » bien sûr) un journal anglais avait mis à la « une » l’immortel titre : « Continent isolated. » 

Un premier train britannique à ….

Si le « Night Ferry » est donc le premier train britannique à effectuer un parcours réellement international, il est aussi le premier train britannique à être muni de freins à air comprimé, car les voitures se devaient d’être munies conjointement des deux systèmes en vigueur de part et d’autre de la Manche qui sépare, il faut le dire, deux mondes très différents sur le plan technique.

C’est, enfin, le premier train à faire pénétrer des voitures voyageurs de construction étrangère sinon étrange sur le sol britannique. Ces voitures sont construites selon les normes britanniques : chose qui ne fut pas aisée, vu la différence entre le gabarit anglais et le gabarit continental, le matériel anglais étant notamment plus bas et moins large.

C’est ainsi que ce train démarra en 1936, remorqué par ce que le Royaume-Uni avait de mieux : une locomotive de type 220, une disposition datant du XIXe siècle, alors que les réseaux européens connaissaient, depuis les années 1910, le type 231, ou « Pacific ». Pays de petites locomotives, le Royaume-Uni se doit même, pour le « Night Ferry », d’en mettre deux en tête du train pour obtenir une vitesse honorable sur le court trajet de Londres à Douvres.

Un des premiers « Night Ferry » à son arrivée à Londres Victoria, au petit matin, en double traction avec deux petites locomotives type 220, série « L » du Southern Railway. Ces locomotives ont été reproduites par Hornby en écartement « 0 » à l’époque. Derrière trois fourgons à deux essieux type Dd2 « Nord » se trouvent les voitures-lits type « F » de la CIWL. Cliché H.C.Casserley.
Le « Night Ferry » à Dunkerque, le 12 octobre 1936, donc le jour de l’inauguration. La « Pacific » Nord 3.1253 « fait » le train. Une voiture mixte-fourgon « Express » Nord assure le transport des voyageurs non CIWL, et du chef de train. Sur la gauche,un beau fourgon D2d Nord bien astiqué avec, même, un toit et une guérite de couleur claire qui ne durera pas pendant le service. Doc. Boucher, CAV de la SNCF.

Le train qui transportait aussi des mystères.

Certainement, ce train a fasciné les gens de son époque, car il portait en lui une sorte de mystère : celui de voitures-lits traversant la Manche sans prendre ce fameux tunnel que l’on espérait depuis des lustres. Il représente à la fois un luxe inaccessible et un exploit technique, et, à sa manière, il gomme les fatigues d’un trajet maritime qui n’a jamais été une partie de plaisir, vu le caractère ombrageux et tourmenté de la Manche.

C’est en 1936 que l’aventure commence. L’entreprise a été montée conjointement par le réseau du « Southern », qui est demandeur du côté anglais, et le réseau du « Nord », du côté français. La CIWL, qui sait faire, fournira les voitures. Pour un départ à 22h de Paris, on est à Londres à 8h40, et en sens inverse, on part de Londres à 22h et on arrive à 9h10, soit un trajet d’une dizaine d’heures environ. Le principe consiste à faire rouler les seules voitures-lits directes sur un ferry-boat et à assurer aux voyageurs ordinaires un transbordement classique et un voyage ordinaire sur le navire.

L’horaire d’été du « Night Ferry » sur le « Cooks » de 1973. On notera que des voitures directes pour la Belgique, d’une part, et, d’autre part, pour l’Italie par la Suisse, sont présentes dans le train.

Pour cela, il a fallu aménager les ports de Dunkerque et de Douvres, choisis parce qu’ils ont les installations demandant le moins de travaux, notamment des bassins fermés hors marées permettant au ferry de rester en permanence à une hauteur ne différant pas d’environ 1,85 m par rapport à celui des quais, indépendamment de l’état d’enfoncement du navire variant de 1 mètre avec la charge du train. En effet, il est bien connu que le matériel ferroviaire ne peut rouler sur de fortes déclivités : avec ces valeurs, on reste en dessous de 35 pour 1000 pour les voitures-lits. Mais il faut quand même une passerelle longue de 54 m pour assurer cette rampe maximale.

Il faut construire des voitures-lits spéciales pouvant s’inscrire dans le gabarit britannique qui est plus restreint que celui des réseaux continentaux, bien que l’écartement des rails soit le même. Longues de 19,20 m seulement, larges de 2,65 m et hautes de 3,93 m, elles se distinguent nettement des autres voitures-lits de la CIWL longues de 23,45 m, larges de 2,90 m et hautes de 4,22 m. Intérieurement, elles ont neuf compartiments pouvant offrir la formule « single » pour une personne, ou accueillir deux personnes, ce qui porte la capacité de la voiture à 18 places couchées.

À gauche et dans les années 1930 : les gabarits britanniques, réseaux et métro de Londres. À droite : les gabarits français, réseaux et métro de Paris.

Petites, elles sont, en tous cas, très lourdes puisque accusant 50 tonnes sur la bascule. Elles ont des organes de choc et de traction du type continental, mais deux systèmes de freinage, un de type anglais (frein à vide) et un de type continental (frein Westinghouse à air comprimé). Elles peuvent rouler à 140 km/h.

Ces voitures sont construites en 1935, 1936, 1945, et 1952. Elles sont au nombre de 25 seulement, occupant les tranches de numéros 3788 à 3799, 3800 à 3805 et 3883 à 3989. La SNCF en reprendra 20 à son effectif, avant qu’elles ne soient radiées du service en 1981.

Pour le début du service, 12 voitures-lits type « F » (numérotées 3788-3799) sont construites par ANF Industrie pour la CIWL selon une conception adaptée au gabarit de chargement britannique en 1935/36. Six autres (3800-3805) sont construites en 1939 par la Compagnie Générale de Construction à St Denis , mais ne furent mis en service qu’en 1946.

Sept dernières voitures CIWL (3983-3989) sont construites en 1952, également dans les ateliers de la CGC de Saint-Denis, pour remplacer les pertes de guerre. Le National Railway Museum de York a conservé la voiture N°3792, tandis que le « Bluebell Railway », à East Grinstead, possède la N°3801.

Outre des voitures-lits, le train comprend normalement deux ou trois fourgons à bagages SNCF sur lesquels nous revenons plus loin dans l’article.

La voiture-lits type « F » N°3804 de la série 3800 à 3805 construite en 1937. Document M.Verlinden.

Itinéraires et compositions d’un train peu ordinaire.

Le « Night Ferry » est ce que l’on appelle un « boat-train» (ou « train-bateau ») international reliant Londres Victoria à Paris Gare du Nord. Ce train traverse la Manche sur un bateau dit « train-ferry ». Il roule dès la nuit du 14 octobre 1936 jusqu’en septembre 1939, date à laquelle il cesse tout service suite à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. Le service reprend en 1947, et cesse en 1980, assuré par la « Compagnie Internationale des Wagons-Lits » jusqu’au 1ᵉʳ janvier 1977, puis par « British Rail ».

Une fois chargé sur le ferry-train, le train est scindé en deux, et chargé de manière égale sur les voies des côtés bâbord et tribord du navire, afin de maintenir son équilibre. Il part et arrive normalement au quai 2 de Londres Victoria , où les contrôles douaniers sont effectués.

Les voitures-lits de première classe et les fourgons à bagages « Nord » font tout le voyage. Le train anglais de Londres Victoria à Douvres et le train français de Dunkerque à Paris Gare du Nord incorporent des voitures normales de seconde classe de leur propre parc. Les voyageurs de ces voitures ordinaires y montent et en descendent comme des voyageurs ordinaires prenant le bateau dans le port. Le train anglais utilise, pour ses voitures ordinaires, l’une des deux voitures standard Mark 1 dite « Brake Composite » (ou « mixte-fourgon »), qui a été modifiée avec une intercirculation à soufflets de type français à une extrémité. Cela fournissait le compartiment du garde en Angleterre et permettait au garde de traverser le train.

À partir de novembre 1936, entre Victoria et Douvres, une voiture-restaurant de la « Pullman Car Company » britannique est ajoutée pour servir le dîner et le petit-déjeuner. Après la nationalisation de 1948, alors que les chemins de fer britanniques, ou « British Railways » ont succédé au « Southern Railway », une voiture-restaurant « British Rail » a repris les fonctions de restaurant à partir de janvier 1948. Notons que ce service reste toujours dirigé par Pullman jusqu’en 1962, date à laquelle Pullman fusionne avec « British Transport Hotel and Catering Services ». En France, une voiture-restaurant était incorporée au train : c’était initialement une voiture CIWL de 1926 construite par la « Birmingham Railway Carriage & Wagon Company », font remarquer fièrement les amateurs britanniques …

L’Europe (du nord) des « ferry-boats » en 1958, d’après un document paru dans la Revue Générale des Chemins de Fer mis en couleurs par nos soins. Le « Night Ferry » est loin, très loin, d’être seul. En rouge : la vingtaine de lignes appartenant et exploitées directement par des compagnies de chemin de fer. En noir pointillé : les tout aussi nombreuses lignes appartenant à des compagnies maritimes. En trait noir fin continu sur le sol : les grandes lignes de chemin de fer classiques.

Après la guerre, plus rien ne sera comme avant…

Après avoir cessé avec le début de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, les services reprennent le 15 décembre 1947. À partir du 2 juin 1957, une tranche directe à destination et en provenance de Bruxelles est attachée ou détachée à Lille, et la SNCB belge prend donc place aux cotés de la SNCF et des « British Railways » . Au cours des saisons d’hiver 1967/68 et 1968/69, une tranche directe quotidienne à destination et en provenance de Milan, en Italie, et de Bâle , en Suisse, est ajoutée, où des correspondances vers les stations de ski ont été assurées. La SBB-CFF suisse rejoint donc les autres partenaires.

Notons que le « Night Ferry » est remorqué par des locomotives électriques « class 74 » prenant leur courant sur un 3e rail conducteur latéral, façon métro parisien… À la suite de l’électrification aérienne de la ligne principale du sud-est anglais entre Sevenoaks et Dover-Marine en 1961, le train délaisse ses diesel type BB « class 31», et il est confié à des locomotives électriques BB « class 71 » . Dans ses dernières années, des locomotives diesel dites « class 33 » ou des locomotives diesel-électriques « class 73 » sont mises en tête du train pour des raisons assez difficiles à comprendre. En France, la traction est assurée, dès les débuts, par des prestigieuses et puissantes Pacific « Chapelon Nord » 231-E, puis, une fois l’électrification du réseau du Nord faite à la fin des années 1950, ce sont de brillantes BB-16000 qui assurent une traction exemplaire.

Le « Night Ferry » vu dans les années 1960 à Schorncliffe, derrière la « Pacific » Bulleid N°34074 du « Southern ”. Le fourgon Nord est juste derrière le tender, fraternisant avec un fourgon « Southern ».
Très belle photographie montrant le « Night Ferry » circulant avec un 3e rail latéral conducteur 750 volts, comme le métro… Locomotive « class 71» N°5000-5023″. Nous sommes à Victoria Station, en 1965. Doc. Guy Laforgerie, collection Lepage. On remarquera trois fourgons Nord en tête du train.
Locomotives électriques « class 71 » avec 3e rail latéral 750 volts sur le « Southern » anglais, vues par Eric Duvoskeldt, qui connaît bien le « Night Ferry », auteur, avec Chris Elliott, d’un livre sur ce train. Photographie prise dans les années 1970 à Tonbridge, ambiance « so british » avec pose des rails et appareils de voie complexes bien anglais avec traversée oblique proche de la pointe de coeur.

Les « F » ont pris un coup de vieux.

Dans les années 1970, les voitures type « F » accusent leur âge… Elles ne sont pas climatisées et pendant le voyage, à l’intérieur du navire, elles deviennent particulièrement chaudes en été. La mise en place de chaînes sous les voitures pour les solidariser avec le pont du navire, voilà un concert de musique douce, pas composée par Mozart, qui réveillait inévitablement la plupart des voyageurs au milieu de la nuit. Âgées de plus de 40 années, les voitures sont, de loin, les doyennes circulant sur le réseau britannique et européen.

Les chaînes retenant les voitures du « Night Ferry » : une « Petite musique de nuit », mais pas composée par Mozart, et que les voyageurs, subitement réveillés, n’apprécient guère. Des wagons réfrigérants font aussi partie du voyage : on remarque leur étroit gabarit britannique, même pour des wagons français comme ceux du PLM qui emportent des quantités immenses de fruits provenant du sud.
Et puis, si l’on a été réveillé par « la petite musique de nuit », on se consolera avec un somptueux petit-déjeuner Pullman qui comprend même des alcools et des cigares.

À partir du 1ᵉʳ janvier 1977, British Rail reprend l’exploitation du train de la CIWL. La SNCF a racheté sept voitures couchettes construites dans les années 1950 tandis que d’autres sont louées à la CIWL, certaines étant repeintes dans la livrée bleue standard des voitures-couchettes de la SNCF, comprenant le logo de la SNCF et une bande blanche proéminente le long de la carrosserie. On pense alors à utiliser des voitures-couchettes « British Rail Mark 1 » construites à la fin des années 1950, mais celles-ci sont également dépassées et l’idée est abandonnée.

La concurrence des services aériens a également affecté le train. Le « Night Ferry » a été retiré le 31 octobre 1980. Jusqu’au lancement du service Eurostar le 14 novembre 1994, le « Night Ferry » est le seul train de voyageurs direct entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale. Rappelons que les voitures et les fourgons du train de jour « Flèche d’or-Golden Arrow » n’ont jamais traversé la Manche.

Des voitures-lits type « F » à Dunkerque, poussées sur la passerelle en direction du bateau (d’où la photo est prise) par une locomotive à vapeur que l’on voit au fond, derrière les fourgons « Nord ». Document SNCF/RGCF.

Les fourgons.

Les fourgons ? Disons : LE fourgon. C’est un fourgon type Dd2f Nord français, il mériterait un livre à lui seul. Très étriqué, étroit, bas, sur deux essieux bien espacés, il apparaît, à partir de 1928, derrière le tender de toutes les locomotives y compris des « Pacific » Nord, et en tête de tous les trains de la compagnie. Curieusement construit au gabarit anglais alors qu’il est utilisé sur l’ensemble du réseau, il devient le « must » du « Night Ferry ».

Le « Night Ferry » n’a pas été gâté comme le fut le train « Flèche d’or », qui, lui, a ses propres fourgons CIWL caractérisés par leurs conteneurs à bagages qui sont à décharger à la grue pour être posés sur les navires, pour éviter la détérioration des bagages. Mais, à Douvres, ces conteneurs, au lieu d’aller à Londres, restent sur place et leurs bagages sont déchargés et rechargés à la main dans des fourgons du « Southern » pour aller à Londres : c’est la logique administrative dans toute sa splendeur.

Le fameux fourgon Dd2 Nord du « Night Ferry », portant fièrement son ancre marquant son aptitude à circuler au Royaume-Uni, ce qui n’était pas le cas de tous les fourgons Nord. Du genre « dur à cuire », ce robuste fourgon fera une longue carrière sur le réseau.

Et, pour les modélistes ferroviaires ?

Ils n’ont pas été gâtés, et devront se contenter, trente ans après la création du vrai train, d’un coffret de type jouet. En 1962, la grande marque française Jouef s’intéresse à ce train, en proposant, dans sa sous-marque « Playcraft », visant le marché britannique, un coffret très bas de gamme « Night-Ferry » comportant une « Pacific » Nord et trois voitures-lits type « F » de la CIWL, le tout avec les attelages anglais compatibles avec les marques Hornby et Triang. A cette maigre pitance, il ne manque que le fourgon Nord, très finement produit à partir de 1971 par l’artisan français MMM-RG devenu une rareté de collectionneur aujourd’hui. Enfin la marque « LS-Models » a produit de magnifiques voitures en « HO » dans les années 1990 qui viennent tardivement faire le bonheur des modélistes.

Le coffret « Playcraft » représentant, a minima, le « Night Ferry » en « H0 ». Noter les attelages de type purement britannique.

Les bateaux.

Un bateau dit  « train-ferry » est utilisé entre Douvres et Dunkerque pour transporter les voyageurs pendant leur sommeil. En général, il s’agit toujours de l’un des trois ferries du « Southern Railway » : soit le « Hampton Ferry », le « Twickenham Ferry » ou le « Shepperton Ferry », construits au milieu des années 1930 par la société Swan Hunter à Newcastle. Deux navires étaient normalement en service, le troisième étant en réserve. Ces navires d’origine sont retirés entre 1969 et 1974.

Le « Shepperton» , en 1936. Document RGCF.

Il y avait également un bateau « train-ferry » appartenant à la SNCF, le « Saint-Germain », construit en 1951, et certains bateaux « car-ferries » construits plus tard, dont le « Vortigern » , ont également des voies ferrées et sont utilisés sur le service.

Aux ports de Douvres et de Dunkerque, des quais fermés spéciaux avec des écluses maritimes ont été construits afin que le ferry-train puisse être maintenu à un niveau raisonnablement constant par rapport aux voies ferrées sur terre. Il était impossible, pour les véhicules ferroviaires, de gravir la pente raide que les véhicules routiers devraient parfois emprunter pour traverser une liaison de car-ferry lorsque la marée est à son maximum. À marée haute, le navire pouvait entrer ou sortir directement du quai, mais à marée basse, l’eau devait d’abord être évacuée avant le départ, comme une écluse de canal, et à l’arrivée, l’eau devait être pompée pour amener le navire à niveau de la piste. Il y avait une station de pompage à côté de chaque quai pour effectuer ce processus assez long. En revanche, les ferries qui reliaient autrefois certaines parties du Danemark et de la Scandinavie n’ont pas rencontré de tels problèmes, car le marnage dans la mer Baltique est bien inférieur à celui du détroit du Pas de Calais.

Une passerelle du port de Dunkerque, vue dans les années 1960. Les manœuvres se font toujours en traction vapeur.
Les principes techniques d’une passerelle sont expliqués, en 1938, par la Revue Générale des Chemins de Fer. Nous sommes à Dunkerque. Le problème est bien la différence de hauteur des eaux qui varie de façon permanente, ainsi que l’enfoncement du navire dans l’eau en fonction de la charge qui varie en cours de chargement ou de déchargement.

Deux navires sont nécessaires pour le service chaque nuit, et le voyage dure environ trois heures. Les navires reviennent généralement de jour, transportant uniquement des wagons de marchandises. Sur certains passages, des véhicules routiers sont également transportés à côté des trains, les ponts des navires étant au niveau des voies ferrées encastrées. Les wagons sont enchaînés sur quatre voies parallèles dans la cale du ferry.

Chargement d’un train de marchandises en 1936 à Dunkerque. Ce fait est moins connu : les marchandises aussi voyagent sur ces navires. Les réseaux français mettent en service un parc de 1340 wagons couverts, conçus au gabarit britannique. Document RGCF.
En 1948, la Princesse Elizabeth et le Duc Philippe d’Édimbourg ont pris le « Night Ferry » pour une visite officielle en France. Le vendredi 14 mai à 3 h 30, le navire « Hampton Ferry » est amarré en gare maritime de Dunkerque et la voiture-lits du couple princier a été immédiatement dirigée en douceur vers le train spécial qui attend à proximité du bateau. La voiture-lits est ajoutée à une voiture-salon empruntée au train du président de la République.  La « Pacific » Chapelon Nord 231-E-36 est en tête du train. Notons que, après cette démonstration écologique d’avant l’heure, le couple princier fera son retour en avion…Ce beau cliché et les informations de la légende sont dus à Eric Duvoskelt que nous remercions.

Parallèlement à la suppression d’une grande partie de l’ancienne infrastructure ferroviaire de Dover Marine (rebaptisée Dover Western Docks en 1979), le quai fermé « Night Ferry » de Douvres a été comblé et est maintenant utilisé comme « terminal de granulats» (sic)..

Le port de Dunkerque, en 1905. Document Cie du Nord.
Très beau plan du port de Dunkerque, en 1936. Le « ferry-boat » du « Night Ferry » est dans la «darse » N°5. Document RGCF.
Plan du port de Dunkerque, années 1950. En rouge, les voies de la SNCF. Document R. Quémy dans la géographie H.Lartilleux, éditions Chaix.

Le dernier espoir avec « Night Star ».

Une tentative de résurrection des services de couchettes britanniques et continentaux sous la marque « Night Star » est tentée après l’ouverture du tunnel sous la Manche en 1994 avec des voitures nouvelles spécialement construites. Mais l’avion et surtout des compagnies aériennes bon marché dans les années 1990 tuent rapidement cette étoile de nuit … filante. Les voitures spéciales, qui n’ont jamais été utilisés en Europe, sont finalement vendues à « Via Rail » au Canada.

Et aujourd’hui ?

On peut encore aller se promener, avec nostalgie, sur les quais du port de Dunkerque, mais il n’y a plus de voitures-lits type « F » en partance pour l’Angleterre. Toutefois, pour ceux qui veulent prendre un train pour aller à Londres et qui n’aiment ni les tunnels, ni les avions, ni les automobiles, et qui veulent tranquillement respirer un peu d’air marin en regardant la mer, il existe toujours des trains classiques de jour reliant Paris à Calais, et il y a beaucoup de navires en partance pour l’Angleterre, et acceptant des passagers.

Un des derniers départs du « Night Ferry » à Londres-Victoria, en 1980, avec une locomotive diesel « class 33 ». Une voiture mixte-fourgon « Mark 1 » est en tête du train, mais reste en Grande-Bretagne. Derrière elle : les voitures-lits CIWL type « F ». Document Millbrook House.
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