Les trains du Second Empire en France.

Cette époque des années 1850 et 1860, en plein Second Empire et avec Napoléon III dit « Badinguet », est le premier âge d’or du chemin de fer et c’est l’âge du passage de notre pays vers la puissance économique et industrielle avec un courant qui durera jusqu’à la fin du siècle. Le chemin de fer a un monopole absolu sur les transports terrestres, il est techniquement au point, sa puissance politique, économique, industrielle fait de lui un bâtisseur d’empires et de civilisations. Rien ne se fait sans lui, tout se fait par lui. Le rang d’un pays, sur le devant de la scène mondiale, se mesure à la hauteur et à la beauté de son réseau ferré et la splendeur multipliée des grandes gares gothiques dans les capitales européennes sont, pour les esprits ouverts de l’époque, autant de cathédrales pour l’humanité nouvelle et pour le culte de la technique triomphante.

En 1855, peu après la création du Second Empire, pendant un beau dimanche, les épouses viennent voir « leur homme » sur le lieu de travail au dépôt du Chevaleret, à Paris. Au premier plan, une 111 du PO, la N°656, une locomotive de vitesse à roues libres qui finit sa carrière, comme le montre son état. La technique de la photographie, inventée pendant les années 1820-1830, est déjà assez populaire et répandue vers 1850 pour que l’on se soucie de photographier les lieux de travail et les locomotives.

Les études, les essais, les discussions menant à la création des chemins de fer en France ont entraîné des débats parlementaires de 1837, 1838 et 1840, et la loi de 1842 qui est la fondatrice du chemin de fer français, dite encore à l’époque « charte des chemins de fer ». Le tracé des premières grandes lignes est établi, et, surtout, la construction des lignes est déterminée avec précision, tant sur le point de vue politique qu’économique, et la loi de 1842 règle le mode d’intervention de l’État, associant ses forces à celle de l’industrie et de l’initiative privées. On sait clairement qui finance quoi, qui décide de tel ou tel domaine, et aussi quand et où commencent les chantiers qui, pour la plupart, sont terminés dans les délais. La France marche au pas, au son du clairon et du tambour qui « bat son plein ».

Le Second Empire crée le statut des chemins de fer français.

De 1852 à 1859 on voit la mise en place de tout un système financier qui facilite, pour les compagnies privées, l’exécution de leurs grands travaux. Cette époque est celle d’un grand dynamisme, celle de la puissance des banques françaises, celle de la construction accélérée du réseau national, celle de la constitution des six grandes compagnies nationales que sont l’Est, le Nord, l’Ouest, le Chemin de fer de Paris à Orléans, le Midi, et le Paris, Lyon et Méditerranée. L’enthousiasme est là : aux résultats de suivre…

Les conventions de 1859 ouvrent une tout autre période, celle de la formation de ce que l’on a appelé « le second réseau » dont les lignes, importantes, viennent compléter les grandes lignes du premier réseau national. Au 1ᵉʳ janvier 1865, la longueur totale des lignes concédées est de 21 060 km, dont 19 435 appartenant aux six grandes compagnies et 1 625 à pas moins de 21 petites compagnies. Les grandes compagnies ont 8 388 km pour le compte du premier réseau et 11 047 pour le second. En 1865, la longueur totale des lignes exploitées est de 13 370 km, et la construction est si rapide que, en 1866 par exemple, 1 300 autres kilomètres sont ajoutés. En moins de 8 années, l’ensemble des lignes encore concédées en 1865 est construit. L’enthousiasme est toujours présent, mais les résultats se font attendre.

Le réseau national en 1852. La liste des compagnies est impressionnante par la quantité, mais leur situation imposera rapidement des rachats et des fusions. Le réseau atteint Lille, Strasbourg, Marseille et Bordeaux : les grands itinéraires vitaux sont déjà en place.
Le réseau national en 1870, soit 18 années à peine après celui de la carte précédente. L’effort de construction et surtout la rapidité de l’extension du réseau ferré sont impressionnants. Aucune période à venir ne pourra en faire autant, et en si peu d’années. La plupart seront, d’ailleurs, destructrices pour le réseau ferré dont la mort a sonné dès les lois de 1934.

Plus de 1 400 millions de francs ont été dépensés par l’État sous le Second Empire pour la construction des voies ferrées et l’État verse annuellement, durant les années 1860, entre 40 et 50 millions de francs chaque année pour compenser les insuffisances des revenus encaissés par les compagnies. De tels engagements financiers sont ruineux pour l’État et l’entourage de Napoléon III hésite à engager les finances publiques pour la construction des lignes d’intérêt local. Ces petites lignes sont pourtant ardemment demandées par les populations que l’on n’appelle pas encore « enclavées » et à qui bien des parlementaires imprudents ont promis, en pleine campagne électorale, une relation ferroviaire directe avec la civilisation et le progrès. Entendez par ces deux termes : la sous-préfecture ou la préfecture…

Il faut dire que réforme de 1860 a créé, en France, un développement économique et industriel, et a créé de nouveaux besoins qui n’ont de sens que si on peut développer une politique de transport performante. Il faut donc que l’État tienne les engagements de sa politique de relance économique, et s’engage dans la dotation du territoire national d’un réseau de voies ferrées dense et actif jusque dans les relations locales. La loi de 1865, dite loi Migneret, a dévolu aux communes et aux départements la construction de ces lignes d’intérêt local, ceci avec le concours de l’État, pour relier, sur des distances de 30 à 50 km, les petites localités aux lignes principales.

Locomotive-tender 020+020 sur le réseau métrique du PO-Corrèze, vers la fin du XIXe siècle. Ces nombreux réseaux départementaux sont, pour la plupart, l’oeuvre du Second Empire.
Train marchandises-voyageurs (ou « MV ») sur le Réseau Breton, crée à la Belle époque et dans la mouvance du Second Empire, en voie métrique. Ce genre de trains dessert la majorité des régions rurales françaises vers la fin du Second Empire : la lenteur est consternante car, dans les gares où il faut prendre ou laisser des wagons, les voyageurs (placés en queue) doivent patienter longuement pendant les manoeuvres effectant la tête du train. Mais ils croient dans le chemin de fer et l’utilisent.

Les années 1860 : succès certain, malgré la promesse de futurs difficiles.

Très sollicité par les pouvoirs locaux qui réclament des écoles et des gares, le pouvoir central n’ose dire non, et de concession en concession (concession étant pris à tous les sens du terme, moral et ferroviaire), l’Empire se laisse aller à financer une très grande quantité de petites lignes et à en fournir une partie très importante de la dépense. De nombreux spéculateurs déposent des projets de lignes pour encaisser des aides de l’État, tandis que des lignes refusées par les grandes compagnies pour cause de non-viabilité sont accordées à d’éphémères groupements d’intérêts locaux.

Pis encore : la loi du 10 août 1871 permet aux Conseils généraux de se concerter pour des mesures d’intérêt commun et donne lieu à la création de véritables réseaux locaux couvrant plusieurs départements, et l’on n’hésite pas à envisager des lignes Bordeaux-Le Mans, Calais-Marseille, Dunkerque-Perpignan qui sont des mises bout à bout de réseaux départementaux ! En 1875, en dehors des 6 grandes compagnies, il existe 35 compagnies locales concessionnaires de 137 lignes dans 41 départements et représentant 4 381 km. La loi Migneret de 1865 avait laissé se constituer un réseau que, justement, elle était censée empêcher.

Le plus bel exemple de ce que la loi de 1865 a laissé se créer se situe dans l’ouest de la France. Un certain nombre de compagnies situées au sud de la Loire et à l’ouest du Massif central ont en commun d’être déficitaires, de crouler sous les dettes, d’avoir des lignes à trafic restreint desservant des régions faiblement industrialisées, et de n’avoir aucun espoir d’une meilleure situation à l’avenir : la compagnie des Charentes, de la Vendée, de Bressuire à Poitiers, de Saint-Nazaire au Croisic, d’Orléans à Chalons-sur-Marne, de Tulle à Clermont, d’Orléans à Rouen, de Poitiers à Saumur, de Maine-et-Loire et Nantes, des chemins de fer Nantais, voilà un ensemble hétéroclite de 1 042 km de lignes pauvres qui ne peut guère enthousiasmer les « repreneurs » ou les spéculateurs même les plus irréfléchis….

Sur une petite compagnie éphémère de l’époque, comme, ici, le Orléans-Chalons. Locomotive type 120 n°2210, de la série 2201 à 2210 du réseau de l’Etat ex-1 à 10 de l’ancienne compagnie d’Orléans à Châlons, construite en 1873 et portant le nom de « Chalons ». Négatif HM. Petiet.

Une partie des élus presse le réseau du Chemin de fer de Paris à Orléans d’accepter de reprendre l’ensemble, mais le PO, courageux certes mais pas téméraire, se désiste…. et fait machiavéliquement le jeu d’une opposition de gauche qui, par principe, est hostile aux grandes « oligarchies financières » (le terme de grand « trust capitaliste » n’est pas encore né) et qui préfère confier le tout à la gestion directe de l’État qui crée son réseau le 25 mai 1878 avec ces lignes dont personne ne veut. Clemenceau parle de « réseau témoin » grâce auquel l’État pourrait, en y réalisant les modifications qu’il ne pourrait imposer aux compagnies, montrer la justesse et le réalisme de ses vues et de mieux contrôler les compagnies.

Bien géré, malgré son aspect hétéroclite, le réseau de l’État parvenant à une situation telle que l’on lui fait confiance dès 1909 pour reprendre le réseau de l’Ouest et lui appliquer les mêmes méthodes de gestion. C’est donc bien, dès 1878, la préfiguration de ce que pourrait être une future Société Nationale des Chemins de fer Français. La pérennisation du très long débat parlementaire sur la nationalisation des chemins de fer mènera à la création de la Société Nationale des Chemins de fer Français en 1938. La SNCF est donc bien née en 1878.

La faste mais risquée ère Freycinet.

L’avenir du chemin de fer français, d’après François Caron, dans son « Histoire des chemins de fer en France, 1740-1883 » Fayard, Paris 1997, page 475, se décide durant cette période de transition importante et post-Empire se situant entre 1876 et 1883.

Le ministre des Travaux publics du ministère Dufaure, formé en décembre 1877, est Charles de Freycinet (1828-1923) qui ambitionne d’intégrer la politique des chemins de fer dans une vision globale du développement des voies de communication en France. Son rapport du 2 janvier 1878 annonce son intention de classer 16 000 km de lignes à titre d’intérêt général, les unes déjà concédées ou exploitées à titre d’intérêt local et les autres étant à construire par l’État lui-même. Selon le mot même de François Caron, « la procédure mise en œuvre met un point final aux velléités décentralisatrices de la loi de 1865 ». L’État fait dorénavant de la question des chemins de fer son affaire propre, et ne cédera jamais sur cette prérogative, même si, dans les faits, elle est très difficile à faire passer.

Très belle vue de la gare de Saintes et ses trois verrières, vers 1885, alors centre important et actif d’une étoile de petites lignes secondaires rejoignant Angoulême à Rochefort, avec embranchement vers Jonzac.
En 1933, à l’apogée du réseau national, l’étoile de Saintes comprendra ensuite des lignes vers St-Jean d’Angély (embranchement par Taillebourg), vers Saujon et Royan, ou Cognac, sans compter des voies métriques vers Marennes, Mortagne-sur-Gironde, ou Burle, etc.. Que reste-t-il de toutes ces lignes aujourd’hui ? Seules deux lignes vers La Rochelle ou Bordeaux.

Les difficultés éprouvées par les réseaux français remontent jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle, non seulement avec l’échec de la loi de 1865, mais aussi et surtout l’échec du plan Freycinet dès 1879 : dans les deux cas, il y a dépassement des limites du financièrement possible, classement en intérêt général de lignes qui ne pourront jamais être rentables (ou même utiles). Si, en janvier 1878, Freycinet veut classer 7 000 km, en juin, il est à 9 000, et en mars de l’année suivante à 11 000, ce qui donne un total de 19 000 km si l’on y ajoute les lignes déjà concédées précédemment. Si l’on ajoute les programmes concernant les voies navigables, on arrive à ce que François Caron appelle une « inflation de projets » (Op. cit. p. 481) et le premier emprunt lancé pour le rachat des lignes secondaires ne rencontre qu’un médiocre succès : la nation n’a pas confiance.

Le « Troisième réseau » n’existera pas.

Freycinet échoue de nouveau en novembre 1878 avec le projet d’un « troisième réseau » construit par l’État et repris par les compagnies, et concernant le Nord et l’Ouest. Il est obligé de retirer le projet devant l’hostilité de la presse, des directions des deux compagnies concernées, et d’un certain nombre de députés. Mais, la question des chemins de fer, et des rapports entre l’État et les chemins de fer est bel et bien pérennisée, et elle reste à l’ordre du jour pour des décennies. Une véritable guerre parlementaire est lancée contre les compagnies, notamment par Jean David, parlementaire gambettiste et homme d’affaires. Les compagnies se défendent avec efficacité, sachant reprendre, avec Léon Say, les arguments libéraux en matière de développement économique et industriel, sachant aussi démontrer l’incapacité – selon elles – de l’État en matière de gestion des chemins de fer (le réseau de l’État est montré comme fruit du « socialisme d’État »), et sachant enfin souligner les échecs de Freycinet.

En 1883, Jules Ferry signe six conventions avec les six grandes compagnies privées, ceci dans l’optique de l’extension du réseau avec construction de 8 360 km de lignes par les compagnies elles-mêmes, mais avec une partie des dépenses incombant à l’État sous la forme d’annuités couvrant les intérêts et l’amortissement des emprunts faits par les compagnies. Le système de la garantie de l’État est appliqué à l’ensemble des lignes. Les compagnies doivent assurer un véritable service public avec un minimum de trois trains par jour même sur les lignes à très faible trafic escompté. Si utiles soient-elles, ces conventions ne règlent toujours pas la dimension politique de la question des chemins de fer, car l’État reste l’objet d’une grande méfiance de la part des dirigeants des compagnies, et des milieux financiers ou industriels les entourant.

La « Crampton » : le TGV de Napoléon III.

La « Crampton » ? C’est le TGV de Napoléon III, car elle bat des records de vitesse et crée, pour le chemin de fer, une image de marque prodigieuse faite de dynamisme et de vitesse. Elle roule alors en service quotidien à 120 km/h tandis que, sur les routes, on circule à pied ou à cheval., pratiquant des vitesses remontant au Moyen-âge, avec un bon 4 km/h quand tout va bien, et un bon 10 km/h de moyenne quand tout ne va pas trop mal à bord des diligences. 

Thomas Russell Crampton (1816-1888) est un ingénieur anglais spécialisé dans le génie civil et la mécanique, et il vit, avec enthousiasme, la grande aventure de la Révolution industrielle. Il se fait embaucher par le Great Western Railway en 1837 et, avec Daniel Gooch, il conçoit vers 1843 une locomotive dont la particularité est d’avoir son essieu moteur placé derrière le foyer. Cette disposition assure une plus grande stabilité en supprimant tout porte-à-faux, et permet de faire des locomotives à grande vitesse. Il dépose le brevet de ce type de locomotive en 1843.

Mais Crampton n’arrive pas à exploiter son brevet. Il faut dire que le réseau britannique a été tracé en fonction d’intérêts souvent locaux, comme de relier à moindre coût deux villes entre elles, d’intérêts même personnels, comme le contournement de la propriété de tel ou tel aristocrate, et les lignes sont donc souvent sinueuses et médiocres, et ne favorisent guère une politique de la vitesse.

C’est en France que Jules Petiet, Directeur du matériel du réseau Nord français et du réseau Nord Belge, remarque deux locomotives Crampton roulant en Belgique et commande à leur inventeur une importante série pour le réseau français. Jules Petiet est un homme qui sait diriger un réseau, et calculer les coûts : or il sait que les roues motrices des locomotives sont, de très loin, les plus chères, et que les roues arrière des locomotives sont celles qui s’usent le moins. La disposition, sur les « Crampton », des roues les plus chères à l’arrière est, pour lui, une caractéristique économique intéressante, et l’expérience quotidienne montrera qu’il aura vu juste.

La France sera le pays d’adoption de la locomotive Crampton et en construira environ 320 exemplaires. C’est donc finalement la France du Second Empire qui adopte définitivement cette machine qu’elle surnommera « le lévrier du rail ». La locomotive pourra rouler à pleine vitesse sur des lignes construites et tracées en fonction de l’intérêt national et public, c’est-à-dire rectilignes ou avec des courbes à grand rayon, de faibles déclivités, et surtout de qualité exemplaire.

Locomotive « Crampton » type 210 N°80, de la série 79 à 90 du réseau de l’Est mise en service en 1852. Appartenant à la collection de la Cité du Train, cette magnifique machine est, ici, exposée par la SNCF sur les Champs-Elysées en 2003 dans le cadre de l’exposition « Train Capitale » qui a attiré près de 6 millions de visiteurs.

La longue évolution des « Crampton ».

Comme la locomotive « Crampton » dure longtemps et roule sur de nombreux réseaux, elle ne manque pas d’évoluer.  L’ingénieur Eugène Flachat, dont l’autorité à l’époque est reconnue en France,  préconise la nécessité de réduire le poids assez élevé de ces locomotives et leur empattement trop long, deux éléments très défavorables pour la tenue en service des voies.

Certaines locomotives construites chez Cail, puis au Creusot, dès 1852 ont déjà un empattement réduit à 4,50 m. environ : si le poids et la surface de chauffe n’étaient guère changés, en revanche le diamètre de la roue motrice était porté à 2.30 m. Ce sont là deux modifications importantes qui, en fait, sont à l’origine d’une nouvelle sous-série et donnent des machines aux caractéristiques différentes.

Par ailleurs, la locomotive type « Crampton », nommée « Le Continent », exposée à « La Cité du Train » à Mulhouse (voir ci-dessus), appartient à une série faite par Cail en 1852 pour la ligne de Paris à Strasbourg. Le diamètre de ses roues motrices est de 2300 mm, et l’empattement est de 4590 mm. La surface de grille est de 1,24 m², soit sensiblement celle des premières locomotives. Les tubes sont au nombre de 180 au lieu de 177, et les cylindres ont des cotes de 400 × 560 mm, soit sensiblement les cotes d’origine. Les poids à vide et en ordre de marche dépassent de 500 kg les poids d’origine qui sont 24 et 27 tonnes.

La Crampton n°10 du réseau du Nord, vue au dépôt de La Chapelle vers 1850.
Locomotive « Crampton » type 210 n°174 de la série 174 à 188 du réseau de l’Est en tête d’un train de voyageurs peu après la fin du Second Empire.

Les machines à roues libres : avantages et inconvénients.

La « Crampton » est une machine à roues libres : cela veut simplement dire qu’elle a un seul essieu moteur, donc que ses roues motrices n’ont pas de bielles d’accouplement les solidarisant avec d’autres roues.  L’avantage de cette disposition est que la locomotive roule en douceur, avec très peu de mouvements parasites, puisque le nombre et le poids des pièces en mouvement alterné (bielles de liaison) est réduit. La locomotive trépide moins, et ne fatigue pas les voies. L’inconvénient est que, lors du démarrage, l’unique essieu moteur tend à patiner : plus on multiplie les roues motrices, plus on augmente les points d’adhérence entre la locomotive et les rails, donc moins la locomotive risque de patiner. L’unique essieu moteur a été la cause de l’obsolescence rapide des « Crampton », au fur et à mesure de l’accroissement du poids des trains.

L’âge de la locomotive à deux essieux moteurs.

Quelle est la réalité technique de ce chemin de fer dont on discute tant, alors à son apogée ? Au milieu du XXe siècle, la locomotive de vitesse type 111 ou 210 (Crampton) à un seul essieu moteur (ou locomotive dite « à roues libres ») ne suffit plus devant la tâche imposée par la traction de trains de plus en plus lourds. En effet, l’unique essieu moteur tend à patiner au démarrage, et augmenter la puissance des chaudières ne sert à rien si l’effort de traction n’est pas transmis correctement. Les ingénieurs connaissent bien la locomotive pour trains de marchandises à 2 ou 3 essieux accouplés par bielles, mais il ne disposent pas d’un modèle scientifique permettant de prévoir ce qui se passerait avec des bielles d’accouplement lors des grandes vitesses, et ils hésitent à construire des locomotives de vitesse autres que celles à roues libres.

Locomotive de vitesse type 021 du réseau de l’Est, n°103. Série 100 à 120, construite en 1853. Doc. HM.Petiet. Les ingénieurs osent timidement les deux essieux couplés, mais refusent l’essieu porteur avant, craignant l’amplification des mouvements parasites engendrés par les bielles.
Locomotive type 120 n°853, série 824 à 861 du réseau du PLM construite en 1864. L’essieu porteur avant est enfin tenté, et les ingénieurs de l’époque refusent énergiquement le bogie avant ou « chariot américain » dont on craint le déraillement.
Magnifique scène très Second Empire vue en 1867 à Epernay sur le pont tournant des ateliers. Les compagnons posent pour la postérité et gagnent d’être immortalisés sur une photographie.
Selon la revue « Le PO Illustré », dont l’auteur de ce site-web est bien entendu un lecteur assidu, l’empereur, en monarque éclairé, s’intéresse même à la chauffe au pétrole que le chimiste Sainte-Claire Deville essaie vainement d’appliquer aux locomotives à vapeur. Le coût du charbon est déjà un problème.

Quelques ingénieurs audacieux, comme Victor Forquenot, tentent le pari avec des locomotives de type 120 pour le Chemin de fer de Paris à Orléans en 1864, après les résultats concluants obtenus par la compagnie de l’Ouest dès 1857. En 1873, Forquenot décide d’ajouter un essieu arrière au type 120 afin d’un améliorer le guidage par l’arrière et la stabilité. Le type 121 est né.

La magnifique type 121 Forquenot du PO présente à la Cité du train-Patrimoine SNCF à Mulhouse.

Le type 121 apparaît, avec le recul historique, comme surprenant quand on sait que le type 220 a excellé comme locomotive de vitesse, avec un bogie avant donnant une machine parfaitement stable et s’inscrivant en courbe sans exercer de contraintes sur les voies. Les États-Unis et l’ensemble des réseaux européens, en effet, adoptent le type 220 durant la seconde moitié du XIXe siècle dès qu’il faut passer à la locomotive à 2 essieux moteurs, mais en France le passage à deux essieux moteurs se fait différemment avec le type 121.

Les compagnies du Paris, Lyon et Méditerranée et du Chemin de fer de Paris à Orléans se font les championnes de ce type de locomotive et le mettent en tête de leurs trains pendant presque un demi-siècle, certaines 121 du Chemin de fer de Paris à Orléans étant encore en service à la veille de la Seconde Guerre mondiale ! Ce passage au type 121 s’explique par la prudence des ingénieurs qui font évoluer les locomotives par petites retouches d’un type déjà existant, ceci pour ne pas ajouter des problèmes à d’autres et rester le plus possible en terrain sûr et connu. Le réseau du Chemin de fer de Paris à Orléans n’adoptera la locomotive type 220 qu’en 1899, soit un demi-siècle après les réseaux américains… Les ingénieurs avaient eu le temps de « voir venir »!

L’apparition de la locomotive compound.

Pratiqué initialement sur les moteurs de marine, le compoundage est un grand progrès pour les locomotives à vapeur de la fin du XIXe siècle. Mais cette technique, qui donne certes des locomotives très performantes au prix d’une plus grande complexité, et qui demande une grande finesse de conduite de la part de mécaniciens plus qualifiés, ne rencontre pas l’approbation de tous les réseaux et crée un des plus grands débats techniques de l’histoire des chemins de fer.

L’ingénieur d’origine suisse Anatole Mallet, installé en France, présente, à l’exposition de Paris de 1878, une très curieuse locomotive destinée au petit chemin de fer de Bayonne à Biarritz, et construite par les Éts Schneider du Creusot. Elle résout le problème posé par l’excès de consommation des locomotives dû au manque d’adiabatisme des parois des cylindres, c’est-à-dire leur imperméabilité à la chaleur. Le remède est le compoundage qui a si bien réussi dans la marine: la locomotive de Mallet comporte deux cylindres, un à haute pression et un à basse pression, dans lesquels la vapeur travaille successivement. Surnommée « la boiteuse », du fait de ses deux cylindres inégaux, la locomotive fonctionne correctement et se révèle très économique.

Plus haut et ci-dessus : la première locomotive compound nommée « Anglet », inventée par Mallet, et mise en service entre Biarritz et Bayonne en 1878. Sur le schéma, on voit bien les deux cylindres dont les diamètres diffèrent l’un de l’autre

Les ingénieurs Borodine en Russie et Von Borries en Allemagne s’intéressent alors au compoundage, et l’Allemagne en fait même une règle générale pour ses machines express jusque vers 1910 où un revirement se produit. L’ingénieur Webb, en Angleterre, et l’ingénieur de Glehn, en France, généralisent ce procédé sur de remarquables locomotives, même si, pour Webb, il y eut quelques échecs dus à des cylindres trop petits imposés par l’étroit gabarit britannique.

À la fin du XIXe siècle, d’après André Chapelon dans son « Histoire des chemins de fer en France », Les Presses Modernes, Paris, 1964, les trois éléments fondamentaux de la locomotive moderne sont réunis : le compoundage, les tubes de chaudière à ailettes, et le bogie à rappel. Pourtant, les décennies suivantes verront une remise en question du compoundage et des compagnies comme le PLM, en sortant leurs premières Pacific en 1909, n’ont pas encore de doctrine en la matière et font faire des séries à simple expansion et d’autres compound : si les machines à simple expansion sont de conduite plus facile et semblent plus robustes, les autres fournissent 2.425 ch contre 2.050 ch et consomment, selon les efforts, 25 à 50% de moins. D’autres réseaux français, comme le PO et le Nord, passent définitivement au mode compound et auront des locomotives remarquables, surtout en matière de vitesse.

Les ingénieurs des réseaux américains, eux, en dépit des 221 compound du Philadelphia & Reading de 1885, restent par la suite fidèles à la simple expansion, préférant de simples solutions éprouvées pour un réseau aux conditions dures et aux locomotives « banalisées », c’est-à-dire conduites par différentes équipes se relayant en cours de route. L’apogée de la vapeur aux USA est bien la machine articulée à simple expansion.

Les ingénieurs allemands, lors de la création de la Deutsche Reichsbahn en 1920, reviennent à la simple expansion avec les Pacific unifiées des séries 01 et 03, très réussies cependant et qui deviennent la locomotive type de l’apogée de la vapeur dans ce pays. Maisl’ingénieur Gölsdorf, en Autriche, préfère le compoundage pour ses locomotives à bissel avant et bogie arrière si caractéristiques (types 132, 142) que nous avons décrites dans un article déjà paru. La France du lendemain du Second Empire aura, pour le moins, apporté le compoundage aux chemins de fer du monde entier.

Les voyageurs du Second Empire ? Pas toujours enchantés par le confort des trains.

Les premières lignes de chemin de fer, comme le Stockton-Darlington en Angleterre en 1825 ou le St-Etienne-Lyon en France en 1829, ont été construites dans le but de transporter des marchandises, et principalement du charbon, dont la révolution industrielle a le plus grand besoin, et fonctionnant comme des « lignes affluents », apportant aux ports fluviaux ou maritimes un transport d’appoint. Mais, assez rapidement, une demande de transport de voyageurs se fait sentir et les compagnies de chemin de fer ne peuvent négliger cette source de revenus complémentaire. La première forme de transport de voyageurs se fait avec des caisses de diligences chargées sur des wagons plats et remis sur roues pour la poursuite du voyage par la route. Mais cette solution est complexe et lente. Il faut de véritables voitures.

Les premières voitures sont des tombereaux garnis de bancs et encore, pas dans tous les cas : en Angleterre, bien des compagnies font voyager debout leur clientèle pauvre… ou avare. Les voitures pour gens aisés sont de véritables voitures fermées, très luxueusement aménagées, avec sièges de velours, rideaux, tapis et vitres. Une classe intermédiaire apparaît nécessaire afin d’attirer ceux qui ne veulent pas payer trop, mais qui refusent de voyager avec le vulgaire et à tous les vents. La 2ᵉ classe est née, classe intermédiaire, offrant un confort élémentaire, mais très relatif.

Les châssis et les caisses des voitures sont en bois. Les longerons du châssis sont composés de deux poutres en chêne, assemblées par tenons et mortaises et consolidées par boulonnage. Les traverses de tamponnement, aux extrémités du châssis, sont aussi en bois et supportent des tampons garnis de cuir. La résistance du bois, si elle est suffisante pour un véhicule routier circulant seul, est aléatoire dans le cas d’une voiture ou un wagon compris dans un train pesant plus de 100 tonnes et subissant des chocs au démarrage, lors de la tension successive des attelages du train, ou au freinage, lors des réactions des voitures venant se heurter. Les progrès de la métallurgie aidant, il est possible, dès la seconde moitié du XIXe siècle, de construire des châssis en profilés d’acier assemblés par rivetage.

Voitures PLM créées du temps de la compagnie d’Avignon à Marseille, en 1843. Noter, à gauche, la voiture à « coupés » sur-élevés pour donner une meilleure vue sur le paysage. Le « coupé » était très chic et plus cher encore que la 1re classe.

Les voitures des années 1850.

Les voitures de chemin de fer des années 1850 marquent un léger progrès : elles ont une caisse en bois reposant sur un châssis en métal, et roulent sur deux ou trois essieux. Les compartiments des voitures de 1ʳᵉ et de 2ᵉ classe ont des vitres de custode, tandis que les compartiments des voitures de 3ᵉ classe n’ont, comme vitres, que celles des portières, ce qui donne des compartiments sombres et d’où on voit mal le paysage. Il n’y a pas de toilettes, et, en cas de besoin, il faut patienter jusqu’à la prochaine gare pour se servir des toilettes du fourgon où l’on reste jusqu’à la gare suivante, avant de pouvoir regagner sa voiture. L’éclairage se fait par des lampes à huile fixées au plafond et allumées, au coucher du soleil, par un cheminot marchant sur les toits du train lors d’un arrêt en gare. Ces lampes éclairent mal, enfument les voyageurs et, lors des cahots, projettent de l’huile sur les habits. Mais c’est tellement mieux que la diligence, et on va si vite, que tout le monde accepte le chemin de fer qui entre dans la vie quotidienne de millions de personnes qui, jusque-là, ne voyageaient pas.

Voiture mixte 1re/2e classes de 1865.
Voiture à deux niveaux (déjà !) de la même année pour la banlieue ouest : on dit « voiture à impériale » – ce qui est normal pour un Second Empire…

Confort et sécurité, enfin, pour les voyageurs.

Les voitures de 1878 sont enfin confortables dans les trois classes avec un chauffage réel et une suspension douce (ressorts de plus de 2 mètres de long), mais, surtout, les ingénieurs se préoccupent enfin de la sécurité des voyageurs. La voiture à trois essieux est plus sûre, notamment en cas de rupture d’un essieu. Le Nord essaie des freins continus. Les châssis sont désormais en acier, mais les caisses sont, malheureusement, encore en bois. Les roues sont en acier et à voile plein. Les paliers abandonnent l’huile pour la graisse. La Compagnie Internationale des Wagons-Lits, qui vient d’être fondée, révolutionne le confort et engage des voitures-lits et ses voitures-restaurant.

Voitures sur la banlieue Est en 1855. L’ « impériale », difficilement accessible, génère de nombreuses chutes de voyageurs.
Modeste voiture de 1re classe sur le fraîchement crée réseau de l’Etat, en 1878. Le confort commence cependant à exister avec des compartiments et des sièges tapissés, des portes et des vitres bien étanches. La solidité de la caisse en bois est dérisoire et le moindre accident fait des dizaines de morts.
Piètre voiture Nord sous le Second Empire, type mixte 1re/2e classes ou A1B2. La longueur est modeste avec 6,47 m, tout comme le poids avec 5,3 tonnes. Les fenêtres sont très petites et apportent un éclairage spartiate. Nous sommes en 1858.

Les trains de marchandises : lenteur et faibles charges.

Avant la Première Guerre mondiale, le chemin de fer français connaît les dernières décennies d’un règne jusque-là sans partage, sans concurrence, sans concession. Unique transporteur de masse terrestre, laissant les mers aux navires, et un maigre transport fluvial aux péniches, le réseau français croule sous les demandes, voit ses gares de marchandises encombrées, et ses trains de marchandises s’allonger désespérément au grand dam des performances des locomotives.

Les trains de marchandises s’allongent, s’alourdissent à partir de 1860, et les réseaux ne savent comment répondre à une demande qui croît vertigineusement. Vers 1880, la capacité des lignes est utilisée à fond, aux limites de la signalisation en ligne et des capacités de garage sur les faisceaux en gare, créant un grand stress chez les aiguilleurs, le personnel des gares, le personnel de l’exploitation. En 1910, c’est la saturation du réseau.

Les équipes de conduite doivent utiliser les locomotives en étant continuellement à la limite des possibilités de ces dernières, tandis que ces trains lourds à remorquer sont tout aussi difficiles à freiner à une époque où le freinage continu est encore inconnu et où des armées de vigiles et de serre-freins, postés sur les wagons, guettent les coups de sifflet leur donnant l’ordre de serrer ou de desserrer.

On voit que ces locomotives, d’un type courant, proches de celles qui assurent l’ensemble du trafic marchandises à l’époque sur le réseau français, offrent, par leur faible puissance de traction, des charges qui décroissent très rapidement avec la vitesse mais surtout avec le profil – même si ces deux éléments conservent des valeurs qui passent pour très modérées aujourd’hui. Que faire avec cent cinquante à deux cents tonnes remorquées à 40 km/h sur une ligne avec des rampes de seulement 10 pour mille ?

Les premiers wagons à marchandises. La construction est robuste, mais très simpliste et toute en bois, si l’on excepte les organes de roulement et de traction.
Premiers wagons en bois et premiers paysages industriels, dans les années 1870.

La première réponse : faire léger.

La réponse est de faire des wagons très légers, pour commencer. C’est ce qui explique, vers 1910 encore, la présence de nombreux wagons en bois, châssis compris, dont la tare est de seulement de 4 à 5 tonnes, et la charge de 8 à 10 tonnes. On gagne partout sur le poids : les wagons à bestiaux ont des panneaux partiels et des rideaux de cuir, tandis que beaucoup de couverts ont des parois formées de persiennes ou de caillebotis. Les tombereaux ont des bords bas, et leurs extrémités sont en forme de pignon pour faciliter le bâchage, ce qui permet des bords plus bas encore.

La deuxième réponse : faire petit.

Pendant le XIXe siècle, les ingénieurs des réseaux européens ont repris la pratique anglaise des petits wagons, elle-même issue des wagonnets des mines et des chariots pouvant être remorqués par un cheval. Cette pratique permet de mieux ajuster l’offre à la demande, c’est-à-dire de n’avoir qu’un minimum de wagons partiellement chargés parce que trop grands.

Un autre inconvénient du petit wagon est l’impossibilité théorique de transporter des charges longues : poutres, grumes, rails. La seule solution, pendant l’ensemble du XIXe siècle, est de juxtaposer deux wagons plats, plus ou moins éloignés par une perche reliant les crochets d’attelage, ou bien d’utiliser une succession de trois wagons plats, celui du centre faisant simplement office de liaison entre les deux autres qui supportent la charge sur une traverse. C’est ainsi qu’il est possible de transporter des charges longues de 25 mètres – mais qui ont une fâcheuse tendance à glisser au moindre coup de frein, d’où l’interdiction formelle de placer de telles compositions dans les trains mixtes voyageurs – marchandises !

Cette politique du petit wagon mieux chargé demande, toutefois, un nombre plus grand de wagons, beaucoup plus de mouvements en gare, une gestion administrative plus complexe. Elle allonge les trains puisqu’il y a un plus grand nombre d’attelages. Elle augmente enfin le poids mort par tonne transportée : à l’époque, les réseaux américains utilisent des wagons métalliques et à bogies de 40 tonnes pesant 15 tonnes ; avec de petits wagons de 10 tonnes tarant 6 tonnes, on en est à un poids mort de 24 tonnes pour la même charge. 

C’est pourquoi cette politique du petit wagon est pratiquée jusqu’à ce que les progrès des locomotives à vapeur permettent d’augmenter la charge des trains, chose acquise à partir des années 1920 et 1930 en Europe. Les données, à ce moment-là, sont donc radicalement changées, et l’on a intérêt à utiliser des wagons métalliques à plus forte contenance et à moindre tare relativement.

Wagon tombereau à guérite, celle-ci servant à loger le cheminot chargé du freinage. En général on intercalait des wagons freinés et non freinés.
Wagon à fruits ou à viande : les claire-voies ou « caillebotis » servent à rafraîchie le contenu avec le vent de la course ! Question « chaîne du froid », il y a mieux…
Fourgon avec frein à contre-poids (on voit le mécanisme par la porte centrale), ici sur la ligne de la Petite-Ceinture. Le frein à contre-poids permettait d’emmagasiner la force nécessaire au freinage et soulageait, en théorie mais pas toujours, les efforts musculaires du chef de train !

L’âge de la vulgarisation des connaissances techniques naît avec le chemin de fer.

Il est donc inévitable que dans un tel climat de performances scientifiques et techniques, le mouvement des connaissances mises en œuvre par le chemin de fer vienne rapidement à déborder du cadre permanent de la publication arrêtée de « Cours de chemin de fer » des grandes écoles ou de « Traités de chemins de fer » signés par des auteurs comme Charles Couche dans son très important ouvrage : « Voie, matériel roulant, et exploitation technique des chemins de fer », Paris, 1867-1870. Notons que Couche a publié un important traité avant 1878 (les autres traités importants ne paraîtront que durant la dernière décennie du siècle): il faut bien passer au rythme de publications traduisant l’actualité de la recherche, l’évolution des techniques.

Il faut dire que, lorsque la Revue générale des chemins de fer paraît, quelques rares grands domaines scientifiques ou techniques ont déjà leur revue de référence : « L’Année scientifique et industrielle » démarre en 1856, les « Annales de chimie et de physique » paraissent depuis 1862, mais d’autres grands domaines comme l’électricité devront attendre : « l’Année électrique » paraîtra à partir de 1885, le « Bulletin de la société française des électriciens » commence sa carrière en 1884, et « L’Électricien » en 1891. Le mouvement vers les grandes revues techniques est donc en train de se lancer. Le chemin de fer français n’a donc pas attendu pour se doter d’une revue de référence – une revue qui sait, d’ailleurs, le rester – et trouver sa place au sein de ce grand mouvement d’édition et de diffusion de la pensée.


La science des chemins de fer.

Le chemin de fer est, en cette fin du XIXe siècle, le plus important système technique jamais construit par l’homme. Il est aussi aussi la réunion de l’ensemble des techniques les plus élaborées grâce à la constitution de ce que François Caron a appelé « une science ferroviaire ». Les années qui suivent la guerre Franco-Prussienne sont celles d’un grand développement scientifique et industriel en France, mené dans un climat d’émulation (faire mieux que l’Allemagne.

Les grands éditeurs de la fin du XIXe siècle consacrent leurs efforts aux sciences, et, tout particulièrement aux chemins de fer qui, à leurs yeux, en sont ce que l’on appellerait aujour’hui la « high tech » (Amérique oblige).

Dès son numéro 2 d’août 1878, la RGCF, pour sa part, consacre des articles aux progrès techniques des chemins de fer allemands et restera fidèle à cette ligne éditoriale jusqu’en 1914.) et de désir de réussite éclatante (ne pas laisser l’Angleterre dominer le monde) : la France doit retrouver son rang et l’effort d’industrialisation entrepris sous le Second Empire n’est pas abandonné, bien au contraire. Son rang est encore plus développé, mais il est aussi beaucoup plus éclairé par une démarche scientifique, tandis que les sciences elles-mêmes bénéficient beaucoup plus de l’apport des techniques et y trouvent un terrain de développement. Créée en 1878, la Revue Générale des Chemins de fer restera le promoteur et le témoin de cette science ferroviaire.

Le chemin de fer est, alors, au sommet des techniques de la métallurgie – elles-mêmes formant les techniques de pointe du XIXe siècle. Les foyers des locomotives sont en cuivre rouge, ainsi que les grilles. Les chaudières sont en fer, et les tubes en laiton. L’emploi des injecteurs se généralise et demande une technique très fine. Le rail en acier domine, enfin, les installations fixes, et il s’allonge à 8 mètres, et pèse 30 kg/m, mais le rail à double champignon est encore généralisé sur les réseaux de l’Ouest, de l’État, du Midi et du Chemin de fer de Paris à Orléans. La roue en acier supplante la roue en fer. L’emploi de tous ces métaux dans des conditions de variations de température, de contraintes mécaniques, de mouvements rapides et forts, demande l’établissement d’une véritable science ferroviaire propre, la mise au point de techniques impliquant les derniers progrès en matière de connaissance de la matière, de sa structure. Les mathématiques, la physique et la chimie sont mises à contribution, mais trouvent leurs limites : il faut souvent, par l’empirisme et le pragmatisme de ses ingénieurs, que le chemin de fer puisse devancer le progrès scientifique qui ne peut lui fournir de modèle, et, parfois, le chemin de fer lui fournit même un terrain de découvertes et d’expérience.

Le développement des chemins de fer devient, sous le Second Empire, le principal thème dans l’édition et la diffusion de la science. Ici, un grand dépôt que l’on peut supposé être à Paris, une ville qui, aujourd’hui, a perdu la plupart de ces installations.

Les années qui suivent le Second Empire voient d’importants progrès sur le plan de l’exploitation avec la mise en service du bloc-système, l’enclenchement dans les cabines d’aiguillage des appareils de voie et des signaux, les serrures Annett, les appareils Saxby & Farmer (réseaux du Chemin de fer de Paris à Orléans, du Paris, Lyon et Méditerranée, du Nord, de l’Est), répétition des signaux sur les locomotives (réseau du Nord), système Prud’homme pour les communications entre les voyageurs et le personnel des trains.

Les locomotives passent « de la fin du moyen âge au commencement des temps modernes », d’après les termes mêmes d’un discours présidentiel de la Société des Ingénieurs Civils de France, 10 juillet 1919, cité par R. Godferneaux, directeur de la RGCF dans son ouvrage: « Aperçu de l’évolution des chemins de fer français de 1878 à 1928 » Ed. Dunod, 1928.

Selon l’expression de Herdner, directeur de la traction de la compagnie du Midi, l’abandon des locomotives à roues libres est définitif. Toutes les locomotives ayant dorénavant des essieux moteurs couplés, y compris les machines de vitesse. Les vitesses de 100 km/h sont soutenus avec des tonnages intéressants et non plus dérisoires comme à l’époque des Crampton. Les surfaces de grille dépassent 2 m² et les surfaces de chauffe 10 m². Le bogie avant a supplanté l’essieu porteur unique avant. Le timbre des chaudières atteint 10 kg/cm². Le compoundage, nous l’avons vu, vient de faire son entrée en scène. À la fin du Second Empire, et sans être outrageusement bonapartiste, nous pouvons dire que la France a réussi à prendre place parmi les grandes nations industrielles. Merci à celui que ses détracteurs avaient surnommé : « Badinguet ».

Quelques très rares vues de gares sous le Second Empire (collection Jules Petiet).

Gare de Louvres, banlieue nord, vers 1850.
Gare de Stains à la même époque.
Gare de Brive, sur le réseau du PO, vers 1870.
Napoléon III (1803-1873).

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