Cartes des chemins de fer français: la manière claire de connaître leur histoire.

Ce serait inquiétant de voir un conducteur de TGV étaler sur le quai, avant le départ, une carte pour y trouver son chemin… Tout le monde sait bien que les trains sont guidés par les rails, par les appareils de voie dans les gares et sur les bifurcations, tout le monde sait que les aiguilles se positionnent avant le passage du train pour l’obliger à prendre telle ou telle voie, telle ou telle direction, et tout le monde sait bien que, s’il y a un conducteur à bord d’un TGV, ce n’est pas lui qui choisit les voies et les directions, mais ce sont bien des dizaines et des dizaines d’hommes, qui, postés dans les postes de commandement ou les cabines d’aiguillage, actionnent les appareils de voie et les signaux, et décident, aidés par une électronique et une logique implacables, du trajet du train et de l’évitement des autres trains en marche. Il en est ainsi depuis bientôt deux siècles dans le monde des chemins de fer, et ce principe, le seul éprouvé et capable d’une sécurité aussi mécanique qu’absolue, ne sera jamais abandonné tant que les trains auront des rails et tant que des s’emboîteront entre les faces internes des rails.

Une très ancienne carte Chaix du réseau de la compagnie de l’Ouest, datant de 1860.

Laissant aux automobilistes l’angoisse d’éviter les collisions aux croisements, les dérapages, les sorties de route, les erreurs aux carrefours et les incertitudes dans la lecture des GPS, laissant à peu près les mêmes soucis aux aviateurs mais avec en prime, les trois dimensions et les effets de l’altitude et de la météo, laissant enfin aux navigateurs de se cramponner à la barre les yeux sur les cartes, la boussole, le GPS, les éléments déchaînés, les pièges des côtes découpées et des courants ou des vents, les conducteurs de train vont sereinement. Et, même, ils roulent la nuit, faisant confiance aux rails, ne voyant rien au dehors avec une vitre noire devant eux, ils roulent, consultant la signalisation sur leur pupitre de conduite, reconnaissant au passage les lumières des gares traversées en toute vitesse surgissant de l’ombre et y retournant derrière eux, et ils roulent à 300 km/h dans l’obscurité, ignorant la pluie ruisselante sur l’épaisse vitre blindée, ignorant tout d’un monde extérieur dont ils ne voient rien. Et même, pendant la journée, ils passent de la lumière aveuglante du soleil à un noir absolu dans les tunnels. L’électronique, les balises sur la voie, la signalisation en cabine leur disent où ils sont, au mètre près s’il le faut. Mais aucune carte n’est là.

Des chemins de fer en avance sur les cartes.

S’il est vrai que les marins ont toujours eu besoin de cartes, les cartes de l’Antiquité sont très approximatives, et les premières cartes précises sont ce que l’on appelle des « portulans » qui servent pour la navigation dans les ports de commerce, ceci à partir du XIIIe siècle. Il s’agit de donner, d’une façon élémentaire et plutôt sous la forme d’un aide-mémoire, aux marins leurs « amers », leurs abris, leurs passages. Un grand progrès se fait avec des appareils de mesure et de vision à distance au XVII et XVIIIe siècles : les ingénieurs des grands corps de l’État parviendront à réaliser des cartes enfin précises, du moins pour les pays anciens et très organisés comme ceux d’Europe Occidentale. Mais, c’est bien dans le monde militaire que les cartes existent sous la forme la plus utilisable. Les anciens rois, ceux de France en tout premier lieu, ont eu le souci, pour d’évidentes raisons militaires, de faire un relevé topographique de leur royaume. et les grandes batailles napoléoniennes se font cartes en mains, posées devant l’Empereur dans sa tente.

Toujours pour la France, on cite la carte de Cassini qui est présentée comme première carte topographique du territoire national produite de manière systématique. Elle doit son nom à quatre générations de cartographes de la famille Cassini, qui, de 1756 à 1815, dessinent par triangulation géométrique sur le sol, un chef d’œuvre 181 feuilles à l’échelle 1/86 400 qui forment, si on les assemblait, une reproduction de la France mesurant 11 mètres de côté.

La carte d’Etat-major est mise en œuvre par une ordonnance royale de 1827, et si elle succède à la carte de Cassini, elle comporte un perfectionnement très important : les courbes de niveau distantes de 10 à 20 m selon le relief. D’abord réalisée au 1/40 000e, et est publiée intégralement en 1875à l’échelle bien connue du 1/80 000e.

Si la carte de Cassini est difficilement utilisable par les constructeurs des chemins de fer, car elle laisse une grande approximation en ce qui concerne le relief, elle a, pour la France, le grand avantage d’exister pour les premières lignes construites à partir de 1840, notamment dans le cadre de la loi de 1842 qui crée les premières lignes du réseau ferroviaire français. Mais celle de l’Etat Major, avec ses courbes de niveau, est exactement ce qu’il faut et son utilisation, pour ce que l’on appellera le « deuxième réseau » des chemins de fer français, expliquera la rapidité de tracé et de construction de ce réseau. .

Avec des cartes, même non biseautées, le chemin de fer gagne à tous les coups.

Seule la carte, pour les ingénieurs des chemins de fer, permet de savoir où l’on va, par où on va passer, et de construire du premier coup une ligne exploitable. Mais la seule carte utile pour les constructeurs de lignes de chemins de fer est donc la carte à courbes de niveau. Ces courbes, relevées sur le terrain, représentent en les superposant les contours horizontaux des reliefs. Les montagnes sont ainsi « découpées » en des sortes « tranches » horizontales empilées.

Si l’on construisait une voie en suivant une courbe de niveau, elle serait parfaitement en palier, sans rampe ni pente, et ce serait l’idéal pour les locomotives devant tirer des trains lourds. Malheureusement, on ne peut pas traverser d’importantes montagnes ainsi, sinon qu’en faisant un long tunnel de base évitant tout relief, chose que l’on ne savait pas faire au XIXe siècle. Alors quand il faut monter, puisqu’on est coincé dans un cul-de-sac dans une vallée, on suit les courbes de niveau, mais en passant d’une courbe à une autre très doucement. Les rampes ne pouvant dépasser 20 à 30 mm par mètre à l’époque, vu la faible puissance des locomotives, sur le terrain, il fallait, si les courbes de la carte étaient tous les 20 mètres en altitude, prévoir une longueur de 1000 à 666 mètres pour passer d’une courbe à une autre. Mais, il fallait aussi que les rayons de courbure de la voie ne soient pas inférieurs à plusieurs centaines de mètres : on devine la complexité des tracés en montagne.

Les cartes anciennes: leur utilité pour connaître et comprendre les chemins de fer.

La carte de la librairie Langlois, de 1845, est la plus ancienne, à notre connaissance, et nous avons la chance d’en avoir une. C’est le réseau français à l’époque de la loi de 1842 qui accompagnera les trente années de construction à venir. Les couleurs sont ajoutées à la main et sont bien une action d’origine, puisque les légendes imprimées les prévoient et les indiquent.
Une des cartes parues dans en 1879 dans l’ouvrage “La Question des Chemins” de fer d’Isaac Pereire (éditions Motteraz) montre clairement la situation di réseau national en 1842: seuls quelques réseaux régionaux épars, à caractère industriel existent, mais la région parisienne fait exception en ouvrant la première ligne pour voyageurs en 1837.
La carte des lignes des environs de Paris, parue en 1859 pour le compte des abonnés au Journal des Chemins de fer, montre que, bien que partie en retard, Paris prend la tête du mouvement et se constitue déjà comme étant le cœur du réseau national. Les grandes compagnies sont constituées en “étoile” autour de Paris et fixent le sort d’une France industrialisée et centralisée.
L’ouvrage d’Isaac Péreire montre, en 1879, que le Second Empire a créé, en une trentaine d’années et au prix d’un travail exemplaire, la quasi-totalité du réseau français: le plan Freycinet y ajoutera un ensemble de lignes locales qui ne seront, pour la plupart, jamais rentables. La France actuelle est revenue, en quelque sorte, au réseau du Second Empire. Notons la présence, dès 1878, du réseau de l’État qui a racheté les lignes de Vendée et rachètera le réseau de l’Ouest en 1909.
Les étapes du développement du réseau national entre 1837 et 1875, d’après un document publié dans de nombreuses revues d’époque. L’amputation de l’Alsace et de la Moselle défigure l’hexagone….
La France dans l’Europe ferroviaire de 1850. La Belgique, et l’Allemagne du nord ne perdent pas de temps !
La France des anciennes compagnies privées plus celle de l’Etat, vers 1905. L’Etat n’a pas encore racheté l’Ouest, qui esr déficitaire et attend ce dénouement regrettable, tandis que le Midi, au sud de la Garonne, se désespère de ne pas avoir de “tête” à Paris et espère pousser une pointe en se glissant entre le PO et le PLM.
Certaines cartes historiques d’époque offrent l’intérêt de l’exactitude et de la précision. Le réseau d’Alsace-Lorraine n’a pas été « cédé » à l’Allemagne, mais a été vendu aux Allemands pour 325 millions de francs français, qui servent à indemniser la compagnie de l’Est qui perd 862 km de lignes dont 436 à double voie. Le matériel roulant et remorqué est exclu de la vente et le réseau devra donc utiliser ou construire du matériel de type allemand. En 1913, le réseau comprend 1803 km, 1129 locomotives, 2311 voitures, et 29.000 wagons, qui seront récupérés en 1919.
Le réseau de l’Est. Après 1918, il ne récuperera pas le réseau de l’A-L qui sera directement géré par l’Etat.
Le plus petit réseau français par son étendue est celui du Nord, mais il est le plus prospère, le plus efficace, le plus rapide. Il souffrira beaucoup des destructions des guerres mondiales.
Né d’une nationalisation partielle en 1878 puis 1909 du réseau français, le réseau de l’État précède, en quelque sorte, la nationalisation complète SNCF de 1938.
Desservant le sud-ouest de la France, le réseau du Paris-Orléans essaie de s’implanter en Bretagne tout en rêvant de fusionner avec celui du Midi: ce ne sera chose faite qu’en 1934 pour le Midi.
Le plus étendu des réseaux français, le Paris-Lyon-Méditerranée (PLM), est aussi le mieux loti avec Lyon, Marseille, la Côte d’Azur, les Alpes. Frappé par les crises des années 1930, peu électrifié, il n’aura pas la santé financière espérée.
La France à l’époque des grands empires, à la veille de la Première Guerre mondiale. L’Autriche-Hongrie et l’Allemagne ont d’excellents réseaux très “militarisés” dans leur esprit, et la Russie se développe autour de son chemin de fer.
Les cartes murales scolaires Vidal-Lablache sont intéressantes, car elles donnent l’importance du trafic sur les voies, représentée par la largeur. Nous sommes ici en 1929: en un siècle le chemin de fer a dépouillé l’ouest (lieu traditionnel de la prospérité nationale avant la Révolution) jusqu’à un axe Nord-Méditerranée par Lille-Paris-Lyon-Marseille. Le Massif-Central reste à l’écart.
Les cartes des documents promotionnels apprennent beaucoup de choses, comme ici, avec le réseau de l’Etat qui crée en 1878 par regroupement de réseaux déficitaires, servira de service public modèle jusqu’en 1937, année qui verra et inspirera la création de la SNCF en 1938. L’Etat sauve les petites lignes… ce que, parfois, la SNCF n’a pas pu toujours faire actuellement.
Certaines cartes rappellent de dures réalités: ici celle de la fermeture d’un très grand nombre de petites lignes voyageurs en 1938, chose que la SNCF a du faire malgré elle, devant un partage du marché des transports au détriment du rail, devant une concurrence de l’automobile fiscalement encouragée et de l’aviation toujours très subventionnée. Aujourd’hui toujours, bientôt un siècle après, nous payons pour ce crime avec la désertification rurale et des gares perdues dans les orties.
En 1938, aussi, beaucoup de réseaux en voie métrique ont été modernisés et desservent les campagnes avec des autorails récents et performants. .La guerre, qui rationne l’automobile, accordera un sursis à ces réseaux, mais dès la libération ils disparaîtront tous, au “profit” d’autocars et de camions qui assureront un service bas de gamme désastreux.
Si le réseau métrique corse, et une ou deux autres lignes dans l’hexagone ont pu survivre, l’ensemble des réseaux métriques disparait dans les années 1950. Ici, vu par le géographe H.Lartilleux, le magnifique réseau breton avec plus de 400 km de lignes en voie métrique, vit ses dernières années.
Contrairement à ce que l’on croit volontiers, la SNCF, à sa création, ne reconduit pas les anciennes compagnies sous la forme de régions SNCF, notamment pour les régions Ouest et Sud-Ouest ex-Etat et PO-Midi. Cette carte de 1950 superpose les régions SNCF et les “régions montagneuses pauvres en voies ferrées” ce qui a l’avantage de montrer les lieux où se poseront les problèmes économiques donc ferroviaires.
Il y a toujours eu une autre France, celle “qui ne passe pas par Paris”, celle des régions, desservies par les “trains à lettres”, par opposition aux “trains à numéros” (pairs vers Paris, impairs depuis Paris). En 1955, cette France des régions, surtout ferroviaires, existe encore pour un temps: les autoroutes s’apprêtent à reprendre le rôle.
La SNCF d’avant le TGV: les vitesses sont la fierté du réseau national: Dijon et Lyon l’emportent grâce au “Mistral” et ses CC-7100 avec des moyenne des 133 et 128 km/h, et Arras est à 131 km/h grâce aux BB-16000. Dans une France presque sans autoroutes, ces vitesses sont élevées. Certaines villes, aujourd’hui, ont cependant conservé leur vitesse des années 1960.
L’ “arbre à boules” de 1975 montre de grands progrès avec 153 km/h pour Poitiers, ou 145 km/h pour Bordeaux: la grande vitesse arrive avec des trains comme le “Capitole” ou l'”Etendard” atteignant le 200 km/h sur une partie du trajet. Le règne du TGV se prépare.
L’Europe et le morcellement des courants électriques: les “frontières électriques” sont déjà présentes partout en 1938 et gêneront beaucoup, aujourd’hui toujours, la construction de l’Europe.
Aux “frontières électriques” s’ajouteront les “frontières des gabarits”, encore plus graves et qui gênent la circulation des trains de fret en Europe, et maintiennent les camions sur les routes (voir notre article consacré aux camions sur ce site-web). Ici, en 1980, la situation perdure toujours et continue, malgré les techniques des conteneurs et des wagons spéciaux comme Lohr, à réduire la part du rail sur le marché du fret européen.
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