C’est la deuxième gare parisienne de l’ancien réseau du Paris-Orléans (PO) faute d’avoir été la première, la très excentrée gare d’Austerlitz, qu’il aurait fallu mieux placer au centre de Paris. La liaison Austerlitz-Orsay est une longue et originale aventure qui serait oubliée si, aujourd’hui, un magnifique musée n’occupait pas la partie supérieure du bâtiment-voyageurs . Cette gare devait être un palais reflétant, par sa splendeur, la domination du chemin de fer sur le monde et, plus particulièrement, sur la ville-lumière qui avait plutôt, jusque-là, rejeté ses gares dans des quartiers périphériques. Face au jardin des Tuileries et au Louvre : on ne pouvait faire mieux….
Défiant le palais des rois de France, la gare d’Orsay s’endort pourtant à la fin des années 1930. Aujourd’hui cela vaut la peine d’aller se promener le long de la Seine et de se demander ce que cette belle gare, qui n’a jamais voulu se rendre et mourir, fait là, parmi ces immeubles et ces hôtels particuliers très chics, à la limite du très huppé Faubourg Saint-Germain, à quelques pas de l’Assemblée Nationale ou de l’Académie Française.






La fautive : Austerlitz.
Portant le nom d’une victoire, elle est plutôt le symbole d’un échec. Le Chemin de fer de Paris à Orléans, qui, comme son nom ne l’indique pas, dessert le Sud-Ouest de la France et pas seulement Orléans, est une grande compagnie française disposant d’un vaste réseau de 7000 km de lignes, mais pas d’une vraie gare terminus parisienne digne de son nom. En effet les trains de Bordeaux ou de Poitiers, de Saintes ou de Toulouse, ou même d’Espagne, viennent s’arrêter discrètement dans une gare excentrée, perdue derrière le Jardin des Plantes, et qui a pour nom celui d’une victoire militaire mais aussi d’une défaite ferroviaire pour l’instant: Austerlitz.
Cette place Valhubert sur laquelle donne la gare n’est rien d’autre, à l ‘époque, qu’un carrefour insignifiant et encombré, et pour accueillir le provincial ébahi d’être « monté à Paris » il manque l’avenue et l’esplanade ouvrant triomphalement sur la Ville Lumière comme il se doit en cette fin de XIXe siècle éprise de gloire technique et de symboles architecturaux amples et significatifs.
Les dirigeants du Chemin de fer de Paris à Orléans constatent que Paris s’étend de plus en plus vers l’ouest, un phénomène qui accentue encore plus le décentrement de la gare d’Austerlitz, et que le trajet en fiacre pour gagner les centres d’affaires de la capitale s’allonge pour atteindre une heure et même plus.
Les enseignements de la ligne de Sceaux.
La compagnie du PO a déjà une expérience d’une gare décentrée : celle de la ligne de Sceaux qui s’arrête place Denfert-Rochereau au lieu de gagner le centre de Paris, et, en 1895, elle prolonge la ligne jusqu’à la station Luxembourg ce qui lui vaut immédiatement une augmentation de 40% du trafic voyageurs de la ligne. Elle tire de ce succès l’enseignement qu’il faut toujours qu’une ligne de chemin de fer vienne desservir le centre d’une ville au lieu de se borner à un arrêt périphérique, et elle prend la décision, à peine les travaux de la ligne de Sceaux terminés, de prolonger la ligne aboutissant à Austerlitz.
La Cour des Comptes ayant brûlé en 1871 (à la grande joie, sans doute, des nombreux fraudeurs et spéculateurs de l’époque…), cette institution laisse vacant un terrain situé sur le bord de la Seine près de l’Assemblée Nationale, sur le quai actuellement appelé Anatole France. Une vieille caserne jouxte le terrain, et sa démolition éventuelle ne laissera aucun regret. Le 15 août 1896, le PO négocie le rachat du terrain avec l’État, qui en est propriétaire, et en décembre 1897, une loi déclare l’utilité publique de la construction d’une nouvelle gare à cet endroit et de son raccordement avec la gare d’Austerlitz, ce qui demande la construction d’une ligne nouvelle longue de 3650 m bordant la Seine à un niveau inférieur à celui des chaussées, et une dépense totale estimée à 40 millions de francs dont environ 9 millions pour la gare d’Orsay.
L’enjeu est risqué : la situation de la gare impose une desserte par une ligne en tunnel, ce qui impose une traction électrique pas encore très performante à l’époque et des protections contre les inondations de la Seine ou, pour le moins, les infiltrations de ses eaux. Le PO envoie une mission aux États-Unis pour étudier les solutions adoptées pour la traction électrique à Boston et la conclusion est positive.
Le projet de cette gare divise l’opinion publique : les « pour » voient l’avantage de la disparition des ruines du Conseil d’État et une desserte du centre de Paris. Les « contre » voient dans une gare un risque d’enlaidissement du site et surtout la création de la faune que le chemin de fer, par définition peu bourgeois, laisse proliférer : conducteurs de camions, cochers de fiacres, clients attitrés des comptoirs des buvettes, gens de mauvaise fréquentation que les gares attirent…. Sans compter la foule, la cohue, le bruit et le communisme, on ne sait jamais.
L’utilisation de « Boîtes à sel ».
Mise en service en 1900 (que n’a-t-on pas fait pour l’Exposition universelle !), la nouvelle gare est donc le terminus d’une nouvelle ligne de prolongement depuis celle d’Austerlitz alors devenue partiellement une gare de passage. Les habitants du Quartier latin sont, eux aussi, bénéficiaires de l’opération avec l’ouverture, place Saint-Michel, d’une gare intermédiaire avec laquelle la ligne 4 du futur métro devra compter pour trouver son emplacement.
Pour effectuer le service, la compagnie du Paris-Orléans engage une petite série de huit locomotives électriques rapidement surnommées « Boîte à sel » par la forme inclinée des capots avant et arrière rappelant celle des boîtes à sel murales des cuisines de nos grand-mères. Longeant la Seine sous les quais, la ligne de 4000 m environ est en tunnel, avec des rampes de 11 pour mille, et les locomotives à vapeur ne peuvent y circuler ou y stationner longuement: la fumée gêne les équipes de conduite et les voyageurs. Ces huit tracteurs électriques prennent le relais des locomotives à vapeur en gare d’Austerlitz et assurent à basse vitesse le parcours dans le tunnel et l’arrivée en gare d’Orsay, et vice-versa. Elles remorquent, à 30 km/h, des trains de 300 t. Leur puissance est de 740 kW.
Ces locomotives sont très remarquées à l’époque, sans doute parce qu’elles marquent l’arrivée de la traction électrique sur les grandes lignes : la traction électrique quitte enfin son « ghetto » des lignes de tramway, de métro, de montagne. Ces locomotives seront reproduites par les fabricants de trains-jouets Märklin, Bing ou JEP pendant des décennies (voir l’article sur ce site), bien que, techniquement, elles n’aient rien offert d’exceptionnel : il s’agit plutôt de modestes locotracteurs électriques et leur petit frotteur latéral ou de toiture qui n’est pas un pantographe, captant le courant 550 v sur un 3ᵉ rail et en gare d’Orsay sur simple fil tendu au-dessus des voies, ne suggère nullement de hautes performances.




Le chef d’oeuvre de Victor Laloux.
Bien entendu le style général du bâtiment de la gare d’Orsay reflète le triomphe de l’architecture surchargée, dite de la Belle Époque, et l’architecte Victor Laloux en a bien saisi les canons. Le projet d’un autre architecte, Eugène Hénard, a été écarté: une gare en métal et céramique surmontée d’un beffroi avec horloge. Ouf !…Laloux a déjà réalisé la très belle gare de Tours et sait mener les travaux rondement. L’éclairage électrique, grande nouveauté, permet de travailler la nuit. La gare est livrée en mai 1900 et les premiers trains circulent le 28 de ce mois.
Le bâtiment est long de 173 m et d’une largeur moyenne de 75 m. La façade est en pierres de taille de la Charente et du Poitou. L’ossature métallique est réalisée par Fives-Lille et demande 12.000 tonnes de métal, un poids dépassant celui de la tour Eiffel – un fait oublié aujourd’hui. Un remplissage de briques, de staff ou de verre garnit l’ossature. Les lignes principales de l’ossature sont seules apparentes, tandis que les fermes sont cachées par un faux plafond vitré. Les verrières occupent 30.000 m² et les charpentes 110.000 m². L’absence de traction vapeur permet d’utiliser une décoration aux couleurs claires, un gris rehaussé de dorures, tandis que des peintures (signées Cormon) décorent les tympans intérieurs et les portes du vestibule et représentent les sites caractéristiques du réseau du PO. L’hôtel de 370 chambres intégré dans la gare est décoré avec des boiseries, des stucs dorés à profusion, et offre un service de première qualité. La salle de réception de l’hôtel est magnifique et dépasse même, en beauté, les salons de la gare de Lyon devenues depuis le buffet le plus réputé du monde. Ce salon existe toujours, mais reste discret.




Grandeur relative, et déclin total.
La gare est très active jusque vers 1930, et les têtes couronnées invitées à Paris se font un devoir d’arriver en train électrique spécial par la gare d’Orsay. Les touristes élégants partant en villégiature pour Biarritz y prennent le Sud-Express (remorqué en traction électrique jusqu’à Austerlitz).
Terminus d’une modeste ligne de pénétration dans Paris qui ne peut réellement jouer son rôle de prolongement d’une grande ligne, la gare d’Orsay est peu commode à exploiter et les grands trains qui s’allongent d’année en année tiennent difficilement sur les voies à quai et, peu à peu, reprennent l’ancienne habitude de terminer leur parcours ou de le commencer à Austerlitz, solution en fin de compte plus commode, la gare étant plus spacieuse. La belle gare s’endort peu à peu, desservie par des trains de banlieue, abandonnée par les trains grandes lignes le 2 novembre 1939, date de la cessation de ce type de service.
Ayant perdu toute activité ferroviaire officielle, mais toujours bien présente et utilisée pour garer du matériel, la gare est, en 1940, un centre de colis pour les soldats au front, puis un centre d’accueil pour les prisonniers libérés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis, durant les années 1960, elle devient un foyer pour les immigrés et les travailleurs célibataires venant d’Espagne ou du Sud-Ouest. Le projet du Musée d’Orsay, en 1973, sauve la gare de la démolition et c’est surtout le Président Valéry Giscard d’Estaing qui refuse, avec énergie et courage, tout projet de démolition de la gare et tous les projets de bétonisation de ce site parisien si précieux. En attendant, la compagnie Renaud-Barrault s’y installe et danse, tout en partageant la gare avec la Société des commissaires-priseurs qui y entrepose de vastes stocks d’objets entre 1976 et 1980 en attendant que la nouvelle salle des ventes de la rue Drouot soit achevée.
Le réveil de la Belle au Bois dormant.
Mais la Belle au bois dormant est tirée de son sommeil avec le projet de la jonction Invalides-Orsay qui donnera naissance à la ligne C du RER. Le réseau RER est bien un système d’ingénieux raccordements par prolongement de lignes pénétrant partiellement dans Paris, et pas très loin de la gare d’Orsay, se trouve celle des Invalides qui, elle aussi, est un terminus d’une petite ligne de banlieue menant à Versailles par la rive gauche de la Seine.
Fait paradoxal : depuis 1900, deux grands réseaux ferrés nationaux se tournent obstinément le dos au cœur de Paris, boudant fièrement tout raccordement : à l’ouest, le réseau de l’Ouest devenu en 1919 le réseau de l’État, et sa gare terminus des Invalides, et, à l’est, le réseau du Paris-Orléans qui, depuis le Second Empire, règne avec grandeur sur tout le sud-ouest de la France, et même sur une partie de la vallée de la Loire et de la Bretagne. Huit cents mètres seulement séparent ces deux empires qui jouent un « je t’aime moi non plus » ancestral. Il faudra presque un siècle pour que la raison d’État triomphe de la jalousie privée imbue de concurrence aveugle.
L’État rachète la gare pour 80 millions en 1978, et la jonction Invalides-Orsay est réalisée en 1979 par une ligne d’environ 840 m établie le long de la rive gauche de la Seine. Voilà enfin réalisée la nouvelle ligne C du RER qui est complexe et comporte de nombreuses branches en banlieue, et se singularise par un embranchement dans Paris même. Elle a 73 gares ou stations, et sa longueur totale est de 159 km, soit 16 km de tronc commun à ses divers embranchements. Orsay trouve là la chance de sa vie : elle se trouve désormais au cœur du système formé par la ligne C et s’offre le luxe de voir passer plus de 500 trains par jour ouvrable, soit beaucoup plus que du temps de sa splendeur des années 1930. Vous avez dit « 500 trains par jour » ? Belle performance pour une gare qui n’existerait plus puisque devenue un musée…


Gare-musée ou musée-gare ?
Inutile de préciser que la visite du merveilleux musée d’Orsay, consacré au XIXe siècle, s’impose. Si l’on vient en train (c’est la moindre des choses pour le lecteur de ce site), on descend du train dans une gare souterraine modernisée qui n’occupe qu’une partie du bâtiment originel, c’est-à-dire l’emplacement des quais et des voies de l’ancienne gare terminus du Chemin de fer de Paris à Orléans et tout ce qui est au niveau de la Seine et sous le niveau de la chaussée du quai d’Orsay. On ne retrouve plus rien des 15 voies à quais primitives se faufilant dans un dédale crée par d’innombrables piliers, ni du chariot transbordeur pour locomotives électriques installé côté rue de Bellechasse. Les quatre voies à quai et les quais eux-mêmes sont d’origine, mais cette gare-cave actuelle laisse une impression assez triste, il faut l’avouer.
Pour retrouver la vraie gare d’une manière plus complète, il faut sortir dans la rue pour en contempler la façade en pierre et prendre un billet d’entrée pour le musée d’Orsay. Et c’est bien en pénétrant dans le musée proprement dit que l’on retrouvera, soigneusement conservés, un maximum de volumes intérieurs et d’éléments architecturaux de l’ancienne gare, dont le grand hall de 138 x 40 m, haut de 32 m avec son plafond à caissons et ses verrières dominant les voies (jadis) de la gare souterraine.

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